Chapitre 1 Bébés à croquer

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 Il était une petite sorcière appelée Tatayata. Elle habitait un quartier bourgeois ennuyeux qui n'avait rien de très agréable, où tout était pareil et rien ne sortait de l'ordinaire mais somme toute elle était sur terre, c'est déjà ça comme dit la chanson. Elle écoutait parfois la radio des humains, du moins celle du pays où elle se trouvait, juste au dessus de son centre de la terre natal. Elle ne savait pas vraiment si elle devait préférer son sous terre ou le sur terre. En effet, au-dessus, elle n'avait personne à qui parler, personne qui ne pourrait la comprendre, bien qu'elle partagea la langue de ce pays, comme tous les sorciers qui avaient abandonnés depuis des lustres la langue des sorciers au profit de celle des humains du dessus le plus proche. Ils avaient vite compris que des échanges avec les humains pourraient leur être profitables ou même vitales parfois et pour éviter que des inconditionnels de leur langue maternelle ne viennsemer la panique s'ils se trouvaient nez à nez avec un humain. Tatayata qui comme toute la nouvelle génération n'en avait qu'une vague connaissance savait bien à quoi cela ressemblait, avec ces blorb et ces thooouu, donn à n'importe qui la voix d'un démon ou celui d'un monstre, selon la façon dont se les représentent les gens d'ici et elle n'aurait pas pu être davantage d'accord. De toute façon cette langue était bien trop pauvre, certes les notions de sentiments ne sont guère utilisés par les sorciers à part les sentiments d'affection, tout de même, ce ne sont pas des monstres, donc tout autre terme désignant des sentiments n'existaient pas. Au moins aujourd'hui à défaut de les ressentir ou d'en avoir l'usage, ils comprennent ce que c'est et heureusement pour Tatayata, si sensible pour une sorcière qu'elle déconcerte professeurs et camarades de l'école des sorcières.  Alors certes son quartier est banal, il n'éveille rien en elle qui a si soif de s'émerveiller quand dans le monde du dessous tout est si sombre et les filles si méchantes, ici rien d'admirable, rien d'extraordinaire hormis sa maison à elle, celle que lui a construit sa maman avec des blocs de magie bleue nuit, leur maison toute tordue, barreaux aux fenêtres élégamment ondulées, que c'est drôle vu de l'extérieur, au milieu des maisons proprettes et toutes droites, modernes à mourir, rien de moins charmant mais du moins voit-elle le soleil, la lumière du jour, rien que ça la fait se réjouir, ce que sa mère ne saisit guère, elle qui n'aime que la nuit mais de la part de sa fille, ne l'étonne guère non plus, elle a toujours été si différente, déjà bébé...

Ce temps béni est passé, elle n’est plus un bébé et elle doit s’adapter à ce monde seule, et elle a encore du mal à s’en accommoder bien qu’elle y ai passé le plus clair de sa jeune existence et vous avez beau vous dire, elle aura bien le temps de le faire et de voir même le monde entier, accroché sur un balai, et pendant des centaines et des centaines d’années, c’est vrai mais la jeunesse n’est pas éternelle, et l’enfance ne se vit qu’une seule fois et ce sera pour elle aussi court que pour n’importe qui et elle comptait bien en profiter mais comment le faire avec si peu de liberté, si encore sa mère voulait bien l’accompagner au-dehors, elle pourrait s’éloigner un peu plus et ne plus voir seulement que des maisons et le square au milieu, à quoi cela lui servira-t-il, que va-t-elle apprendre de l’espèce humaine en ne regardant défiler que des mamans pendant son temps libre et des bébés dissimulés dans des landaus, des poussettes ou au mieux portés dans les bras ou en écharpe. Dès que ça marchait un peu ces enfants-là partaient à la crèche, à la maternelle, et à l’école, en somme loin d’elle, apparemment les squares ne les intéressent plus guère, un parc avec des jeux, à ce qu’elle a entendu, se trouve à quelques pâtés de maison et à quoi ça sert de savoir voler même mal si même ça c’est trop loin, c’est interdit. La vie est trop injuste. Mais si elle se plaint trop fort, pensait-elle, sa mère serait capable de déménager en bas, et ça lui faisait une peur bleue, elle n’en avait pas l’habitude, c’était déjà trop tard pour elle, c’est trop extrême, trop noir, elle aime un peu la pénombre, de temps en temps et un peu de folie, mais elle ne le supporterait pas, pas à ce point, même si c’est pas l’enfer quand même lui disait sa mère parce-qu’elle connaissait ses craintes sur cet univers, c’est pas l’enfer, tu t’y habituerais, on s’habitue à tout, on s’habitue à tout mais Tatayata ne voulait pas seulement s’habituer en restant dans son coin pour pas avoir d’ennui, elle voulait se confronter ! Tatayata a de la sensibilité et elle voudrait la faire grincer un peu, la bousculer, mais comment faire avec ses congénères là bas ou de simple bébés ici…

Tatayata donc passait son temps libre dehors. Elle était déjà assez grande au moment de cette histoire pour se promener seule. On pourrait dire qu’elle aimait se promener mais ce serait un peu exagéré, disons qu’elle n’avait que ça a faire, et que c’était le meilleur moyen d’espionner discrètement ses voisines sans que ça paraisse bizarre. Elle marchait et elle tendait l’oreille. Et elle entendait les mères se féliciter, se faire des louanges par bébés interposés, et elle ne pouvait qu’être étonnée par ces paroles. Les mères disent toujours la vérité, pensait-elle. A partir de ce constat partant de sa propre mère, tout est possible, promesses, menaces, envies. Par exemple, si elle a fait une bêtise et qu’elle est privée de dessert, elle sait très bien qu’elle ne peut en aucun cas en prendre, que sa mère le lui a juré et qu’elle ne le permettra donc pas. Si elle se sert en douce dans la cuisine, elle l’avait appris à ses dépends, ses mains disparaissent, et c’est gênant de rester sans main, et pourtant elle a récidivé en espérant cette fois-là que sa mère n’est pas infaillible et incorruptible, mais non sa mère ne cède jamais, comme un diable elle ne failli jamais à ses promesses. Alors que penser de ces paroles étranges et qui trouvent échos dans sa sorcièrité primitive du plus profond d’elle-même et de l’histoire de ses ancêtres, que s’échangent ces mères avec enthousiasme et gourmandise :

« quel mignon petit bébé, il est à croquer ! Si je le pouvais, je le mangerais tout entier ! ».

Oh les ogresses, pensait-elle, oh les sorcières!

Et elle avait tendance à penser la même chose et sans honte car elle est une sorcière et les histoires de sorcières sont vrais, « ce ne sont pas des exemples à suivre, » lui disait sa mère mais pour Tatayata la morale de ces histoires ne s’adressent qu’aux humaines personnes, elle n’a pas de pitié à avoir, tout juste peut-elle s’effrayer des histoires qui finissent mal pour la créature magique mais il en existe encore bien davantage, ignorées des humains, où les créatures arrivent à leurs fins et sans dommage. Qui a honte de ce qu’il mange? On a le régime alimentaire de son espèce voilà tout. Et ce n’est pas sa faute à elle que de telles choses sont permises, de petites boules de chaire à l’air tendres et moelleux, qu’il évident qu’ils seraient si bons dans du lait ou en tartine, au petit déjeuner, aussi vrai les sorcières font bien tout ce qu’elles veulent. Les sorcières, mais pas elle, avec sa mère qui ne vit pas comme ses pareils.

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