Timothée
Inspiré de faits réels (Bien entendu, pour le respect d'identité, les prénoms et les lieux ont été modifiés).
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Alice, c'est mon prénom. Bien que cette histoire est de loin la plus importante et la plus bouleversante de toute ma vie, ce n'est ni un rêve ni un cauchemar, cependant, elle est aussi compliquée que le Pays des Merveilles de Lewis Carroll...
Mes parents ont divorcé lorsque j'avais treize ans et je suis partie vivre avec mon père, par contre, ce n'est pas l'élément déclencheur...
Tout a commencé au lycée. Je n'étais jamais tombée amoureuse auparavant. J'admirais les jolis garçons tout autant que les jolies filles, néanmoins, de loin.
C'est alors qu'à la rentrée de ma seconde, j'ai aperçu une fille très timide et repliée sur elle-même. Une brune, au visage fin, aux cheveux longs et frisés, aux grands yeux noirs et à la peau blanche comme de la porcelaine. J'ai eu le coup de foudre, j'avais envie de la prendre dans mes bras et de la protéger alors que j'étais plus petite qu'elle et que je ne payais pas de mine avec mes lunettes, mon appareil dentaire et mes boutons d'acnés... Nous n'étions pas dans la même classe mais nous nous retrouvions ensemble en cours d'espagnol et d'histoire de l'art.
J'étais en classe de musique, et j'appris qu'elle étais en seconde art appliqué. J'ai cherché toutes les informations possibles et inimaginables sur elle. Elle se nommait Adélaïde, apparemment n'aimant pas du tout son prénom elle préférait le surnom de Ad. Fan de peinture et de mangas, végétarienne et respectueuse de l'environnement, elle n'avait d'intérêt ni pour les hommes ni pour les femmes. Elle n'avait qu'un ami, Edward, tout comme moi, qu'une amie, Julie, mon informatrice des secrets de ma perle rare. Nous avions seulement quinze ans et à ma plus grande tristesse, Ad n'a pas fait toute sa scolarité dans ce lycée.
D'après Edward, s'étant lié d'amitié avec nous, il connaissait mes sentiments pour son amie, et par la même occasion, avait fini par sortir avec Julie - j'avais bien remarqué que les deux se tournaient autour depuis un moment ! - les parents d'Adélaïde avaient divorcé et elle avait dû suivre sa mère au Québec alors que son père était resté dans notre petite ville. Edward m'avait aussi racontée, qu'en plus d'être timide, Adélaïde était mal dans sa peau et souffrait de quelque chose dont il n'avait aucune connaissance. Cette souffrance avait entraîné la séparation de ses parents, mais aussi son arrêt scolaire. Edward n'en savait pas plus, et je ne voulais pas être irrespectueuse en lui posant d'autres questions.
Le lycée passa à grande vitesse. J'eus mon bac et je partis dans une grande ville, avec mon père, pour étudier la musicologie et la sexologie.
J'étais inscrite en fac d'art thérapie et psycho, ce qui m'avait toujours plu. Pouvoir ajouter la musique en plus, allait être la meilleure façon de réaliser mon projet professionnel, devenir sexologue et soigner les troubles de mes patients par la musique. Sexomusicologue ? J'aurais inventé le terme peut-être...
J'étais donc en double licence et bien que ce soit un travail titanesque, je le faisais avec plaisir afin de rapidement entrer sur le marché du travail.
Julie était dans la même fac que moi, tout comme Edward. D'ailleurs, les deux étaient toujours ensemble et amoureux comme au premier jour, ce qui faisait vraiment plaisir à voir ! Ils louaient un appartement à dix minutes de l'université, étant notre repère le samedi soir. Julie avait intégré la classe de sociologie alors que Edward était en archéologie.
En dernière année de licence, nous étions un petit groupe de copains très liés depuis la première année. Il y avait Rémi et Claire, qui étaient dans ma classe en art thérapie musicologie, Agathe dans la classe de Julie, et Robin dans celle de Edward.
A la mi-novembre, un matin, alors que j'étais dans la lune - pour changer - un garçon assez androgyne est entré dans la classe accompagné d'une fille que j'avais déjà aperçu l'année passée lors des cours de psycho. Je le trouvais magnifique. Il se sont assis dans l'amphi au premier rang et se sont concentrés dès l'arrivée du professeur. Ce qui ne fut absolument pas mon cas. Le cours était certes passionnant mais je n'avais d'yeux que pour le nouveau. D'ailleurs Claire me fit la remarque avec un petit clin d'œil, me faisant froncer le nez et réfuter ses propos. A vrai dire, je n'arrivais toujours pas à oublier Ad, presque six ans après... Heureusement l'heure de midi sonna et nous rejoignîmes le reste de la bande au restaurant universitaire. Agathe et Julie y étaient déjà et nous avaient gardés les places. Robin arriva, comme à son habitude, tranquillement. Alors que nous racontions aux filles qu'il y avait un nouveau dans notre classe en psycho, Edward est arrivé, a claqué son plateau sur la table, nous surprenant, puis il a fait le tour de celle-ci et s'est planté devant moi avec des yeux mi-inquiets mi-glacials. Retenant un frisson, je l'interrogeai du regard.
- Faut qu'on parle de suite Alice ! Il y a un truc important qu'il faut que je te dise avant que tu ne t'en rendes compte... chuchota-t-il en se penchant vers moi.
- Après manger, non ? demandai-je toujours surprise.
- Non... Désolé, maintenant... Julie, viens aussi s'il te plaît...
- Et nous, nous ne pouvons pas savoir ? s'enquit Agathe qui n'a jamais eu la langue dans sa poche.
- Plus tard, pour l'instant c'est un sujet nous concernant tous les trois... Désolé les amis, nous vous abandonnons cinq minutes et nous revenons vite ! termina-t-il en nous entraînant par le bras.
Une fois dehors, le froid me saisit. Je vis que Julie grelottait alors je m'empressai de frotter ses épaules comme nous le faisions depuis petites.
- Vas-y crache le morceau avant que je ne meurs de froid ! s'exclama-t-elle en claquant des dents.
- Dommage qu'il n'y ait pas de chaise Alice, parce qu'il vaudrait mieux que tu t'assoies...
- Tu commences sérieusement à me faire flipper Ed ! déclarai-je les sourcils froncés.
- OK, je ne vais pas passer par quatre chemins... Ad est de retour, enfin, elle s'appelle Timothée maintenant, 'fin il... Bref, c'est devenu un garçon et elle... Raaah, IL a fait de la chirurgie esthétique... Il a été refusé aux Beaux Arts car son bulletin n'était pas assez bon. Il est arrivé dans ta classe aujourd'hui guidé par une copine, Aurélie, d'après ce que je sais...
Le silence se fit. Je ne sais pas si c'est le froid ou la nouvelle qui me fit trembler mais je n'étais même plus consciente de ce qu'il se passait autour de moi. Alors c'était ça... Il a toujours été aussi renfermé car il souffrait de dysphorie du genre... Je m'en voulu de ne pas l'avoir su plus tôt afin de lui apporter une quelconque aide, maintenant que j'avais plus de connaissance en psychologie et sexologie...
Julie me sortit de mes pensées en brisant le silence.
- Je peux savoir comment tu sais tout ça, mon cœur ?
- Quand j'étais à la bibliothèque hier en fin d'après-midi, en partant, j'ai surpris une conversation de Ad, enfin Timothée et de cette fille, Aurélie, il lui disait que c'était difficile pour lui de revenir ici, en sachant qu'il avait croisé des personnes avec lesquelles il était au lycée. Ce mec me disait quelque chose alors que j'étais sûr de ne l'avoir jamais vu. J'ai presque foncé sur eux et en se retournant, elle a écarquillé les yeux en disant « Ed ». C'est alors que ça m'a paru clair comme de l'eau de roche. J'ai parlé un moment avec eux puis Aurélie est rentrée chez elle. Nous sommes allés boire un pot et elle m'a raconté sa vie dans les grandes lignes, elle a vécu des trucs affreux... Par contre, pour toi elle n'est au courant de rien.
- Et tant mieux ! intervins-je. Je ne veux pas être une autre source de souffrance... Par contre arrête de jongler entre il et elle, c'est " il " un point c'est tout, même si je me doute que ce doit être perturbant pour toi...
- Franchement, c'est hyper perturbant ! Tu te rends compte que c'était ma meilleure pote depuis le collège... La voir disparaître du jour au lendemain avec une petite explication et ne plus donner de nouvelles, ça m'a blessé...
- Je le conçois Ed... Néanmoins pense à ce qu'il a vécu toutes ces années... Mais merci de me l'avoir dit...
- Bon, ce n'est pas que ça ne m'intéresse pas, grommela Julie, mais j'ai faim et je me pèle !
- Euh, en fait il y a autre chose...
- C'est obligé que je sois là ? geint-elle, me faisant rire.
- Non, je te le dirais plus tard, rentre... soupira-t-il avec un petit sourire en coin.
Elle tourna les talons en nous disant de nous dépêcher. Nous la regardions s'éloigner en nous moquant.
- Aller, balance Ed, tant que je suis encore sur Terre parce que dans cinq minutes je serais tellement dans mes pensées que si une bombe nucléaire explose je ne m'en rendrais même pas compte... ironisai-je.
- T'inquiète, ricana-t-il. Elle, commença-t-il me faisant froncer les sourcils. Rooh, il ! Il m'a dit que sa mère allait se remarier avec un homme qu'il n'avait vu que deux fois et qui avait une fille de son âge. Jusque là j'étais surpris mais sans plus. Apparemment, son fiancé se nomme Gauthier Vidal. Je me trompe si je fais un rapprochement avec ton père ou c'est une énorme coïncidence ?
Son explication eut le même effet que la bombe que j'avais imaginé quelques minutes auparavant. Le sol s'effondra sous mes pieds. Je savais que mon père fréquentait une femme, qui avait deux enfants, depuis un an environ. Je l'avais rencontrée une fois très rapidement, mais je n'avais jamais imaginé qu'elle puisse être la maman de Ad, enfin de Timothée... Mon père allait se marier avec la mère de la seule personne de laquelle je suis amoureuse depuis plus de cinq ans...
Un jour, nous avions étudié les textes d'un psychologue qui avait dit que la vie est injuste, peu importe comment on la voit, il y aura toujours quelqu'un qui souffrira de quelque chose... Voilà, j'y suis...
Ed me sortit de ma torpeur. Voyant mes jambes flageolantes, il m'aida à m'amener à notre table. Tout le monde avait l'air mort d'inquiétude mais je n'y fis pas attention. Ed prévint Julie qu'il lui parlerait le soir. Les autres voulurent vraiment savoir, en revanche, je restais dans un état léthargique et cotonneux impressionnant. Le reste de la journée se passa exactement de cette façon, à tel point que ce fut Claire qui prit les notes pour nous deux, lors de nos derniers cours.
En rentrant chez moi, mon père était déjà là. D'habitude je rentrais avant lui et préparais le dîner, cependant, ce soir, il avait l'air de m'attendre, accoudé à la table de la cuisine de notre petit appartement. Un large sourire barrait son visage. Néanmoins, celui-ci disparu aussitôt lorsqu'il vit ma tête de zombie habituellement énergique et souriante.
Il me pria de m'asseoir et me demanda ce qui clochait. Ce à quoi je lui répondis, plus froidement que je ne l'aurais souhaité, qu'il avait quelque chose à me dire. Il parût surpris et confirma tout ce que Ed m'avait dit le midi.
- Est-ce que c'est le fait que je me remarie qui te perturbe autant ou il y a autre chose que tu ne veux pas me dire ? s'enquit-il.
En temps normal, je confiais tout à mon père. Il m'avait soutenu de mes treize à mes vingt-et-un ans. C'était impossible... Je ne pouvais pas lui avouer qu'il allait se marier avec la mère de la personne que j'aime depuis le lycée...
Alors je ravalai mes pensées et essayai de le convaincre que la journée avait été éprouvante, rien de plus. Je sais qu'il accepta mon explication sauf que mon père était la personne qui me connaissait le mieux sur cette Terre. Il reviendrait à la charge lorsque je m'y attendrais le moins...
- Ce week-end, nous sommes invités chez Marie pour faire les présentations officielles. J'espère que tu n'as rien de prévu ?
Malheureusement non, pensai-je.
- Non, j'irais voir Maman celui d'après. Il y aura du monde ?
- Je ne pense pas. La connaissant, elle voudra sans doute faire ça en petit comité. Il y aura certainement Delphine sa fille de seize ans et Timothée son fils aîné. Par contre, il faut que je te prévienne de quelque chose. Timothée a un passé compliqué et difficile, donc si jamais tu as des questions de psycho à lui poser, attends peut-être... s'inquiéta-t-il.
- Si tu as peur que mes questions t'empêchent d'épouser la femme que tu aimes, ne t'en fais pas, je garderai ma bouche bien fermée quitte à me mordre la langue lorsqu'une question me démangera ! ironisai-je pour détendre l'atmosphère. Bien que ce soit difficile pour moi que tu épouses cette femme-là et non une autre...
- D'accord, super ! Merci d'être aussi compréhensive ma chérie ! s'exclama-t-il joyeusement. Et, il est prévu que nous aménagions cet été dans une maison que nous avons choisi et que nous vous ferons visiter au passage.
- OK, tu as d'autres choses incroyables à m'annoncer ou ça ira pour ce soir ?
- Nous nous marions le mois prochain, avant Noël...
- Bien, je pense que ça ira pour mon pauvre cerveau ! Merci papa de m'avoir tout dit, j'imagine que tu te sens mieux ?
- En effet... Mais toi, est-ce que ça va ?
- Oui oui ! m'exclamai-je en débarrassant la table. Bon je monte, j'ai du boulot et je dois me coucher tôt. Bonne nuit !
- Bonne nuit ma chérie !
Je n'en pouvais plus... Je voulais pleurer et m'enterrer dans le jardin de la résidence...
Alors que j'étais en train de relire pour la énième fois la même phrase de mon cours de sexologie, j'entendis mon père au téléphone qui semblait être en conversation avec Marie. Un « c'est bon pour ce week-end » et un « non elle ne l'a pas mal pris mais elle semblait perturbée par quelque chose » arrivèrent à mes oreilles. J'étais une boule de nerfs à cet instant. Dans un mélange de colère, de tristesse et de frustration. Je finis mes cours à la va-vite et entreprit une séance de méditation afin de outre passer ses émotions néfastes.
Je finis par m'endormir car je me réveillai dans la position du lotus juste avant la sonnerie du réveil. Mes jambes étaient parcourues de fourmis, c'était horrible. Je mis bien une dizaine de minutes à les récupérer !
La semaine passa rapidement, très rapidement... Et le fameux week-end tant attendu – sarcasme ! - arriva en grandes pompes !
Il faisait doux, je décidai de me vêtir de façon sobre et classe pour ne pas choquer ma futur belle-mère - étant déjà pleine de tatouages à mon âge et les oreilles très percées, habituellement vêtue dans un mélange de punk, baba-cool, Hip-hop, grunge, années 20 et 50' - oui, sacré mélange... - je revêtis ma salopette noire avec une petite chemine noire à col blanc et manches courtes, sous une longue veste en laine blanche et chaussée de Dr Martens noires courtes. Je coiffai mes cheveux bruns courts et bouclés sur le dessus, avec des barrettes, qu'en temps normal je laissais vivre leur vie. Je mis un trait d'eye-liner ainsi qu'une touche de rouge à lèvres bordeaux. Une fois prête je rejoignis mon père qui siffla et me félicita pour l'effort.
Il est vrai que je ne prenais jamais le temps de m'apprêter avant les cours le matin, préférant étreindre mon oreiller plus longtemps... Ou peut-être était-ce pour attirer l'attention de Timothée qui ne m'avait jamais regardée ?
Papa aussi était très classe, encore plus que d'habitude. Étant VRP, il devait toujours être bien sapé, mais là, j'admis qu'il avait aussi fait pas mal d'effort. Son parfum Eau Sauvage de Dior embauma l'habitacle de la voiture, me détendant un petit peu.
Au bout d'un bon quart d'heure de trajet, nous arrivâmes devant une petite maison avec un étage. Mon père avait acheté des fleurs et une bouteille de vin. Je me sentis nulle d'arriver les mains vides... A part faire une séance de musicologie à qui veut, je ne pouvais rien proposer d'autre...
Une magnifique femme de l'âge de Papa, grande et mince, nous ouvrit la porte. Je ne me souvenais pas qu'elle était aussi belle. Elle embrassa mon père comme s'ils ne s'étaient pas vu depuis une éternité et se tourna vers moi avec un splendide sourire. Elle avait les cheveux marron cuivré, des yeux noirs qui me rappelèrent beaucoup ceux de Timothée et un visage d'une harmonie renversante.
- Que tu es belle ! s'exclama-t-elle en me prenant dans ses bras, me surprenant car je me trouvais tout à fait banale et que je n'étais pas hyper tactile. Entrez ! Timothée, Delphine ! Ils sont là ! chantonna-t-elle joyeusement.
Une adolescente, tout à fait adorable, descendit les escaliers avec un sourire tellement grand que l'on aurait dit le Chat du Cheshire. Elle salua avec réserve mon père puis se tourna vers moi et me fit une bise timide sans pour autant perdre son sourire. Pendant ce temps mon père tendit la bouteille et le bouquet à Marie qui le remercia avec un baiser. Elle nous amena au salon où je pris place sur un fauteuil à une place. C'est alors qu'il descendit. Sortant certainement de la douche puisque quelques mèches étaient encore mouillées. - Un pur cliché digne d'une romance, les clichés viennent bien de quelque part de toute façon, n'est-ce pas ? - Je crus défaillir tellement je le trouvai beau. Son visage était toujours aussi affiné mais sa prise de muscles, bien que fins était impressionnante par rapport à ce qu'il était au lycée, et la pilosité, n'en parlons pas... Il portait un T-shirt noir à manche longue avec Maître Yoda dessus et un jean slim gris retroussé au cheville. Il était pieds nus, et, n'admirant pas vraiment les pieds, je reconnu que les siens étaient jolis.
Je me ressaisis avant que quelqu'un ne remarque que je venais de le scanner de haut en bas. Il serra la main de mon père et me salua de loin en un hochement de tête.
- Timothée ! réprimanda Marie. Tu peux lui faire la bise, elle ne va pas te mordre.
- Non, ce n'est pas obligatoire je vous assure... tentai-je de la rassurer.
- Alice, commença mon père, n'est pas très tactile avec les gens à vrai dire... C'est un peu de notre faute à sa mère et moi, nous ne l'avons jamais été à son égard, alors maintenant elle ne l'est pas non plus, expliqua-t-il l'air embarrassé.
- Alors mon étreinte a dû te mettre mal à l'aise ? s'enquit Marie.
- Non, non, ne vous en faites pas, j'ai une amie d'enfance qui passe son temps à me toucher dès qu'on se voit, donc j'essaie de m'y habituer quand c'est une autre personne...
Je rougis en voyant la tête que tiraient Timothée et sa sœur, je n'avais pas songé au fait qu'il pouvait y avoir un sous-entendu.
- Julie est comme sa sœur, elles ne se sont jamais quittées depuis l'enfance. Elle est dans la même fac que Alice, raconta mon père comme si ma vie intéressait tout le monde.
Cela ne parut pas déranger Marie qui acquiesça en souriant, néanmoins, je pus constater un froncement de sourcils de la part de mon amour secret.
- Tu es en double licence d'art thérapie et de sexologie, c'est bien ça ? m'interrogea Marie curieuse.
- En effet... me forçai-je à sourire.
- Quelle coïncidence, Timothée est en psycho dans la même fac que toi, vous avez déjà peut-être dû vous croiser en cours ?
- Non, je n'ai pas fait attention aux personnes de ma classe, coupa-t-il plutôt froidement.
- Ce n'est pas un problème, intervins-je gênée, nous sommes nombreux en dernière année de psychologie.
Il parût complètement perturbé par cette conversation car ses sourcils étaient encore froncés.
- Et toi Delphine, le lycée se passe bien ? demanda mon père pour adoucir l'atmosphère légèrement électrique.
- Oui, mais je m'ennuie, j'aurais aimé partir en lycée professionnel mais maman préfère que j'ai le bac avant d'y entrer.
- Tu aimerais faire quoi ? demandai-je avec intérêt.
- J'aime beaucoup fleuriste ou styliste ! répondit-elle contente que quelqu'un s'en soucie.
- Marie a raison, c'est bien si tu as un bac parce que l'avantage, c'est que tu pourras passer ton CAP en un an au lieu de deux et ainsi accéder plus rapidement aux filières supérieures, expliquai-je.
- Tu as l'air de t'y connaître ! sourit Marie.
- Euh oui... En fait, je m'étais renseignée pour aller en lutherie mais comme je suis nulle en maths, j'ai continué les études dans la filière littéraire.
- Oh c'est intéressant ! admit-elle. Et je t'en supplie Alice, tutoie-moi ! C'est un vrai calvaire de t'entendre dire 'vous' ! rit-elle. Bon, nous allons continués de discuter à table, le repas est prêt et nous avons encore beaucoup de choses intéressantes à nous dire.
Le déjeuner se déroula agréablement. Bien que Timothée restait silencieux et répondait plus ou moins avec motivation aux questions que mon père et moi lui posions, nous entamâmes le dessert joyeusement. Delphine monta dans sa chambre après avoir débarrassée et Marie pria Timothée de me montrer son atelier. Cela parût l'ennuyer au plus haut point mais il capitula lorsqu'elle lui fit la promesse que nous partions bientôt visiter la maison.
- Tu n'es pas obligé, lui dis-je une fois dans le couloir.
- Obligé de quoi ?
- De me montrer ton atelier... Je n'ai pas envie que tu fasses quelque chose à contre cœur surtout quand ça me concerne... Un atelier c'est intime... répondis-je gênée.
- Tu vas devenir ma sœur, je suis un peu obligé de t'intégrer non ?
La réplique me tordit le ventre, me donnant la nausée. Je n'avais absolument pas envie de devenir sa sœur. Déjà que la possibilité de sortir avec lui était mince alors maintenant il n'était même plus question d'y songer...
- Non, tu n'es obligé de rien du tout. Tu es libre de ne pas m'accepter, tout autant que le contraire.
- Voilà la psy qui parle ! se moqua-t-il.
- Comment ça ? Tu ne me connais même pas ! rétorquai-je un peu vexée.
- Ton père m'avait prévenu que parfois tu as tendance à dédramatiser les choses pour mettre les gens à l'aise et tu viens de lui donner raison.
Mon cœur se figea. Il venait d'arborer un sourire, que je ne lui connaissais pas, absolument radieux. Alors il aimait taquiner les gens... Il allait être servi avec moi !
- Méfies-toi alors, je pourrais essayer de faire tomber tes barrières et pénétrer ta carapace petit Padawan ! ris-je.
Il écarquilla les yeux mi-amusé mi-surpris. Puis tout à coup, comme s'il venait de réfléchir à ce que je venais de dire, il se renfrogna.
- Non merci, personne n'a réussi et ce n'est pas demain la veille que ça arrivera, alors ta psychologie tu te la gardes, je participe aux mêmes cours que toi je sais ce que tu essaies de faire.
- Je ne voulais pas te blesser, me défendis-je, je voulais simplement rigoler sur la pique que tu venais de m'envoyer... Désolée...
Il balaya ma réponse de la main, ce qui commença à m'énerver, un brin... Le type peut chambrer les autres et non l'inverse ! Super !
- Tu es la meilleure amie de Julie du coup ? me demanda-t-il subitement. C'est la copine de Ed n'est-ce pas ?
- Oui, tout à fait.
- Donc, tu sais qui j'étais ?
- En effet... Mais sache que ton passé ne me regarde pas, je te connais maintenant en tant que Timothée mon futur frère.
La fin de ma réponse m'étouffa presque.
- OK, ça me va, parce que de toute façon tu n'en sauras pas plus, trancha-t-il, le regard noir.
Il tourna les talons en me laissant en plan dans le couloir. Bien... Très bonne première approche ! Une chose est certaine, son conflit intérieur n'est toujours pas guéri. D'autant plus s'il n'a pas pu intégrer l'école qu'il souhaitait. Cette pensée me peina beaucoup pour lui. J'aurais tellement adoré qu'il soit enfin épanoui. Après tout, si une dépression n'est pas soignée à la base, elle sera persistante même si l'on change de sexe, d'apparence ou de fréquentation.
Marie m'appela pour monter en voiture. Nous étions tous les trois assis à l'arrière. Heureusement, Delphine a eu l'extrême gentillesse de s'asseoir au milieu. Timothée brancha ses écouteurs et regarda par la fenêtre tout le trajet, qui me parût une éternité... Nous arrivâmes devant une immense maison blanche en pleine ville, dans un quartier plutôt huppé. Il y avait visiblement deux étages et une cave.
Papa et Marie étaient hyper excités, comme des gosses avant d'ouvrir leurs cadeaux de Noël.
Le jardin était assez grand à l'arrière. Devant, il y avait une cour de gravier avec un banc et un petit bassin, vide pour l'instant. La cave était en fait un garage où il y avait la possibilité de mettre deux voitures et d'autres choses. Je compris que Timothée allait y garer sa moto – la classe !
Le rez de chaussé était les pièces à vivre avec un toilette. Le première étage avait cinq chambres et deux salles de bain. Delphine choisit la chambre du fond qui était spacieuse avec une grande fenêtre donnant sur la cour. Les parents avaient celle qui avait la salle de bain privatisée et un petit balcon. La mienne était entre celle des parents et celle de Delphine. Très lumineuse avec un balcon donnant sur le jardin. A mon plus grand regret, car ça allait être difficile, Timothée avait choisi la chambre en face de la mienne et à côté de la chambre d'ami.
Ils nous montrèrent le troisième étage qui était séparé en deux pièces très vastes. Marie avait eu l'idée d'installer d'un côté ma pièce pour la musique, et de l'autre l'atelier de peinture de son fils. Cela me donna un peu de joie de me dire qu'il ne l'avait pas abandonnée malgré les moments difficiles...
Le week-end passa rapidement. Timothée ne m'avait plus adressée un seul mot depuis " l'altercation " dans le couloir mais j'avais pu me rapprocher de Delphine qui était une jeune fille tout à fait charmante et intéressante.
Les cours étaient intenses cette semaine. Je croisais le regard de Timothée de temps en temps en psycho mais rien de plus, même pas une salutation dans le hall le matin. Ed avait essayé de l'intégrer à notre groupe, sous les encouragements de Aurélie qui sortait avec un garçon avec lequel elle passait le plus clair de son temps. Cependant, Timothée avait fait comprendre à tout le monde qu'il préférait rester seul. Je l'observais de loin. Tous les midis, avec ses écouteurs vissés sur les oreilles, il griffonnait son carnet de croquis en mangeant son sandwich. Je l'ai vu repousser plusieurs filles intéressées et quelques garçons. En envoyant les autres sur les roses, j'eus de plus en plus de peine pour lui.
- Arrête ! me sortit Julie de mes pensées. C'est inutile Alice, tu te fais plus de mal que de bien là !
- Je sais... Mais malgré son mauvais comportement je ne peux pas m'empêcher de l'aimer encore comme au premier jour... soupirai-je éreintée.
- Tu l'aimes parce que tu veux le sauver ou c'est toujours le même amour que tu éprouvais au lycée ? demanda Agathe qui connaissait maintenant toute l'histoire.
- Comme au lycée... Et d'autant plus maintenant, je le trouve resplendissant en homme... J'ai tellement envie d'être bercée par son étreinte...
- Oh... Je crois qu'on l'a perdu les amis ! s'exclama Claire moqueuse.
- Elle qui ne supporte pas d'être touché, c'est bien une première ! intervint Ed.
- Elle est tactile avec moi ! Fous lui la paix d'ailleurs ! me défendit Julie.
- Oui mais toi ce n'est pas pareil ! rétorqua-t-il. J'aimerai tellement pouvoir vous mettre ensemble pour que vous soyez enfin heureux ! s'exclama-t-il en serrant un poing de défi.
- Ce n'est pas nécessaire Ed, le calmai-je, je ne pourrais plus espérer quoi que ce soit maintenant que nos parents vont se marier, et de toute façon, les fois où il est perdu dans ses pensées, il a un regard amoureux qui ne sera certainement jamais tourné vers moi donc stop, on arrête ! déclarai-je avec un sourire faux.
Je repliai mes livres que j'avais sorti en mangeant pour réviser mes partiels, débarrassai mon plateau et quittai la salle avant de sangloter devant eux. Je ne vis pas que Julie avait tuer Ed du regard et qu'elle leur avait dit que j'allais sûrement me cacher pour pleurer, comme depuis toujours.
C'est en effet ce que je fis. Je partis me réfugier dans un coin du parc de l'université pour pleurer tout mon saoul et essayer de passer à autre chose. Pour cela, j'allais toujours au même endroit. Dans un petit bosquet où il y avait quelques buissons et un énorme cèdre. J'adorais m'appuyer sur son tronc et me laisser aller, au moins une fois de temps en temps, ça fait du bien.
J'étais donc en train de tout relâcher complètement lorsque des pas près du bosquet me calmèrent immédiatement. Je me retournai et tombai nez à nez avec Timothée. Pourquoi moi !
- Un problème ? demanda-t-il presque glacial.
- Non, ça va, je ne savais pas que tu étais là, sinon j'aurais été ailleurs... reniflai-je en sortant un mouchoir.
- Je t'ai vu sortir du restaurant avec une drôle de tête et venir ici. Je me demandais ce que tu allais faire et je n'étais pas vraiment étonné quand tu t'es mise à pleurer, répondit-il sans détour.
- Super ! ironisai-je. J'ai horreur qu'on me voit comme ça et d'autant plus quand c'est un membre de ma famille... expliquai-je embarrassée.
- Je ne suis pas ta famille et je ne le serais jamais, trancha-t-il l'air irrité, me blessant profondément. Seuls nos parents deviennent une famille, nous sommes assez grands pour fonder la notre chacun de notre côté. Tu as dit que je n'étais pas obligé, et bien voilà, je ne veux pas que vous fassiez partie de ma famille ton père et toi. Ma mère a le droit d'être heureuse avec ton père et je lui souhaite de l'être mais je ne vous accepterai jamais.
Au moins c'était dit. J'avais envie de pleurer encore plus, néanmoins, je me retins. Pourquoi venir me dire toutes ces choses horribles alors qu'il a vu que j'allais mal ?
- Merci pour ta franchise, commençai-je sans contenir ma colère. Je souhaite aussi le bonheur de mon père, ta mère le mérite tout autant. Alors fais en sorte de l'accepter au moins lui car il ne te jugera jamais et il t'apprécie déjà beaucoup. Pour info, il m'a demandé d'être indulgente avec toi à cause de ton passé douloureux. Sauf que tu n'as pas l'air de vouloir en sortir. Si tu veux y rester je t'en prie, mais ne nous gâche pas la vie. Si tu ne veux pas me voir, aucun problème, je me débrouillerai pour ne pas que l'on se croise. En revanche, l'amour ça ne se contrôle pas donc soit clément avec mon père, il n'a pas fait exprès de tomber amoureux de ta mère. Et arrête de t'apitoyer sur ton sort, il y a plus malheureux que toi sur cette foutue planète. Tu as déjà tout ce que tu pourrais avoir, tu as pu changer, des gens s'inquiètent pour toi mais non, tu restes dans ton nuage noir au lieu de simplement sortir de cette déprime constante pour évoluer ! Si tu es venu dans le but de me faire du mal alors que je ne vais pas bien, grand bien te fasse, mais sache que ça ne m'empêchera pas de m'installer sous le même toit que ta famille. Mon père est le seul sur lequel je peux compter et je ne peux pas vivre sans lui avant la fin de mes études. Vivre à ses crochets c'est très dur pour moi et c'est pour ça que je m'évertue à faire une double licence, pour finir plus vite afin qu'il ne m'entretienne plus. Mais ça, tu t'en fous puisqu'il n'y a que ton petit monde qui compte. Tu te fiches des sentiments des autres alors ta déprime et toi allez vous faire voir et foutez-moi la paix !
Suite à ma tirade qui le laissa coi, je partis en courant vers les commodités, en pleurs, bien sûr, histoire d'agrémenter l'agréable tableau que je venais de peindre, dans un mélange du Cri de Munch et de La femme qui pleure de Picasso, une scène haute en couleur !
Ma meilleure amie me trouva enfermée dans un toilette comme une petite Hermione Granger qui craque, heureusement ou malheureusement, sans Troll... Je lui racontai tout ce qu'il s'était passé. Elle râla après Timothée mais fut ébahie que j'ai réussi à lui faire des remontrances sans balbutier...
Je partis chez ma mère et ne le revis pas.
A mon retour, Papa me demanda, inquiet, ce qu'il s'était passé avec Timothée. Il avait passé le week-end chez Marie et à leur plus grande surprise à tous les deux, il semblait avoir un peu changer de caractère, s'intéressant et participant plus aux conversations en revanche, paradoxalement, il paraissait aussi plus triste. Il s'était remis à peindre et Marie avait confié qu'il avait redemandé à voir son ancien psychologue.
Surprise, je racontai à mon père la conversation pimentée que nous avions eu, sans pour autant lui révéler que j'avais pleuré parce que je suis irrévocablement amoureuse de ce foutu mec.
Le lundi matin, j'arrivai tranquillement devant la fac, le bonnet vissé sur la tête, emmitouflée dans mon écharpe avec seulement mon petit nez rouge et mes yeux qui dépassaient de toutes ses couches de tissu. Je fus choquée un instant. Timothée parlait avec mes amis. Il ne souriait pas mais avait l'air intéressé par ce que racontait les autres.
Je m'approchai d'eux, et saluai, comme d'habitude, tout le monde de loin, sauf Julie qui me sauta dessus pour me faire un bisou sur le nez. Timothée me regarda un instant puis reprit sa conversation avec les gars. La cloche sonna et nous rentrâmes en cours. Je m'assis au troisième rang entre Rémi et Claire puis je vis quelqu'un s'asseoir à côté de Rémi. Je tournai la tête et tombai dans les yeux noirs. Ses yeux noirs. Il parla un peu avec mon pote et le cours commença. Claire glissa un petit papier dans ma trousse.
" Tu ne trouves pas ça étrange que d'une semaine sur l'autre il s'adresse à nous comme à des bons copains ?
- En effet... C'est sans doute parce que je l'ai un peu réprimandé sur le fait qu'il est trop sur son nombril... "
Ma réponse lui fit écarquiller les yeux. Elle se redressa et me regarda comme si j'étais un alien. Je lui murmurai que je lui raconterai à la pause.
Ce que je fis dans la plus grande discrétion, en bâillonnant Agathe qui avait envie de gueuler sur tout les toits que " c'était peut-être le début de l'amour " .
Julie rit de bon cœur et nous finîmes par rejoindre les garçons.
J'admets, mon comportement était totalement puéril...
Toutes ces semaines-là, je blaguais avec mes amis et restais froide pour lui faire comprendre que je n'avais pas encore digéré.
Le mariage arriva. Il était simple et très chaleureux. Nous étions tous les cinq. J'étais la témoin de mon père et Timothée de sa mère. Nous sommes allés au restaurant puis le soir, les parents avaient prévu un banquet froid avec nos deux familles, des voisins de Marie et des collègues de mon père. Je bus raisonnablement jusqu'au moment où je fus un peu terrassée par la fatigue. Je sortis devant la maison et m'assis sur le trottoir. La chanson ' Blues trottoir ' me vint en tête et je me mis à la fredonner. Quelqu'un s'assit à côté de moi. Je tournai la tête et vit un des neveux de Marie qui avait la trentaine. Il avait l'air extrêmement saoul et au vu de l'odeur, je le suspectai d'avoir fumer un joint. Nous parlâmes, ou du moins j'essayai de lui parler, un moment de tout et de rien. Il se pencha vers moi avec son haleine alcoolisée et entoura mes épaules de son bras. Je crus qu'il allait m'embrasser alors pour le repousser, j'enlevai son bras de mon épaule et je lui dis vaguement que j'étais déjà amoureuse de quelqu'un. Il me répondit de la plus lourde et machiste des façons, ' chui pas jaloux '.
La moutarde commença sérieusement à me monter au nez. Alors qu'il remit son bras sur mes épaules en me pressant contre lui, je me retournai dans le but de lui mettre une gifle, cependant je fus stoppée par une voix que je ne connaissais que trop bien. Timothée attrapa le bras de son cousin qui tenait mes épaules en le prévenant que je n'étais pas tactile et que j'avais peur des garçons. Son excuse me mit encore plus en colère et je lui criai de se mêler de ses oignons. Il emmena l'ivrogne dans la maison, je me laissai retomber sur le bitume comme un vieux chewing-gum ayant perdu sa saveur, qu'un crado cracherait.
Pourquoi subir tout ça ? Il me restait encore six mois à tenir et j'allais peut-être réussir à avoir mes bourses d'étude pour mes années de master... Ce qui signifiait que je pourrais prendre un appartement et ne plus le voir que le week-end...
Emménager ensemble allait être la chose la plus difficile de toute ma vie ! Je soupirai à cette pensée et le bruit de la porte me fit sursauter.
- Je t'ai mise en colère ? demanda Timothée en s'asseyant à un mètre de moi.
- Je l'étais déjà, tu n'as fait que l'accentuer, répondis-je franchement.
- J'aimerai qu'on enterre la hache de guerre si tu veux bien ?
- Pourquoi ? Tu veux enfin accepter mon père ?
- Ton père je l'ai déjà accepté depuis un moment... C'est avec toi que j'avais du mal.
- Et pourquoi ? Qu'est-ce que je t'ai fait bon sang ?!
- Tu es intelligente, tu sais qui j'étais au lycée, ce qu'il s'est passé dans ma tête et mon corps...je dois avouer que ça m'a fait peur... Puis je me suis un peu remis en question suite à ce que tu m'as dit, j'ai décidé de revoir mon psychologue, déjà parce qu'il fallait que je le revois à mon retour de Montréal, mais aussi parce que tu m'as fait réaliser que je n'avais pas fait la paix avec mon passé.
- Oh... J'en suis contente pour toi... balbutiai-je étonnée.
- J'ai appris à te connaître aussi et j'ai compris que pas un instant depuis que tu es venue chez moi la première fois, tu ne m'as jugée, ni en tant que psychologue et sexologue, ni en tant que personne... Ton père m'a dit que tu es pansexuelle, tu lui confies vraiment ce genre de chose ? se moqua-t-il gentiment.
- Qu'il est chiant... soupirai-je, c'est plus fort que lui... Il essaye toujours de me justifier pour un oui ou pour un non ! Comment se fait-il que vous en êtes venus à parler de ma sexualité ?! m'agaçai-je.
- En fait tu m'intrigues, surtout depuis le savon que tu m'as passée alors comme tu te montrais froide et que j'ai décelé que ton père est au courant de presque tout de toi, je lui ai simplement posé les bonnes questions et il y a répondu avec brio ! Les cours de psycho sont vraiment utiles !
Mon cœur se figea pour la deuxième fois. Le sourire qu'il m'avait fait dans le couloir après m'avoir taquinée, c'était celui-là mais avec en plus des yeux pétillants. Je crus faire un arrêt cardiaque. Ce type allait finir par me tuer ! Je repris contenance et jouai toujours la carte de la fille blasée.
- Super... Maintenant que tu sais tout de moi, je ne vois pas en quoi ma sexualité à influencer ton jugement à mon égard...
- La communauté LGBTQIAP est une grande famille tu ne crois pas ?
- Donc si j'étais hétéro, ça serait toujours la guerre ?!
- Non, non ! Ne te méprends pas... Ce n'est pas ce que je voulais dire... Tu as une personnalité intéressante peu importe ta sexualité ! se rattrapa-t-il.
- Merci, ton compliment me touche sincèrement... Mais je ne comprends pas, pourquoi ce soir ? Pourquoi tu ne m'as pas dit tout ça avant ?
- Parce que quand tu étais à la fac, chez Julie et Ed, et même ici, je n'avais pas le courage d'affronter ton regard noir... Puis tu n'étais pas là quand j'étais en état d'ébriété... Hors ce soir c'est le cas !
- OK... J'accepte d'enterrer la hache de guerre. De toute façon, je vais certainement avoir mon appartement l'année scolaire prochaine. Je ne veux plus dépendre de mon père, je sais qu'il s'éreinte à travailler dur pour me payer mes études et mes cours de musique, donc je me débrouillerai pour donner des cours de piano, de guitare et de guitare basse en parallèle de mes cours d'université. Tu n'aurais donc pas eu à me supporter !
- Tu sais que ça va l'attrister que tu veuilles partir plus tôt que prévu ?
- Je suis au courant... Je le connais mieux que quiconque mais maintenant il a sa vie avec Marie et puis Delphine aura besoin de soutien elle aussi pour sa scolarité. Toi aussi, si tu souhaites intégrer les Beaux Arts ce n'est pas trop tard tu sais, mais il faudra financer tout ça et je ne peux plus être une charge pour lui, et dorénavant pour ta mère...
Timothée émit un petit rire étouffé. Je me tournai vers lui, surprise par cette jovialité soudaine.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu te moques encore de moi ? demandai-je sur le ton de l'humour.
- Non, du moins pas tout à fait, tu me fais penser à elle...
- A qui ? interrogeai-je en haussant les sourcils.
- A mon ex... souffla-t-il.
- Oh... Je ne sais pas trop si je dois le prendre bien ou mal là... ricanai-je mi-embarrassée mi-blessée.
- C'est un compliment... J'ai toujours du mal à l'oublier et ça n'aide pas, tu me fais beaucoup penser à elle...
- Génial... soupirai-je confuse. Je suis pourtant bien banale et je n'intéresse personne. Elle a su t'intéresser et j'imagine qu'elle doit être très belle car tu es bel homme ! souris-je pour cacher mon embarras.
- Elle est tout ce que j'aime chez une femme sauf que c'est terminée depuis plus de deux ans. Elle est à Montréal, elle a un copain et ils se sont fiancés... Mais tu sais, ajouta-t-il en me regardant avec sérieux, tu l'es aussi Alice...
- De quoi ?!
- Belle, de quoi on parle là ?! se moqua-t-il.
- Euh... merci... balbutiai-je sentant le rouge me monter aux joues. Ce n'est pas pour autant que je le pense et la preuve est bien là, je suis seule...
- C'est faux ! Tu n'ouvres pas les yeux... On dirait qu'il y a un filtre devant toi. Regarde, par exemple, mon cousin de trente ans est célibataire parce qu'il est très difficile, il vient de tenter de t'embrasser !
- Il était complètement bourré et il avait fumé de l'herbe ! Quel exemple ! renchéris-je avec sarcasme.
- Rooh que tu es agaçante ma parole ! ironisa-t-il. Tu ne vois pas tous les mecs qui te regardent en cours ? Et cette fille qui vient toujours à la bibliothèque le mercredi et se met tout le temps la table derrière toi pour te regarder au lieu de bûcher ses bouquins ?!
- Hein ?! m'exclamai-je choquée. Je n'ai jamais remarqué tout ça ! Tu dis n'importe quoi !
- Crois-le ou non, c'est la vérité... soupira-t-il l'air fatigué.
- En tout cas, merci pour tes excuses et surtout, d'être revenu vers moi...
- C'est normal, nous sommes une famille maintenant ! sourit-il en se relevant et en rentrant dans la maison.
Oui... Nous sommes une famille et je ne pourrais plus du tout m'imaginer t'avoir à mes côtés en me réveillant le matin...
Une question me vint tout à coup à l'esprit... Comment avait-il remarqué que tous ces gens me regardent ? Cette pensée et les compliments qu'il m'avait fait plus tôt me rendirent cramoisie. J'attendis une bonne dizaine de minutes avant de rentrer moi aussi.
L'hiver passa avec peu de neige et beaucoup de pluie. Dommage, j'aurais préféré les flocons... Le mauvais temps nous permit de nous rapprocher. Timothée s'ouvrit de plus en plus à moi. A tel point que je connu tout de son passé grâce aux trajets que nous effectuions en bus tous les soirs. Il m'expliqua que ce n'est pas seulement à cause de la mutation de Marie qu'ils sont partis au Québec. Ses parents ont divorcé car son père est un catho extrémiste qui n'acceptait pas la dysphorie de son enfant. Disant à sa mère qu'il était certainement possédé ainsi que d'autres horreurs et inepties du type. Il a même failli le faire enfermer dans un hôpital psychiatrique mais heureusement, Timothée était tombé sur son psychologue qui a pu l'aider et éclaircir qui il était vraiment. Petit à petit il changea. Sa mère accepta les révélations, sa sœur tout autant, cependant, son père était de pire en pire. Afin de protéger ses enfants, Marie demanda le divorce. Quelques semaines plus tard, elle apprit qu'elle était mutée à Montréal pour une durée de trois ans. Pendant ce temps, Timothée avait pu obtenir l'attestation de son psychologue pour pouvoir changer de nom et de sexe en subissant des opérations chirurgicales. Le Québec étant beaucoup plus au point que la France sur le sujet, ainsi que dans la durée des opérations, Marie accorda à son fils de devenir celui qu'il souhaitait être depuis toujours. Ce fut douloureux, difficile et très long, néanmoins, le résultat satisfit tout le monde. L'acceptation des autres mit plus de temps et finit par aboutir de façon positive. Ainsi, Timothée et moi, devinrent très complices, au plus grand bonheur de nos parents qui furent soulagés de constater notre bonne entente.
Cependant, je souffrais en silence et de plus en plus. Lorsque nous passions le week-end chez Marie, je dormais dans la chambre de Delphine, sur un matelas d'appoint. Imaginer que Timothée était dans la chambre d'à côté me perturbait au plus haut point. Je dormais extrêmement mal. Mes sentiments ne faisaient que grandir car plus il s'ouvrait à moi, plus j'en étais amoureuse. En bref, je n'aurais jamais cru souffrir autant d'amour en apprenant à le connaître, au grand damne de mes amis qui me voyaient endurer tout ça en silence. Claire et Agathe étaient persuadées que je finirais avec un ulcère à l'estomac ou un cancer. Robin et Rémi pariaient que je n'arriverai jamais à lui dire, Julie était morte d'inquiétude et voulait me faire rencontrer un tas de personnes pour l'oublier. Quant à Ed, il était toujours certain, d'être le génie de la lampe qui réaliserait mon souhait. Je préférais qu'il se taise plutôt que de mettre le bazar encore plus...
J'eus ma double licence. Pas avec les doigts dans le nez tout de même mais le résultat, c'est le plus important ! J'avais aussi obtenu mes bourses qui me permettraient de vivre en autonomie. A cette annonce, Papa et Marie furent extrêmement tristes comme je m'en doutais. Pour autant, je les rassurais en leur disant que je viendrais régulièrement pour faire de la musique dans ma petite pièce du deuxième étage et que je viendrais un week-end sur deux.
Nous déménageâmes tous les cinq dans la nouvelle maison et ce fut un moment très jovial. Aidés de la famille de Marie, y-compris du cousin ivrogne et lourd, tout se passa très bien et la crémaillère nous permit de rencontrer nos nouveaux voisins très sympathiques.
A la fin de notre installation, Papa nous annonça que nous partions, en famille en Espagne pour quinze jours. J'étais déjà perturbée par le fait de dormir dans la chambre en face de celle de Timothée, et je crus comprendre, que pendant ces quinze jours, nous allions dormir tous les trois dans la même chambre... Oh Dear, i will die ! Moriré ! 死んだよ。(shindayo !), bref, je suis morte !
Ce séjour fut très intéressant. Je découvris un Timothée très canon dans son short de bain Dragon Ball Z et un Papa encore plus amoureux que jamais. Il faut dire que ma belle-mère est vraiment une superbe femme ! Delphine est une ado en or. Le genre d'adolescente qui n'est pas du tout dans l'âge ingrat. Au contraire, beaucoup plus mature pour son âge et avec un humour que j'adore, nous avons beaucoup ri toutes les deux. Par contre, je ris un peu moins avec Timothée. Il était plutôt réservé toutes ces vacances.
Le dernier soir avant le départ, je voulu faire un dernier tour sur la plage. Le soleil s'était couché depuis un moment. Je me baladai paisiblement après le dîner. Papa et Marie s'étaient couchés tôt pour pouvoir conduire sereinement le lendemain, Delphine était sur Skype avec une amie et je n'avais pas la moindre idée d'où se trouvait Timothée.
La solitude ne me posa aucun problème au contraire, elle me permit de faire le point dans ma tête... Et quelle surprise de conclure que j'étais toujours follement éprise de lui alors qu'il ne me voyait que comme une sœur... Peut-être valait-il mieux ça ? Je m'assis sur le muret ' face à la mer '- je préfère la version d'Ultra Vomit ' Calojira ' - et écouter, plus que contempler, ce son très méditatif.
Mon amour secret me fit bondir en s'asseyant à côté de moi, enfin, à environ un mètre - j'ai déjà vécu cette scène, non ?! - Le silence n'était pas pesant. Aucun de nous n'engagea la conversation. Je l'entendis inspirer et jetai un œil vers lui. Il se tourna vers moi et me sourit.
- Merci pour ces chouettes vacances, je tenais à te le dire avant que nous retrouvions nos habitudes, déclara-t-il.
- Merci à toi aussi, réussis-je à dire sans me départir de ma surprise.
- Je voulais aussi te dire que...en fait je me suis trompé, tu ne ressembles pas à mon ex... Elle n'était pas aussi joyeuse et indulgente à mon égard que toi, et je n'arrivais pas à lui faire confiance comme je te fais confiance.
- Que, quoi ?! répliquai-je confuse.
- Tu es adorable et c'est idiot, mais je m'en rends compte seulement maintenant, sourit-il de nouveau.
- Je ne comprends pas, balbutiai-je. Pourquoi tu me dis ça comme ça et maintenant ?
- J'avais envie, ne te prends pas la tête, je voulais simplement être sincère. Je suis heureux que nous soyons dans la même famille.
Ce à quoi il ajouta une caresse dans mes boucles anarchistes, me faisant rougir jusqu'aux orteils et partit en me lançant un ' à plus tard ' très joyeux.
Ce que je ne savais pas à cet instant... C'est que ce vilain coquin était aussi gai qu'un pinson car il ne nous avait pas encore annoncé qu'il était enfin sélectionné à l'école des Beaux Arts. D'ailleurs, il nous l'annonça, comme un cheveu tombe sur la soupe, dans la voiture sur le chemin du retour. Mon père faillit créer un accident tellement le cri de joie de Marie le surprit. Nous fêtâmes la bonne nouvelle en rentrant.
Je l'ai croisé à plusieurs reprise en sortant de la douche. Les cheveux mouillés goûtant sur son torse parsemé d'une légère toison brune, sa serviette nouée autour de ses hanches fines. J'aurais pu saigner du nez comme dans un Ecchi et souffrir d'une anémie, heureusement nous n'étions pas dans un manga et j'essayai au mieux, de me reprendre !
Un après-midi courant Août, il me proposa d'aller faire un tour en moto. Il faisait bon et nous primes une bière chacun. Puis le soir arriva sans pour autant que nous nous décidions à rentrer. Je craquai, ce n'était plus possible... Ce soir c'était ' Le grand soir ' j'avais décidé, comme Benoit Poelvoorde et Albert Dupontel, d'être à la fois une punk qui allait tout droit ne passant pas par quatre chemins et en même temps être la douce Alice qui décide de partir du Pays des Merveilles pour réaliser son rêve le plus cher en sortant de son imagination folle. Je finis par lui avouer mes sentiments...
Je mis beaucoup de temps à lui expliquer toutes ces années d'amour à sens unique, et ces mois difficiles en sa compagnie. Entre les mains moites, le bégaiement et les rougissements, j'aurais pu faire une hyperthermie tellement j'avais chaud !
Après un long, long, très long blanc, il se tourna vers moi et nous passâmes, du tout au tout, dans un Shojo mature... La punk enfila sa veste en cuir à clous et nous laissa nous rapprocher doucement l'un de l'autre. Le mètre ne fut plus qu'un lointain souvenir et la petite Alice eut la chance d'être aimée de son Chapelier fou. Elle devint une adulte affirmée et épanouie. Là, dans l'herbe fraîche humide, de rosée et de leur amour. Tout n'était que douceur et caresses, baisers tendres, passionnés puis plus fougueux.
Il m'avoua que je lui plaisais depuis son retour de Montréal et il voulait oublier son ex de laquelle il était encore amoureux, pour autant, petit à petit, il s'était rendu compte que son ex faisait partie du passé et que je l'attirais vraiment. Il avait été un peu déçu de savoir que nous allions devenir frère et sœur, il essaya de ravaler son intérêt. Cependant, plus il apprenait à me connaître et plus je lui plaisais. La déclaration qu'il m'avait faite après le mariage étant l'une des nombreuses preuves. Il avait même été blessé d'entendre que j'étais amoureuse de quelqu'un lorsque je repoussais son cousin et même quand mes amis me charriaient. Il rit lorsqu'il se rendit compte qu'il avait été aveugle tout ce temps au point de ne pas douter un seul instant qu'il s'agissait de lui et lui seul.
Nous rentrâmes tranquillement à la maison et confus de devoir annoncer cela à nos parents. Ils venaient de finir de dîner et nous avaient laissés les restes dans le four. Nous leur demandâmes audience, les surprenant tous les deux. Delphine dormait chez une amie, elle ne put donc pas participer à la réunion de famille...
Je commençai par raconter mon vécu. L'amour que j'avais éprouvé pour Ad, puis celui que j'éprouvais pour Timothée, qui était exactement le même sentiment ne m'ayant pas quitté depuis le lycée. Mon père était sous le choc et Marie semblait totalement perdue. Lorsque Timothée parla de ses sentiments, j'eus l'impression de me trouver en face de Monsieur Darcy dans Orgueil et Préjugés, essayant de convaincre le père de Lizzie Bennet de le laisser l'épouser. Je ne pus m'empêcher de sourire à la situation. La tension était palpable. Papa prit une grande inspiration et prit la main de Marie. Il me regarda avec tellement d'émotion dans les yeux que je crus pleurer. Ils acceptèrent notre relation. C'était étrange d'un point de vue familial mais après tout, nous n'étions pas frère et sœur de sang. Nous regardâmes tous sur internet et rien ne parut choquant ou contre nature. Nos parents admirent quand même qu'ils mettraient du temps à s'y habituer.
Afin que cette relation ne paraisse pas bizarre, même si ce fut le cas auprès de la famille de Timothée, nous habitâmes dans l'appartement que j'avais choisi pendant les vacances. Timothée avait aussi obtenu une petite bourse d'étude et pour compléter nos finances avec mes cours de musique, il effectua deux jobs étudiants, serveur dans un café et nu pour les cours particuliers de dessin aux Beaux Arts. Nous nous épanouissions au milieu de nos amis et au sein de notre famille.
Heureusement, cette histoire se finit bien. Elle aurait pu être totalement stérile ou avoir une fin tragique cependant, si cela avait été le cas, l'aurais-je racontée ? Je ne sais pas... En tout cas, aimez-vous les uns les autres, avec vos qualités et vos défauts mais surtout, avant toute chose, aimez-vous VOUS ! Dites-vous que vous êtes belles et beaux, dites-vous que vous méritez d'être heureux et épanouis et vivez votre vie comme vous l'entendez ! (Ceci était les conseils d'une Alice rêveuse...)
Fin
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