Chapitre 2 : Le Temple des Morteplaines - Partie 6

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Le passage n’en finissait pas, il lui sembla marcher ainsi une éternité. Il s’arrêta finalement, plutôt brusquement même, constatant que le chemin s’arrêtait à ses pieds.

— Attend Criss, s’écria-t-il, il y a…

Ce dernier, plus occupé à regarder derrière lui que devant, percuta Arch, qui glissa dans le vide. D’un réflexe surhumain, Criss le rattrapa par le bras mais fût entrainé par son poids. Ils dégringolèrent le long d’un pan de mur brisé jusqu’à l’étage du dessous. Arch sentit ses poumons se vider lorsqu’il percuta finalement le sol après une énième roulade. Son camarade ne tarda pas à le rejoindre, moins chanceux. Il roula sur le côté, se tenant fermement le genou tandis qu’une grimace de douleur lui déchirait le visage.

— Et merde ! Ma jambe !

— Criss est-ce que ça va ? Haleta Arch en reprenant à peine ses esprits.

— Bien sûr, crénom d’un chien ! Tu vois bien que je respire la joie !

Arch ignora les tambours qui cognaient sous ses tempes et se releva pour le rejoindre, laissant ses affaires. Il s’agenouilla à côté de Criss tandis qu’il ne tarissait pas de jurons, le front en sueur. Son pantalon était déchiré sur le côté du genou, là où celui-ci avait violemment heurté le sol. Et une protubérance déformait le tissu.

— Je crois que c’est luxé. Tu as les dents serrées ?

— Hein ?

— Dis bonjour !

Il agita sa main devant ses yeux comme une marionnette et lui replaça la rotule d’un coup sec avec la deuxième. Le visage de Criss vira au rouge et ses lèvres laissèrent exploser mille nouvelles injures. Il finit par retrouver son calme et Arch l’aida à se relever, épiant avec inquiétude sa réaction.

— Tu vas pouvoir marcher ?

Criss tituba un instant et se risqua à poser le pied à terre en grimaçant. La douleur était encore vive, mais supportable.

— Il va falloir m’accorder une seconde.

Arch le laissa reprendre seul son équilibre et récupéra ses biens. Son arc s’était brisé lors de sa chute, pendant au bout de la corde. Il soupira et le laissa à terre, ramassant ensuite sa torche dont le feu amoindri allait bientôt mourir. Criss vint à sa hauteur en boitant. La sienne était définitivement éteinte. Il rajusta son sac d’un coup d’épaule et alluma une flamme dans le creux de sa main pour tenter d’observer les environs. La pièce où étaient tombés les deux garçons était plongée dans le noir le plus complet. Malgré leur lumière, il leur était impossible de voir à plus de quelques mètres. Derrière eux, le pan de mur effondré leur fit rapidement comprendre qu’ils ne pourraient pas remonter. Sur leur droite, une série de colonnes semblait se perdre dans les ténèbres du plafond. Ils contournèrent la première, sans autre choix face aux murs derrière eux, puis avancèrent entre les autres, sans véritablement savoir où ils allaient.

Ils finirent par atteindre l’autre côté, et un nouveau mur. Criss laissa échapper un soupir. La douleur passait, mais il ne semblait pas exister de sortie hormis le chemin d’où ils étaient tombés. Après quelques secondes de déception, Arch releva la tête vers le mur, intrigué. Celui-ci reluisait faiblement à la lumière. Il s’avança sous les yeux de son camarade et effleura la surface, incertain. Il ne s’agissait même pas d’un mur, pensa-t-il en levant les yeux vers le plafond. Criss décida de s’approcher à son tour et fut tout aussi surpris que son camarade au contact lisse et froid de la paroi. Plusieurs gravures et reliefs étaient creusés mais les flammes ne pouvaient tout dévoiler. Il lui était arrivé de travailler avec le forgeron par le passé et il reconnut le métal noirci par l’usure sur lequel ses doigts se déplaçaient :

— De l’airain…

Il prit un pas de retrait et élança son bras avant de projeter une boule de flamme qui monta longuement vers le haut plafond, révélant momentanément la façade qui leur faisait face. Il leur fut difficile d’en saisir l’ensemble, mais la stupeur les gagna devant le magnifique ouvrage. Toujours plus de détails leur apparurent, finement ciselés et immaculés malgré les années. Lorsque la pénombre revint, Arch rabaissa sa torche.

— Ce n’est pas un mur, murmura-t-il.

— C’est une porte.

À nouveau saisi d’une fièvre de découverte, Criss s’empressa d’inspecter de plus près les gravures à leur hauteur, cherchant un moyen d’ouvrir, mais il ne trouva rien. Arch s’avança plus près pour l’éclairer, inspectant lui aussi les dessins. Un air dérangé s’installa pourtant bien vite sur son visage. Il baissa la tête vers son torse et s’agita, frottant ses vêtements, puis grimaça.

— Tu trouves vraiment que c’est le bon moment pour danser ? souffla Criss.

— Qu’est-ce que…

Quelque chose le brûlait, de plus en plus, mais il ne savait pas quoi. Il continua de frotter sa poitrine, avant de comprendre ce qui lui causait cette brûlure lorsqu’elle se diffusa autour de son cou. Il se saisit du médaillon qu’il portait et le retira sèchement avant de le dresser devant ses yeux. Il dut le lâcher, et secoua sa main pour la refroidir, observant les lignes rougies que la chaîne avait laissée sur sa paume. Le médaillon fumant tomba à leurs pieds et quelques notes en sortirent, ralenties. Elles s’arrêtèrent très vite, et les deux garçons sentirent une faible pression spirituelle en sortir.

Un déclic sourd résonna longuement dans les ruines, vibrant jusque dans chacun de leurs os. Ils se figèrent sur place, un frisson glacial leur remontant le dos, tandis que le sol se mettait à trembler. Les immenses battants se déplaçaient. Ils reculèrent, évitant quelques débris qui chutèrent du plafond. La porte s'ouvrit lentement mais s’arrêta bien vite, dévoilant à peine le passage. Un silence de mort régna un temps. Les deux amis se regardèrent, tentant chacun de se rassurer dans le regard de l’autre.

— C’est quoi ce délire ? balbutia Arch.

Criss déglutit et se mit à rire nerveusement pour détendre l’atmosphère, ou plutôt pour réussir à se calmer lui-même.

— Par tous les dieux, bégaya-t-il. Tu avais un médaillon qui te servait de clé et tu ne m’as rien dit ?

— Ne plaisantes pas, rétorqua immédiatement Arch, dont le malaise ne faisait aucun doute.

Criss observa un temps l’ouverture. Un grand escalier montait quelques mètres plus haut, où une pâle lumière semblait baigner les murs.

— Est-ce qu'on devrait continuer ? S’interrogea-t-il d'une voix mal assurée. Nous n'avons aucun moyen de revenir en arrière.

Arch était hésitant, mais quoi de plus normal. Que penser de tout cela ? Les idées tourbillonnaient dans son esprit, plus rien n’était clair. Sa torche s'éteignit enfin et il la laissa tomber. Il fit un pas puis reprit le médaillon, s’assurant qu’il ne brûlait plus. Il ne comprenait pas, rien n’avait de sens. Comment pouvait-il avoir ouvert la porte ? C’était impossible. Criss était déjà sur la première marche et l’attendait. Il se résigna, cette question devrait attendre. Il observa le bijou, méfiant, et le glissa dans sa poche. Hors de question de le remettre à son cou.

Ils gravirent les quelques marches. Criss continuait de boîter, mais il ne sentait rien, sa tête était ailleurs. Ils arrivèrent rapidement en haut et débouchèrent dans une salle circulaire. Le plafond, soutenu par d’épais piliers alignés le long des murs, y formait un grand dôme dont les pierres ne semblaient tenir que grâce au lierre et aux racines qui en grignotaient la surface. Quelques débris étaient tout de même à terre, si bien que la morne lumière de l'extérieur se faufilait en de fins rayons. Ils éclairaient un vieil autel de pierre blanche, à moitié prisonnier des énormes racines qui s’étaient entrelacées jusqu’à ses pieds. Les deux jeunes mages s’en approchèrent, comme si chacun de leurs sens le leur ordonnait. Une stèle de pierre noire y était posée, parcourue de quelques signes dorés. Des runes, à nouveau, mais bien plus primaires que ce qu’ils pouvaient connaître.

— Qu’est-ce que c’est ? Demanda Criss.

— Aucune idée, lui répondit Arch en secouant la tête.

Criss poursuivit ses observations derrière l’autel et son attention se riva bien vite sur la lumière qui provenait d’en haut. Il y avait surement un moyen de sortir de là. Arch ne parvint pas à décoller le regard des lettres d’or. Un sentiment étrange s’était emparé de lui depuis qu’il les avait aperçus, comme une douce nostalgie. Il parcourut les lignes de longues secondes, incrédule devant le défilement de chaque rune et seul son camarade le fit revenir à lui.

— Je pense qu’on doit pouvoir se frayer un chemin, lança Criss, il faudrait une sorte de grappin.

Il s’arrêta, voyant qu’Arch ne l’écoutait pas le moins du monde.

— Arch ?

Ce dernier le regarda et Criss comprit bien vite dans son regard que quelque chose n’allait pas.

— J’arrive à le lire.

— Ça ne me dit pas ce que…

Il s’arrêta et comprit. Il observa la tablette noire toujours posée sur l’autel et une perplexité naturelle le gagna.

— Je comprends ce qui est écrit.

Le sérieux chez son camarade lui fit exclure toute tentative de plaisanterie. Ils se fixèrent un instant, ne sachant quoi dire, puis Criss déglutit.

— Eh bien ? Tu ne peux pas me laisser là-dessus sans m’en dire plus !

Arch posa le doigt sur les inscriptions, prêt à lui traduire mais ne put prononcer le moindre mot. Le temps lui-même sembla s'arrêter autour d'eux. Deux coups sourds résonnèrent aux oreilles d’Arch, comme les battements de son propre cœur. Leurs poumons se pressèrent dans leur poitrine et le contact électrique de la magie remonta leur peau comme un raz de marée. Un faible vent sembla se lever tandis que les voix qu’ils avaient entendues dans la forêt reprenaient leurs murmures.

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