Cimetière + nuit + alcool = fantômes ?

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Nous éclusons la deuxième bouteille et j’ai l’impression que le sol a décidé de danser un tango sous mes pieds. Entre hier soir et maintenant, je vais virer alcoolique à force de fréquenter Gérard ! Mais le pauvre homme est aux trente-six dessous. D’un air larmoyant, il me raconte que le coût du vétérinaire correspond à sa retraite mensuelle. Il ne sait même pas comment il va acheter à manger ! Je n’ose pas lui dire qu’il peut abandonner Terreur et avoir un autre petit chat, alors je lui dis qu’il peut venir manger au restaurant quand il veut, sans payer. Il me regarde larmoyant, ses yeux embués par le vin et me dit que je suis un bon gars… Le compliment ultime des gens simples !

Comme il fait lourd, je décide de me lever et d’aller faire un tour dehors. A peine ai-je franchi la distance entre la table et la porte que j’entends ronfler : Gérard vient de s’endormir, la tête dans l’assiette (vide, heureusement). Je souris. J’enjambe le pas de la porte et prends une grande inspiration. Dehors, la nuit est sombre, la lune est grande, ronde et quasiment bleue, l’air est frais ; il me fait du bien. Je marche, chancelant un peu, le long du chemin en gravier sans trop regarder dans quelle direction je vais. Inconsciemment, mes pas me ramènent au fond de l’allée où j’ai trouvé Terreur. Tiens, je n’avais pas remarqué cette lueur verte sur les cailloux. Une lueur verte ?... Mon esprit imbibé d’alcool prend du temps à réaliser mais je suis trop lent. Je suis perturbé par quelqu’un qui me tape sur l’épaule. Je me retourne et là, stupeur ! Je suis nez-à-nez avec une forme spectrale matérialisée comme un gamin de treize ou quatorze ans. Dans sa bouche il a une cigarette toute aussi immatérielle que lui.

« T’as du feu ? », me demande-t-il.

Je lui réponds que non mais ça n’a pas l’air de le lui plaire. Sans crier gare, il me colle un coup de poing dans l’estomac qui me fait reculer d’un bon trois mètres avant de heurter le mur ! Si, comme moi, vous pensiez qu’un fantôme vous passerait à travers, vous avez tort ! Aïe !!!

C’est alors que je me rends compte que le cimetière est plein de fantômes. Un peu plus loin, je reconnais la tante de Marie, nouvelle arrivée, discutant le bout de gras avec deux autres commères. Le plus inquiétant est que, étant le seul vivant dans le coin, je vois toute une troupe de spectres s’approcher de moi. Ah oui ! Vous ne savez pas ! Les fantômes se nourrissent de l’Art qui sert d’essence à la vie. Quand vous êtes un mage comme moi, vous êtes un plat de choix ! Je peux voir dans leurs orbites translucides la faim qui les dévore et ils se rapprochent de plus en plus vite. Mon ado boxeur, lui, n’a pas bougé. Voulant probablement se la jouer « cool », il ne se jette pas sur sa proie (moi en l’occurrence) mais prend son temps.

Hors de question que cela recommence ! Je canalise la douleur dans mon estomac et tends les mains devant moi pour former un rayon d’Art qui transperce mon agresseur. Abasourdi, il regarde les dizaines de trous que j’ai faits dans son ectoplasme puis relève la tête vers moi. Ses lèvres murmurent un « pourquoi » avant qu’il s’évapore entièrement. Un de moins ! Bon, maintenant, comment je m’occupe des milliers d’autres ?

Complètement dégrisé, je réfléchis à toute vitesse : bouger, il faut bouger ! Je me relève et bondis en avant. Je dois rejoindre la cabane de Gérard. Il est en danger ! Je cours le long de l’allée mais d’autres fantômes sont à mes trousses. J’alterne le rayon d’Art avec une sorte de bouclier anti-revenant directement inspiré d’Harry Potter. Tout en courant, je crie à tue-tête « Expecto Patronum ! » et repousse tant bien que mal mes assaillants. Mais la partie est perdue d’avance : ils sont trop nombreux ! Alors que je tourne entre deux tombes, mon pied glisse sur le gravier et je m’étale de tout mon long. Une douleur vive se manifeste dans ma cheville. Je pousse un juron de douleur. Sûrement qu’elle est foulée. Les fantômes ont vite fait de me rattraper et malgré les quelques rayons que je leur lance, je sens que mes forces m’ont quitté. Je n’ai plus de jus. Alors se produit un rituel macabre : tout autour de moi s’amassent les morts et chacun à son tour se penche sur moi et aspire un peu de mon Art. L’Art, c’est comme l’âme, et chaque succion me fait hurler de douleur. Imaginez qu’on vous retourne tous les ongles des pieds en même temps ! Je sens que c’est fini et vois la Mort s’approcher, avec sa grande faux et une étincelle bleue qui luit dans chaque orbite. Je crie, je hurle, je pleure, je prie… Maman !

La faux se lève et la lame luit d’un reflet lugubre dans la faible lumière du lampadaire. Mais à ce moment-là, je sens une autre présence. Je ne suis pas le seul car tous les autres revenants se reculent précipitamment. Un pirate ! C’est le spectre d’un pirate qui flotte à côté de moi !

Il fait un signe à la Mort qui tient toujours sa faux prête à s’abattre. Le pirate dit :

« Tu nous excuses deux minutes ? »

Contre toute attente, la Mort elle-même abaisse son arme et se recule de quelques centimètres. Puis, le pirate se tourne vers moi :

« Ça fait mal ? »

Il passe son doigt au-dessus de ma poitrine et je sens à nouveau qu’on m’arrache les ongles. Je hurle derechef !

« T’as pas l’air en forme dis donc ! Qu’est-ce que t’es amoché ! », dit le pirate toujours d’un ton badin.

« Je ne sais pas ce que t’en penses, mais t’es un peu foutu. Plus que quelques secondes et c’est fini pour toi. »

Il fait une pause, presque théâtrale. Puis approche son visage à quelques centimètres du mien et ses orbites vides me fixent :

« Je suis pas du style à tourner autour du pot. Donc mettons carte sur table, OK ? »

Difficilement, je fais un signe de la tête.

« Bien ! Voyons la situation : je pars, t’es mort ! »

Il fait un geste en direction de la mort.

« Donc c’est pas ton intérêt que je m’en aille. Mais tu vois, j’te connais pas, on n’est pas ami ; il n’y a aucune raison pour que je reste… »

Nouvelle pause, toujours théâtrale.

« Ceci dit… On pourrait devenir ami, n’est-ce pas Perceval ? »

Il me regarde, faisant semblant d’attendre une réponse.

« Moi, par exemple, si tu étais mon ami, je pourrais dire à tous ces bonnes gens de rentrer tranquillement chez eux. », fit-il en désignant les autres fantômes.

« Et toi, en tant que bon ami, tu pourrais me rendre la pareille… Par exemple, tu pourrais me nourrir un peu ! Je me sens tellement diminué ! »

Il me sourit.

« D’accord ? »

A ce moment-là, je sens comme un coup de poignard invisible qui me transperce entre les omoplates. Je hurle à nouveau.

Vous imaginez bien que je sais que je vais me faire avoir. Si je donne mon énergie à ce fantôme qui, de lui-même, arrive à retarder la Mort, imaginez les dégâts qu’il peut faire dans notre monde ! Dans un film, le héros préfèrerait se sacrifier plutôt que relâcher un tel fléau... Mais bon, on n’est pas dans un film et je ne suis pas un héros ! Je suis plutôt adepte de l’adage « vivre pour combattre un autre jour ». Alors j’acquiesce.

Vous ne pourrez jamais imaginer la taille du sourire qui se forme sur son visage décharné. Il se retourne alors et fait face à la Mort. Si celle-ci pouvait hausser les épaules, c’est bien ce qu’elle ferait maintenant. Puis elle se retourne et s’en va. Ensuite, il monte sur une tombe et s’adresse aux autres spectres :

« Rentrez chez vous ! Couvre-feu ! Et je que je n’en prenne pas un dehors ou il subira mon courroux ! »

A ces mots, les revenants prirent peur et s’enfuirent dans leur tombe.

Je sens que la tension retombe et je me retrouve seul, toujours au sol, mortellement affaibli, impossible de bouger, en face de mon « nouvel ami ».

« Je vais m’occuper de toi ce soir, dit-il. Mais demain on devra causer ! Retrouve-moi à la tombée de la nuit ici. »

Il me fit un petit salut de la main et c’est à ce moment-là que mon corps décida qu’il était temps de s’évanouir.

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