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Le silence de la pièce à demi vide est pesant. Dehors, chaque goutte qui s’écrase contre la vitre est le reflet des larmes que je ne peux verser. Le lit de Meg est inoccupé. Cela fait maintenant quelques semaines qu’elle s’est installée dans la maison des Sigma Zeta Mu. Elle en crevait d’envie, mais malgré les bonnes résolutions que j’avais manifestées, je ne me sentais finalement pas encore prête à sauter le pas.

Elle me manque. J’aimerais qu’elle soit près de moi, prête à écouter ce que j’ai à lui dire. On se raconterait ensuite notre quotidien, on partagerait nos peurs et nos doutes. Mais je ne peux pas. Je ne peux plus lui imposer ma présence et mes angoisses. Son bonheur et ses rêves sont tout autant, si ce n’est plus importants que mes problèmes.

À plusieurs reprises, j’ai ignoré le sens de ses appels et de ses messages. Je me suis, jusqu’à présent, astreinte à lui répondre brièvement que tout allait bien, mais je ne suis pas idiote ; au fond de moi, je sais que mes envois n’étaient pas convaincants. Connaissant Meg, je suis prête à parier qu’elle doit douter de ma sincérité. Pourtant, elle n’a encore jamais manifesté son inquiétude, ni insisté pour obtenir des explications supplémentaires. Elle s’est simplement contentée des réponses que je lui ai envoyées.

Le Dr. Hall a plutôt favorablement appuyé ma démarche, considérant qu’elle était saine. Pour pouvoir progresser dans ma thérapie, il fallait non seulement que j’apprenne à me détacher de ce qui me raccroche à mon deuil, mais également que j’évite de faire sombrer avec moi ceux qui ont le désir de m’aider.

Et même si cela me brise le cœur, je suis obligée d’admettre que Meg fait partie de ce processus. Autant fusionnelle que peut l’être notre relation, je me suis inconsciemment servie d’elle comme d’une béquille pour m’accompagner dans mon deuil et décharger mes émotions lorsque j’en ressentais le besoin. Or elle n’a pas à porter ce poids sur ses épaules. Je ne veux pas être pour elle l’amie toxique qui contribuera à éclipser sa lumière ou à faire décliner son moral au profit du mien. Rien ne peut justifier une telle cruauté envers mon amie. Ni la peine que je ressens, ni ce sentiment dépressif qui me ronge de l’intérieur.

Et puis, il y a Connor… Il est présent pour moi, adorable et patient. Quand je suis avec lui, je me sens bien. Il sait me faire rire et sa présence est tout autant réconfortante que la douceur d’un chocolat chaud lors d’une longue soirée d’hiver. Avec lui, et surtout pour lui, j’ai compris qu’il ne servait à rien de me noyer dans mes émotions négatives. J’apprends à les canaliser. Je réapprends petit à petit à sourire et à profiter de chaque instant positif que la vie peut m’apporter.

Mais même dans ses bras, je me sens parfois seule. Matt me manque. Son regard me manque, sa voix me manque, tout son être me manque… Oui, je sais. Mon subconscient schématise à travers mes songes le processus de deuil et de séparation que je traverse. Je ne devrais pas me conforter dans l’idée qu’il me manque. Pourtant c’est le cas. Son absence me pèse énormément. Il laisse chaque matin derrière lui un vide que d’autres n’arrivent pas à combler. Pas encore. Peut-être qu’ils n’y arriveront jamais…

Cette nuit, Connor est resté près de moi. Son corps, recroquevillé dans le fauteuil, s’est réfugié sous une épaisse couverture. Le livre qui repose près de lui m’indique qu’il s’est probablement assoupi en lisant et qu’il n’a pas eu la force, ou l’envie, de se glisser dans le lit. Il semble paisible, profondément endormi. Rien ne pourrait le réveiller. Ni sa position certainement inconfortable, ni même mes agitations nocturnes.

03h00… Éternellement…

Malgré l’heure tardive, je ne peux attendre. Il faut que je couche sur le papier tout ce dont je viens de rêver avant que trop de souvenirs ne m’échappent. J’empoigne mon carnet et m’enferme à double tour dans la salle de bain. Lorsque j’effleure les lignes fluides du symbole qui serpente sur la couverture, un sentiment de malaise me soulève la poitrine. Instinctivement, je pense à Matt et mes entrailles se contractent un peu plus.

J’ai l’impression de trahir les sentiments naissants que Connor et moi partageons. Pourtant, en cet instant précis, je n’ai qu’une envie. Retourner dans les bras de Matt. Mais je sais que je ne pourrai le faire que lors de la prochaine phase de sommeil, et uniquement si mon esprit me le permet.

Une fois mon récit terminé, je plonge la tête tout entière dans la cuvette pour extraire de mon corps la gêne pesante qui oppresse mon estomac.

À mon réveil, Connor n’est plus là. La couverture qui le recouvrait est soigneusement pliée sur l’accoudoir du fauteuil. Il a pris soin de laisser un petit mot sur ma table de nuit. « Dors bien ma belle au bois dormant. Je viendrai te chercher en début d’après-midi. ». Mes lèvres déposent un baiser sur le bout de papier, puis je le glisse dans mon tiroir.

Ayant suffisamment de temps devant moi, je décide de prendre une bonne douche. J’enfile la première tenue que je trouve et pars en direction de Hilgard Avenue. Il est déjà 09h00 quand j’arrive dans le grand hall de la sororité. Olivia prépare la table sur laquelle se trouvent des croissants encore tièdes, de la confiture et plusieurs assiettes.

- Coucou Abby, dit-elle chaleureusement en se retournant. Comment vas-tu ce matin ? Oh ! Tu déjeunes avec nous ? Attends, je vais chercher tout ce qu’il faut !

J’aime la façon joyeuse qu’elle a de toujours s’adresser aux autres. Cette fille est un véritable rayon de soleil et son cœur est vraiment plein de bonté.

- Alors, tu nous fais l’honneur de ta présence ? Bienvenue ma belle ! m’adresse Stacy encore endormie.

Elle entre dans la pièce les cheveux en bataille, suivie de Chelsea.

- Tu sais que ta copine n’a pas dormi là ? ajoute malicieusement Stacy avant de bâiller la bouche grande ouverte. Apparemment son prince Ethan l’a totalement envoutée. Ça fait déjà deux nuits qu’on ne la voit pas dans son lit.

L’enthousiasme d’Olivia s’efface lorsqu’elle entend les paroles de Stacy. Comprenant à mon regard qu’elle est démasquée, elle se ressaisit immédiatement et me tend une assiette avec son plus beau sourire. Je me revois encore la tête dans la cuvette. La vue de cet amas de nourriture me donne tellement la nausée que je dépose discrètement l’assiette sur une console après avoir chaleureusement remercié Olivia.

Je ne peux pas m’empêcher d’avoir un pincement au cœur pour elle, même si je reste très contente pour Meg. En revanche, je me demande bien pourquoi cette dernière n’a même pas pris la peine de m’appeler ou au moins de m’envoyer un message pour me raconter la grande nouvelle. Peut-être qu’elle n’en a pas encore eu le temps.

- Ah l’amour… Je suis contente si tout se passe bien pour elle. Elle le mérite, dis-je d’un ton faussement enjoué.

- Ouais, y’en a d’autres par ici qui aimeraient connaître ça. D’ailleurs, comment va mon frère ? rebondit Stacy.

Mes joues s’enflamment en entendant ses mots. Même après deux mois, il est toujours étrange de savoir que Stacy est la sœur de Connor.

- Oh, il va bien ! Il vient d’ailleurs me chercher en fin d’après-midi. Il m’a parlé d’un endroit très particulier qu’il aimerait me faire découvrir, mais je n’en sais pas plus.

Elle se racle la gorge à trois reprises. Mon sang se glace.

- Hé hé ! Ne dis rien, je connais mon frère !

Elle continue de me parler, mais je ne vois plus que ses lèvres remuer. Mon esprit est déjà ailleurs. Le temps autour de moi s’est arrêté. Matt se tient derrière Stacy. Il m’observe intensément. Ses yeux, qui n’ont plus de secret pour moi, parlent d’eux-mêmes. Il m’attend…

- Eh oh ! Tu parais… perturbée par ce que je dis.

Stacy me parle. Je cligne quelques fois des yeux et tente de focaliser mon attention sur elle, mais je suis perdue. Heureusement qu’elle continue son monologue, car je suis incapable de lui répondre.

- Mais ce que je dis, c’est en bien, hein ! se justifie-t-elle. Tu comprends, Abby ?

- Hein ?

C’est la seule réponse qui me vient. J’essaie de reprendre le fil de la conversation, mais je ne comprends rien à ce qu’elle tente de me dire. Je suis toujours perturbée par la présence de Matt.

- Ça veut dire qu’il t’aime beaucoup !

Je crois qu’elle parle de Connor. Connor m’aime beaucoup. Je me sens honteuse. Stacy a un fort caractère. J’aimerais qu’elle me rentre dedans, qu’elle me rejette, qu’elle me dise que je ne mérite pas l’amour de son frère. Mais il n’en est rien. Elle continue à me complimenter pour tout le bien que je lui apporte. Et pendant ce temps, mon regard s’est déjà détourné d’elle. Du fond de la pièce, quelques mots me sont destinés.

- Je t’aime, Abby.

- Et je crois savoir que c’est réciproque, ajoute-t-elle en me lançant un clin d’œil.

Ça l’est… Vraiment. Sauf qu’en réalité, si j’en crois ce que me dicte mon cœur, je les aime tous les deux…

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