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   La palissade avait fait un travail invisible. En quelques jours, la plage a disparu. L’océan a grimpé à l’assaut de la colline. Les vagues emportaient la falaise, bloc d’argile après bloc d’argile. Une des grottes a été engloutie : elle a déversé son secret dans l’eau pernicieuse. Au matin, on a regardé tous les trois une mare de plastique flottant s’éloigner vers le large. Posées sur les bidons cabossés, quelques chauves-souris désorientées tombaient dans les vagues en tentant de s’envoler. L’une d’elles s’est écrasée à nos pieds, à l’orée de la forêt. Je l’ai attrapée en enveloppant mes mains dans les plis de ma robe, avant de la transporter en courant jusqu’à la maison. J’ai trouvé une boîte, une coupelle, de l’eau. La chauve-souris ne se débattait pas, affaiblie. Ondine est revenue trempée, la peau encore couverte d’écailles de sel.

   Elle n’avait pas pu sauver les autres.

   On a attendu tous les trois devant la boîte. On entendait remuer. On espérait. On osait à peine respirer. Ondine découpait tout doucement le plastique qu’elle avait ramassé pour en faire des pelotes. Elle espérait nous tricoter des couvertures, pour l’hiver. Je sais qu’elle n’y croyait pas vraiment, que c’était sa manière de s’excuser, de dire qu’elle allait rester. J’essayais d’ignorer les crissements de ces fils assassins.

   La nuit venue, j’ai posé la boîte sur un buisson. A l’intérieur, la chauve-souris s’agitait. J’ai ôté le couvercle. Elle a jailli si vite ! Un éclair sombre et hésitant dans le ciel… Quelques étoiles se sont éteintes sur son trajet. Je n’ai pas vu grand-chose, mais je garderai le plus longtemps possible en mémoire le bruit vif des battements d’ailes de celle qui a survécu.

   Le renard a jappé dans les fourrés. J’ai souri. Peut-être qu’il regrettait le départ de cette proie facile. Peut-être qu’il attendait ma disparition pour surgir. Peut-être… Il avait beau manger les poules et se tapir à la moindre occasion, ses drôles de bruit et les éclairs de rouge que j’apercevais entre deux feuilles me rappelaient pourquoi j’aimais cette île. Pour ses histoires.

   J’ai attendu quelques minutes. Il faisait doux. L’air sentait la sève, la terre humide et le brouillard. Puis, entre deux bruissements, j’ai cru entendre une musique. Elle ne venait pas de la maison. Malgré ma peur de la nuit, je me suis enfoncée dans la forêt à la suite de la flûte qui m’hypnotisait. J’ai louvoyé entre les arbres, caressé les replis des bouleaux, trébuché sur les racines. Mon cœur battait jusqu’au fond de mon cerveau. J’avais peur, mais je voulais savoir.

   Je me suis blottie entre deux racines pour oublier quelques instants le noir tout autour. L’arbre m’embrassait. Comme dans une coquille de noix, je me sentais à l’abri. J’ai écouté la musique.

   J’en étais sûre, désormais. C’était Aritz, bien sûr. Il jouait là, au beau milieu de la forêt, sous les étoiles. Peut-être que c’était sa musique qui donnait envie aux arbres de fructifier, aux animaux de vivre. Parce qu’à cet instant, j’ai cessé de désespérer.

   Je me suis relevée. J’ai caressé l’arbre qui m’avait rassurée. C’était un chêne rouvre aux branches tordues. Dans la clairière, Aritz et le tigre faisaient concert. L’animal couvrait le musicien de ses regards profonds : qu’éprouvait-il ? Ils jouaient toujours. Aritz tournoyait autour du fauve pendant que ses trilles s’entortillaient autour des troncs. Le tigre grondait doucement : sa voix grave et les notes légères de l’instrument auraient réveillé n’importe quel somnambule. Ils étaient beaux. Leurs corps qui se mouvaient dans l’ombre, la musique qui résonnait dans la flûte embourgeonnée et dans la gorge du tigre, leurs pas légers : on aurait dit des fantômes revenus à la vie.

   Et moi, jalouse, j’écoutais silencieuse. Soudain, un bruissement dans la mélodie. A mes pieds, le hérisson me regardait. J’étais sur son passage.

   A la maison, Ondine tricotait en récitant la haine contre les hommes. Et l’eau gravissait.

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