Chapitre 4 : La promesse - Partie 3

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La nuit avait bien vite enveloppé les ruelles du village. La lune était pleine ce soir, sublimant les toits de tuiles carmin de mille reflets d’argent. À proximité d’une grande demeure, Arch contemplait avec absence les ombres projetées sur les murs par les hautes flammes des braséros. En métal massif, ornés de bois, ils crépitaient avec l’ardeur des premières heures, répandant un arôme âcre de pin et d’huile. Le jour s’en était allé depuis peu. Le jeune mage aurait sans doute souhaité rester ainsi en paix jusqu’aux aurores, mais l’agitation derrière lui eut raison de ses espoirs. Une silhouette accourait sur sa gauche. Il l’attendit, mais elle ne ralentit nullement le pas à son approche. Sans surprise, Arch la laissa le traverser et elle se déforma en quelques volutes de fumée. Elle reprit consistance en poursuivant sa course tandis qu’il se retournait.

Il y avait longtemps qu’il n’avait pas rêvé de ce moment. Si longtemps même qu’il se demanda s’il en avait rêvé un jour. La silhouette rejoignit le petit attroupement qui se tenait à la lumière et les yeux du jeune mage tombèrent sur le garçon maintenu à terre avec force par deux autres plus âgés. Il se débattait comme un lion, sans parvenir à se libérer. Sous ses efforts avait jailli le médaillon orné d’une encre qu’il portait autour du cou.

— Il me semblait pourtant t’avoir fait comprendre que les vermines dans ton genre ne sont pas les bienvenues.

Même en le regardant de dos, Arch n’eut aucun mal à reconnaître la large carrure qui s’approcha. La voix provocante de Mason lui fit pincer les lèvres.

— Ta dernière leçon n’a donc pas été suffisante ? Qu’espères-tu accomplir à me provoquer de la sorte en venant jusque chez moi ?

— C’est ton père qui m’a demandé d’être là, grogna le garçon étendu au sol. Vois ça avec lui.

— Père t’aurait envoyé aux écuries. Ce n’est pas à toi qu’il revient d’être ici… Où est-elle ?

— Elle ne viendra pas, rétorqua-t-il sur un ton de défi. Je préfère encore brasser le purin pendant des jours que de laisser un porc comme toi l’approcher.

Le coin de la bouche de Mason se crispa en une grimace absurde. Piqué au vif, il s’approcha et Arch détourna le regard, impuissant, avant qu’il n’assène les premiers coups de pieds. Un, deux, trois, puis quatre. Il compta chacun d’eux avec plus de colère que le précédent. Trois ans étaient passés et pourtant, cette scène lui paraissait si proche qu’il imaginait encore sans mal la douleur irradier autour de sa mâchoire. Mason recula, rajustant ses cheveux en arrière. Aucune des personnes présentes n'osait prononcer le moindre mot. Ils assistaient eux aussi à cette triste démonstration en tant que simples spectateurs. L’aîné des Toffer était intouchable, et il le savait.

— Il va être temps que tu acceptes, dit-il, que tu comprennes qu’un bâtard tel que toi n’a rien à faire parmi nous. À moins que… Oui, je pourrais me montrer indulgent, après tout. Que dirais-tu si je te laissais enfin en paix ? Tout ce que tu as à faire, c’est de m’obéir. Un maigre prix à payer…

Pour seule réponse, sa victime releva la tête, le fusillant du regard. Elle garda volontairement le silence, un filet écarlate coulant au bord de la bouche et cracha son sang sur le sol sans le quitter des yeux. L’impatience de Mason s’intensifia, si bien que son œil se mit à trembler. Il rejoignit le haut braséro pour en tirer un tisonnier. Sous les reflets du métal incandescent, ses pupilles brillèrent d’une sombre envie. Il revint sur ses pas et quelques murmures inquiets s’élevèrent lorsqu’il se présenta à côté du garçon, toujours maintenu au sol avec force par les deux brutes. Il soupira et planta soudain la pointe à la base de son cou. Un cri déchira la quiétude de la nuit. Les dents serrées, Arch posa machinalement la main sur le bas de sa nuque et le relief courant sur sa peau se rappela à lui comme une souffrance irréversible. Après d’interminables secondes, Mason cessa enfin.

— Il a fallu qu’elle soit comme toi, susurra-t-il. Mais ça ne changera rien.

Il laissa balancer le tisonnier qui s’arrêta juste devant le visage de son souffre-douleur. Ce dernier, le souffle court, écarquilla les yeux qui s’asséchèrent sous la chaleur radiante.

— C’est ta dernière chance…

Il tenta de détourner la tête mais on lui maintint de force. Le métal rougit s’approcha et une brûlure insupportable commença à galoper sur ses joues. Les murmures reprirent de plus belle autour d’eux mais une voix, une seule, lui offrit le salut.

— Ça suffit Mason !

Le tisonnier s’éloigna et les regards se portèrent sur un solide gaillard aux cheveux bruns. Avançant de quelques pas, il se présenta face à l’aîné des Toffer qui ne cilla pas, surpris d’être interrompu.

— Qu’est-ce qui te prend Criss ? Tu souhaites prendre sa place ?

— Tout ça va trop loin.

Mason le repoussa en pointant vers lui le métal rougis. Il le considéra de haut en bas et il retroussa les lèvres de dégoût.

— Tu me donnes des ordres à présent ? Ton crétin d’oncle fait affaire et voilà que tu te penses mon égal ? Tu n’es qu’un vulgaire roturier, rien de plus. Restes à ta place. Restez à votre place ! tonna-t-il à destination de tous les autres.

Il riva son attention sur sa cible initiale et l’approcha, mais Criss fut sur lui en un éclair. Il n’eut aucun mal à le pousser à terre dans la poussière tandis que le tisonnier atterrissait un peu plus loin dans un tintement clair. Un hoquet de surprise jaillit de l’assistance abasourdie. L’une des brutes se libéra pour se ruer immédiatement vers Criss qui esquiva son premier coup. En garde, il se décala pour éviter le second et abattit son poing de toute sa force directement sur sa tempe. L’adrénaline lui fit ignorer la douleur vive qui lui parcourut le poignet. Sonné, son adversaire s’effondra. Un troisième complice, tout droit sorti de l’attroupement autour d’eux pour lui prêter main forte, immobilisa Criss en le saisissant par derrière, rapidement rejoint par un autre. Mason se redressa, bouillonnant de colère, la peau aussi cramoisie que les tuiles des maisons. Il prit le temps d’épousseter ses vêtements puis ses doigts se serrèrent sur le manche de fer. Il réduisit rapidement la distance qui les séparait et frappa Criss au niveau de l’arcade tandis qu’il était maintenu en place. Le nobliau esquissa un rictus satisfait mais il disparut bien vite lorsque sa victime laissa échapper un court rire. Il releva la tête, le visage ensanglanté.

— Tu frappes comme un enfant, Mason.

Ce dernier éructa de rage, levant à nouveau le bras. Criss laissa échapper un grognement en plaçant l’une de ses entraves dans le passage du coup qui suivit. Libéré sur sa droite, il en profita pour asséner un direct surpuissant au dernier acolyte qui s’écroula sur le dos. Il se retourna juste à temps pour bloquer le tisonnier avec son bras et ignora la douleur pour se saisir du poignet de Mason. Il le lui tordit pour le désarmer, puis le rejeta contre le mur avec une force décuplée. L’aîné des Toffer percuta la pierre et perdit l’équilibre, terrifié. Criss s’avançait déjà vers lui lorsqu’une des brutes le projeta sur le sol d’un coup d’épaule. Profitant de l’opportunité, Mason n’hésita pas un instant et se saisit du braséro le plus proche. Tandis que bien des voix autour d’eux lui hurlaient d’arrêter, il le coucha et son contenu couvrit Criss dans une gerbe incandescente. Les flammes immenses qui s’échappèrent dans la seconde achevèrent de faire déguerpir tout le monde tandis que l’incendie gagnait les toits et les claies proches.

Libéré de celui qui le maintenait encore au sol, l’autre garçon observait le brasier, sidéré. Il revint soudain à lui et se précipita pour l’éteindre, aussi vite que ses jambes pouvaient le porter. Agitant les bras comme un forcené, il fit s’abattre bourrasque après bourrasque durant un long moment, jusqu’à ce que seules quelques fumées ne s’échappent. Dans la pénombre retrouvée, il observa en haletant la forme couverte de cendres étendue devant lui. Elle bougea, mais son soulagement laissa bien vite place à la méfiance. Criss ouvrit des yeux ronds, inspirant à plein poumons. La respiration calmée, il observa en tremblant sa peau, noircie de cendres, encore animées de quelques flammes. Son regard se détourna finalement pour croiser celui du garçon qui ravala sa salive pour lui tendre la main. Arch les observa et esquissa un discret sourire, sachant que Criss allait s’en saisir et sceller une amitié comme nulle autre pareille.

Mais il n’en fut rien. Il entendit quelques murmures et les deux garçons tournèrent soudain la tête vers lui, plongeant un regard sans vie dans le sien. Un frémissement remonta le long de son dos. Il rêvait. Comment pouvaient-ils le voir ? Il regarda derrière lui, peut-être avait-il oublié quelque chose ? Non, il n’y avait rien. Lorsqu’il se retourna, il ne discerna rien d’autre que les plus profondes ténèbres alors que les voix cessaient.


« Tu es seul… »

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