Conte d'une fleur des champs

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Il était une fois, un fleuriste qui était mariée à une femme douce, belle et gentille. Elle mit au monde trois filles. Les deux aînées, Marguerite et Liane étaient des beautés à couper le souffle, au contraire de la cadette, Jarosse, qui était vraiment laide. Malheureusement, en la mettant au monde, la femme du fleuriste mourut. C'est alors qu'il commença à détester cette ignoble enfant, pour avoir pris la vie de sa bien aimée. En effet, son nez tordu et son menton proéminent repoussait tout le monde. Ses sourcils épais et bruns ainsi que ses cheveux massifs, mangeaient son visage au teint hâlé et aux lèvres fines et roses. Ses doigts étaient crochus et elle avait une jambe plus courte que l'autre, la faisant douloureusement boiter. On la surnomma la sorcière Jarosse.

La pauvre petite grandit au mieux, dans une famille la traitant comme un monstre. Ses sœurs la maudissaient, tout autant que son père. Elle n'avait jamais la compassion de qui que ce soit et se retrouvait toujours seule pour faire les taches les plus ingrates dans le magasin et dans la maison. Pour autant, elle avait hérité du cœur d'or de sa défunte mère ainsi que de sa douceur. Elle ne ressentait aucune amertume envers son père et ses sœurs pour ce qu'ils lui faisaient subir, après tout, elle aussi regrettait d'avoir pris la vie de sa mère à sa naissance.

Elle aimait les fleurs et toutes créatures vivantes, les considérant comme ses égales. Lorsque ses aînées arrivèrent en âge de se marier, elles commencèrent à délaisser la boutique pour s'en aller conter fleurette aux garçons du voisinage. Le travail était deux fois plus difficile, et le fleuriste ne la laissait pas respirer.

Un jour, un jeune homme bossu et au visage plein de cicatrice entra et demanda qu'on lui confectionne un bouquet pour le cimetière. Les deux sœurs s'enfuirent pendant que le fleuriste poussait Jarosse afin qu'elle serve un autre monstre.
Les dires de son père ne la blessèrent point du tout. Elle confectionna le bouquet pour cet homme à qui elle sourit. Il rougit tout à coup en voyant à quel point une personne d'apparence tout aussi laide que la sienne avait un cœur affectueux et passait outre son ignoble physique. Le cœur battant à tout rompre, le jeune homme récupéra son dû et se rendit au cimetière où il nettoya et décora la tombe de ses pauvres parents partis trop tôt. L'agréable sourire de la jeune fleuriste ne le quittait pas. Il se promit d'y retourner chaque semaine.

Ainsi, Jarosse trouvait la visite de ce jeune homme fort sympathique. Et chaque semaine, son père et ses sœurs laissaient ces deux erreurs de la nature en tête à tête.

Un beau jour, le jeune homme, qui se nommait Emeric, revint deux fois dans la même semaine. Il pria Jarosse de lire le pli qu'il lui avait écrit la veille. Les joues rosies et les mains tremblantes, la jeune fille prit la lettre, et elle se hâta d'aller dans l'arrière cour. Elle fut agréablement surprise par l'écriture appliquée et jolie, tracée à la plume. Le contenu la fit rougir d'avantage. C'était une lettre d'amour, sa première et unique... Son cœur tambourinait tellement vite, qu'elle crut qu'il allait sortir de sa poitrine. Elle passa sa nuit à lui répondre avec une grande tendresse. Le lendemain matin, elle sortit de bonne heure, dans l'espoir de le croiser au cimetière avant de s'en retourner travailler à la boutique. Elle ne le vit point, tout autant que chez le boulanger. Déçue, elle repartit bredouille et espéra tout au long de la journée qu'il vienne enfin. Elle fut extrêmement peinée en ne le voyant pas revenir, le lendemain et les jours suivants non plus.
Ce qu'elle ignorait, c'est que ses deux méchantes sœurs avaient lu la lettre. Jalouses que leur cadette trouve l'amour avant elles, elles y avaient répondu en y écrivant des infamies et lorsque Jarosse s'en était allée au cimetière, sachant où il habitait, elles s'étaient précipitées pour mettre la lettre dans sa boite aux lettres.
La stupeur du pauvre Emeric fut bien grande, en découvrant l'horrible réponse à sa lettre d'amour. Il fut submergé d'une grande tristesse. Il n'imaginait pas qu'une personne aimable comme la jeune fleuriste, pouvait éprouver, une aussi grande animosité envers lui. Il se terra chez lui pendant plusieurs jours. Mangeant peu, pleurant et dormant beaucoup. Un matin, sa cloche retentit. Il n'avait pas pour habitude de recevoir de visite. Seulement de la propriétaire qui réclamait son loyer, rien de plus. Il fut donc surpris, de trouver la jeune Jarosse sur le pas de sa porte, essoufflée, les joues rouges et les yeux emplis de larmes.

- Q-que se passe-t-il ? s'enquit-il intimidé.

- J'ai eu vent hier soir, de l'abominable réponse que vous avez reçu de ma part, et je vous prie de croire, que ce n'est point moi qui ai rédigé cette affreuse lettre que vous avez eu le malheur de lire, sanglota-t-elle.

- Je vous demande pardon ?! s'exclama-t-il surpris de la tournure des événements.

- Voici la lettre que je vous ai rédigé... dit-elle en lui tendant des deux mains une enveloppe blanche. Mes sœurs m'ont révélée hier soir qu'elles avaient répondu à ma place et avaient mis leur lettre dans votre boite. Ne sachant où vous résidiez auparavant, j'avais attendu que vous veniez à la boutique afin de vous donner ma réponse. Suite à ce méfait, pourriez-vous tout de même prendre en compte mon pli ? s'inquiéta-t-elle. Si toutefois, vos sentiments avaient changé, je le comprendrais tout à fait, cependant, voudriez-vous toujours venir me voir pour que je vous fasse un bouquet ?! Vous êtes la seule personne que j'ai le droit de servir et qui n'a pas peur de moi...

Après cette longue tirade, le jeune bossu ne sut quoi répondre et n'en eut pas le temps car Jarosse s'en alla sans demander son reste. Il resta coi devant le couloir désert puis reprit contenance en regardant le papier entre ses mains. Il fut pris d'un frisson d'espoir et se précipita à sa table, faisant office de bureau, afin de décacheter promptement la lettre. Il pleura de nouveau. Cette fois, ce furent des larmes de joie qui roulèrent sur ses joues.
La gentille fleuriste acceptait ses sentiments avec plaisir et lui donnait les siens en échange car elle le trouvait beau et charmant plus que tout autre habitant de cette petite ville.

Le cœur palpitant, il n'attendit pas longtemps avant de se vêtir de son plus beau vêtement et d'accourir à la boutique de fleurs. Il fut déçu de n'y point trouver Jarosse et pria aux affreuses sœurs de lui dire où elle se trouvait. Avec un frisson de dégoût, elles lui répondirent qu'elle était dans la cour derrière le magasin arrosant les parterres de fleurs. Il les remercia très poliment en ravalant sa colère. Il se hâta et trouva sa belle en train de tirer l'eau du puits.

En sentant quelqu'un non loin d'elle, Jarosse se retourna et tomba nez à nez avec son tendre amour. Surprise, elle sursauta et faillit tomber dans le puits. Heureusement, Emeric la rattrapa en la saisissant par la taille et la colla contre lui. Tous deux choqués de cette proximité se mirent à rougir, imitant à la perfection, deux coquelicots.

« M-Mademoiselle Jarosse, balbutia-t-il, je suis heureux que vos sentiments soient identiques en tout point aux miens. Je suis venu vous prier de vous promener avec moi après votre travail... finit-il en relâchant son aimée.

- Cela sera avec grand plaisir, en espérant que mon père accepte... répondit-elle tristement.

- J'essaierai de le convaincre pendant que vous me confectionnerez mon bouquet hebdomadaire... Mais avant cela, puis-je vous demander un baiser ? bégaya-t-il rouge de honte.

Sa demande parut surprendre Jarosse, néanmoins, elle acquiesça en rougissant tout autant que son charmant bossu.

Au moment où il se pencha et déposa un baiser léger sur ses lèvres roses, Jarosse ressentit une grande chaleur dans tout son corps. Elle ferma les yeux et inspira l'odeur masculine de son compagnon. Il se détacha et elle entendit qu'il hoquetait de surprise. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle lâcha à son tour une exclamation de stupeur.
Devant elle, se tenait un jeune homme qui ne ressemblait en rien à son Emeric. Tout autant, devant le garçon, se tenait une très belle jeune femme, n'étant pas du tout Jarosse. Après ces minutes à s'observer, ils s'exclamèrent en cœur et coururent se regarder dans le miroir du corridor. Emeric était devenu un grand homme aux muscles massifs, à la chevelure brune et bouclée, au visage carré et sans défaut. Quant à Jarosse, sa taille s'était affinée, elle avait un joli nez en trompette, des lèvres légèrement pulpeuses et ses sourcils bruns étaient aussi fins que des accents circonflexes. Ses cheveux étaient parfaitement coiffés et ondulés. Trait pour trait elle ressemblait à s'y méprendre à sa défunte mère.
Dans l'incompréhension la plus totale, ils éclatèrent de rire. Ne pouvant plus s'arrêter, ils attirèrent la famille fleuriste qui se demanda d'où venaient ses deux jeunes gens riant à tel point qu'il aurait fallu les internés chez les fous.

Le fleuriste fixa la jeune femme et resta interdit. Sa défunte épouse se trouvait là, devant lui, riant aux éclats avec un jeune homme qu'il ne connaissait pas.

Voyant du mouvement à leurs côtés, Jarosse se tourna et retrouva son sérieux.

- Mon cher père, mes chères sœurs, il semblerait que Emeric et moi-même étions cibles de mauvais tours depuis la naissance, nous voilà transformés par un baiser d'amour.

Stupéfait, le fleuriste et ses filles les fixèrent ahuris. Soudain, Marguerite cassa le lourd silence en hurlant des injures de jalousie à sa sœur cadette. Jarosse comprit, qu'elle soit laide ou belle, peu importait, elle serait toujours victime des médisances de sa famille.
Pendant ce temps, Liane essaya de séduire Emeric qui ne s'y laissa guère prendre. Au contraire, il repoussa la demoiselle et se mit entre la vilaine sœur et la femme de ses songes.

- Monsieur, je vous prierai d'accepter à cet instant que j'épouse votre fille Jarosse. Nous partirons dès ce soir, ainsi, elle ne sera plus une tare pour votre famille, comme vous le pensez si bien.

- J-je ne sais pas... balbutia-t-il stupéfait par cette demande précipitée.

- C'est tout réfléchi Père, intervint Jarosse la gorge serrée par les sanglots. Je suis en âge de me marier. Je ne serais jamais à la hauteur de votre estime. Aussi, je vais faire mes bagages et partir tantôt avec mon fiancé. Vous n'aurez plus ma bouche à nourrir, et le dégoût que je vous inspire ne vous indisposera plus.

A ces mots, elle partit dans la maison sous les insultes de Marguerite qui refusait qu'elle se marie avant elle.

Jarosse redescendit quelques minutes plus tard avec deux valises et un sac en cuir.

- Nous pouvons y aller Emeric, dit-elle avec douceur. Au revoir Père, au revoir mes sœurs. Je ne vous en veux pas pour toutes ces années de rejet.

Séance tenante, Emeric attrapa les deux valises malgré le refus de sa fiancée et passa à son appartement récupérer ses quelques biens. Puis ils commandèrent un chariot de voyage. Ne sachant où ils partaient, ils s'en fichaient bien, après tout, ils s'aimaient et ils avaient la vie devant eux.

Jarosse avoua, et Emeric y consentit, qu'elle préférait son fiancé lorsqu'il était bossu et plein de cicatrices. Sa plastique l'intimidait beaucoup moins qu'à l'heure actuelle. Aussi, ils se promirent que s'ils venaient à rencontrer un magicien ou une sorcière, ils lui prieraient de leur redonner leur ancienne apparence...

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