UNE VOIX DANS LE SILENCE
Un matin, après une nuit plus difficile que les autres, je me suis regardée dans le miroir cassé de la salle commune. Mes cernes étaient des ombres profondes, mes joues creusées, mes yeux morts. Qui étais-je devenue ? Où était la petite fille qui riait dans les couloirs lumineux de sa maison d’enfance ?
C’est ce jour-là que j’ai commencé à écrire dans un vieux cahier trouvé dans une poubelle. J’y racontais tout : les gifles, la faim, les pleurs, les hommes, la peur. C’était mon cri muet. Monique m’a surprise en train d’écrire et a souri : "T’écris ? T’as une voix alors. Fais-la entendre."
Elle m’a alors emmenée un soir dans une maison où d’autres filles comme nous se réunissaient pour parler, rire, pleurer. C’était un refuge, tenu par une femme appelée Maman Rose – un nom qui me fit pleurer en silence. Là, j’ai rencontré des âmes brisées comme moi, mais vivantes. Et j’ai compris que je n’étais pas seule.
Mais dehors, la société ne pardonne pas. Dans le quartier, je croisais parfois des membres de ma famille. Certains me regardaient avec mépris, d'autres détournaient le regard. Des mots flottaient dans l'air : "Regarde ce qu'elle est devenue…" Ma cousine un jour m’a lancée au visage : "Tu fais honte à la famille."
Honte ? Ai-je choisi cette vie ?
Je hurlais intérieurement : "Pourquoi me jugez-vous ? Ai-je demandé à perdre mes parents ? Ai-je supplié pour être battue, vendue, utilisée ?"
Mais personne n'entendait. Le jugement était plus fort que la vérité.
Monique, elle, me soutenait : "Leurs regards ne paient pas ton pain. Garde la tête haute, même si c’est pour cacher tes larmes."
Je continuais d’écrire. Chaque mot était une délivrance. Chaque phrase, une renaissance. Le cahier devint ma confession, mon combat, ma prière silencieuse. Et une idée naquit : raconter mon histoire, pour que d’autres n’aient pas à la vivre.
Je n'étais plus qu'une victime. J'étais une voix. Un cri. Le cri de Rose.
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