Le prix de l’indifférence

3 minutes de lecture

Le regard se perd comme dans une tranche de vie parallèle, presque un reportage en immersion complète dans une société à deux visages.

J'entends comme des rimes de slam qui résonnent dans ma tête. Je vois tous les jours entre la Gare du Nord et le Boulevard Poissonnière, ces sans-domiciles, ces sans-papiers, ces délaissés du cœur, ces marginaux.

*

Les oubliés

Il y a bien plus de mots pour les décrire ou les nommer que de pièces de monnaie dans leurs poches usées.

Et les lignes de bus mettent le piéton à bonne distance.


Mais à pied, impossible de les ignorer, alors pendant 20 minutes comme le journal, je prends des tranches de vie, je lis des articles en direct, en live.

On se croise, l'un statique et l'autre mobile mais on ne va pas dans la même direction, on n'a pas le même avenir, ni le même horizon.

Eux, ils dorment sur des grilles de ventilation du métro ou du RER souterrain, au point que l'on se demande, vu le désœuvrement de certains, s'ils ne sont pas déjà morts. À 08 : 00 du matin, la bouche pâteuse, souvenir d'une bière trop alcoolisée, ils parlent fort et s'invectivent. Les chiens qui les accompagnent font de même.


Alors les passants s’éloignent et contournent cet horizon trop proche.

Ces laissés pour compte s'installent en famille de chaque côté de la rue La Fayette. D'autres choisissent la proximité d'un distributeur de billets de banque ou la devanture de boulangerie pour affecter le chaland.

Ils ont pour l’occasion des habits et des visages de circonstances, à l’image de nos lectures des grands auteurs classiques du 19ème siècle.

*

La femme-spéléo

Sans âge, un peu spéciale, peut-être célibataire, elle hante les rues Cadet, Faubourg Montmartre et Geoffroy-Marie ; engoncée dans une polaire bleue, des lunettes de natation qui lui mangent les yeux et le visage, avançant groggy, à pas comptés, dans une autre dimension, tout autant de jour comme de nuit.

*

L'inconnu

Plus loin, dans la rue Geoffroy-Marie, un inconnu s'est construit sa propre chambre au pied d'un hôtel à plusieurs étoiles. Mais celle-ci se compose d'une boîte en carton, encastrée dans la façade et à peine camouflée par des bacs de buissons de buis et de fleurs. Ces derniers forment comme un balcon privé.

*

Contrastes parisiens

Les Folies Bergère sont juste au bout de la rue, avec ses files d’attente pour des soirs de spectacle. La misère côtoie l’aisance du Boulevard Haussmann, de La Bourse ou de l'Opéra-Comique.

Les répliques en cire du Musée Grévin reçoivent davantage de regard. Au loin domine, dans la brume de chaleur, le Sacré Cœur, sur sa Butte Montmartre.

Drouot et ses salles de ventes annexes organisent ses ballets de camionnettes et de porteurs en livrée. Les Passages aux noms recherchés Verdeau, Jouffroy ou Vivienne charrient des colonnes de touristes précédées de leurs guides au fanion ou au parapluie dressé à bout de bras, en mal de ce Paris pittoresque fait de libraires et de restaurants.

*

Tout un monde parallèle

Il y a une telle différence.

La fracture est immense.

Et l'indifférence a donc un prix.

Celui d’une pièce de monnaie comme pour faire taire ses remords et lire dans les yeux de ces vagabonds et de ces miséreux comme une sorte d’infinie reconnaissance, un merci aux consonances slaves, roumaines ou bulgares.

Ils ne peuvent qu'espérer une pièce dorée ou par chance un billet, une cigarette ou un ticket repas. Certains n’ont plus la force de demander.

*

Qui sait ?

Au bout de la journée, un souper et parfois, trop rare, un lieu propre pour dormir sans crainte. Je lis à peine ces ardoises ou ces cartons et passe mon chemin, jetant comme un voile pudique sur mon indifférence.

*

J’ai pour eux de la tendresse et tous ces mots à maux, je vous les laisse.

  • À votre bon cœur messieurs, dames !

=O=

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