La neige et le sang

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De la neige et du sang. Le chevalier reposa la tête contre l’écorce du grand conifère où il était adossé. De neige et de sang, il était entouré. Les plates de son armure et son haubert en étaient recouverts. L’un de ces filets écarlates coulait sur son visage et sur la fourrure qui bordait ses joues, collant à ses longs cheveux d’ébène. Était-ce son sang ou celui d’un autre ? Est-ce que cela importait vraiment, désormais ? L’épée de noble qu’il tenait encore était si lourde. Elle rejoignit rapidement son bouclier sur le sol, à proximité du soldat dont il avait pris la vie. Il luttait contre la douleur, celle du coup qui lui avait labouré le flanc. Ses yeux fatigués se levèrent sur les alentours, sur ses hommes et ses deux frères. Ils gisaient là, dans le plus grand silence, à jamais prisonniers du froid mordant de la montagne. Le nombre d’ennemis abattus et les constellations de sang qui souillaient le blanc immaculé témoignaient de la violence du combat qui avait eu lieu.

Un claquement résonna à ses oreilles. La bannière du Loup Blanc trônait toujours sur la vallée, entre les mains immobiles de son plus jeune frère. D’un air absent, il l’observa battre le vent. Le ciel était noir. L’orage grondait au-dessus de la plaine en contrebas. Le chevalier y observa avec dégoût les milliers de silhouettes grouillantes se livrant au pire massacre auquel il eut un jour assisté. Quel était le sens d’un tel gâchis ? En plusieurs années de guerre, il avait été témoin de bien des batailles. Mais comment aurait-il pu imaginer une telle chose ? Comment ? Ce simple mot lui traversa l’esprit, aussi tranchant qu’une lame. Comment l’humanité avait-elle pu en arriver là ?

Ce n’était pas aujourd’hui qu’il trouverait une réponse, pas avec les hommes qui approchaient encore à la bordure de la forêt. Un voile aussi noir que l’encre leur masquait le visage, laissant échapper de larges nuages de buée comme le souffle chaud des grands dragons. Il posa la main sur le sol gelé pour se relever, mais se ravisa tant la douleur le déchira. Il soupira, résolu. Le froid s’emparait déjà de l’extrémité de ses jambes et son armure l’écrasait. Son autre main se porta sur le médaillon à tête de loup qui reposait sur son plastron. De ses doigts ensanglantés, il parvint difficilement à l’ouvrir pour révéler le doux visage d’une femme aux longs cheveux blonds. Avec son pouce, il lui effleura la joue et descendit lentement vers l’enfant assise devant elle :

–Je suis désolé Lilia… Mon trésor… Je ne pourrai pas tenir notre promesse.

Ses yeux d’un vert éclatant s’humidifièrent lorsqu’il serra sur son cœur le médaillon. Au loin, il entendit une douce voix. Lilia l’appelait. Ce ne fut pas la tristesse qui déforma son visage, mais une rage sans commune mesure. Il serra les dents et se redressa, grognant tel un animal blessé. Lilia l’attendait. Ses doigts s’enlacèrent sur le manche de sa lame. Le Loup Blanc ne se rendrait pas sans une ultime danse.

Le premier pas fût une épreuve, mais bien avant le second, une douce lumière lui réchauffa la peau. Les soldats qui s’approchaient s’étaient arrêtés et leur attention se portait déjà ailleurs. Il tourna la tête lui aussi, loin vers le versant opposé qui surplombait la plaine. L’orage sembla s’ouvrir pour laisser échapper un rayon d’argent. Il l’observa s’abattre sur la montagne, enveloppant arbres et rochers dans un intense halo de lumière blanche. Comme une marée déferlante, l’onde épousa les courbes de la vallée et remonta vers eux. Les soldats prirent la fuite. Lui, ne le pourrait pas. Puisant dans ses dernières forces, il lutta contre le vent et fit quelques pas pour rejoindre sa bannière qu’il empoigna. Les arbres plièrent tandis qu’approchait la vague lumineuse. Il l’observa venir et ses doigts se serrèrent sur la hampe et sur son médaillon. Dans un dernier soupir, ses yeux émeraudes se fermèrent, lorsque tout devint blanc.

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