Chapitre 4 : La promesse - Partie 5

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Les traits sévères, Hockman avisa ses élèves. Rassuré de les trouver tous les trois en vie, il aurait pourtant donné tout l’or du monde pour ne pas avoir eu à reconnaître les suppliques de Kahya. Il chercha inutilement les mots, passant la langue sur ses lèvres. Comment lui faire face à présent ? Comment lui dire que tout irait pour le mieux quand il n’y avait pas mensonge plus évident ? Lui qui ne cessait de penser que s’il était arrivé plus tôt cette fois-ci, alors peut-être…

Il cessa de réfléchir lorsqu’à son approche, la jeune fille trouva la force de se jeter dans ses bras. Prise de soubresauts, elle plongea son regard dans le sien. Un regard si profond que le professeur pensa un instant qu’elle cherchait à sonder jusqu’à son âme. Il passa délicatement une main sur sa joue pour y chasser les larmes avec son pouce. Un trait brillant vint bientôt s’écouler sur la sienne. Ce si doux visage ne faisait plus qu’un avec ses vieux souvenirs.

— Je suis désolé, laissa-t-il échapper d’une voix brisée. Kahya, je… Je suis tellement désolé…

Il l’étreignit à son tour tandis qu’elle reprenait ses sanglots. Les deux garçons s’approchèrent.

— Professeur, demanda fébrilement Criss, dites-moi que vous savez où est mon oncle…

— Peut-être à l’église ? répondit-il. Les villageois y ont trouvé refuge.

— Vous savez ce qui se passe ? Pourquoi attaquent-ils le village ?

— Je ne sais pas. Kahya, reprit-il avec toute la douceur dont il était capable, tu peux marcher ?

La jeune fille acquiesça, essuyant en vain ses pommettes humides.

— Écoutez-moi bien, nous avons peu de temps. Vous allez me suivre et rester près de moi. Quoi qu’il arrive, l’important est à présent de vous mettre à l’abris, tous les trois.

Sur ces mots, il se releva. Un regard en guise de derniers adieux et tous les quatre reprirent leur sinistre route. Le professeur les conduisit à proximité du corps de garde, là où les combats faisaient rage mais le contourna largement. Il approcha de buissons et inspecta les alentours avant de les écarter, révélant le bois rongé d’une porte basse. Une chaîne couverte de rouille pendait entre les montants et ne résista pas au premier coup de semelle qu’il asséna. Le passage ouvert, il fit rentrer ses élèves et referma derrière lui.

Arch ouvrit la marche, découvrant des escaliers aux marches délogées. Il monta prudemment jusqu’à ce qu’il lui soit impossible de progresser davantage. Hockman le dépassa et frappa trois fois au mur, là où une ligne de lumière dessinait le contour d’une dalle. Elle s’ouvrit bientôt en raclant la terre, puis une main immense s’offrit au jeune mage. Il l’attrapa. Une force prodigieuse acheva de le hisser dans la salle du conseil où il s’était trouvé la veille. Tandis qu’Erathor aidait ses camarades, Arch balaya la pièce du regard. Une poignée de gardes et de villageois renforçaient portes et fenêtres avec les moyens du bord. Le garçon aperçut Ancreta, assise en retrait. La vieille femme demeurait immobile sur sa chaise, déboussolée, les mains jointes dans celles d’Amalven.

— Le ciel soit loué, vous êtes saufs, lança le Sénéchal d’un air grave une fois que tout le monde fut rentré.

Arch se retint amèrement de répondre. Tant d’autres n’avaient pas eu cette chance. Le ciel n’a rien à voir là-dedans

— Une idée de qui ils peuvent être, Tadeus ?

— Je ne me suis pas arrêté pour le leur demander, ironisa Hockman. Et je ne compte pas le faire. Qu’importe qui ils sont, leurs actes immondes ne laissent guère de doute sur leurs motivations. Nous sommes en danger. Ma seule priorité est de mettre les enfants à l’abris.

— Ils le sont à présent.

— Personne ne l’est, rétorqua-t-il en dévisageant le Sénéchal. Il y a un mage qui rôde dehors. Je ne vais pas attendre qu’il se décide à venir nous chercher. Nous devons partir.

— L’inquisition pourrait…

— Les protéger ? coupa-t-il aussi sec. Erathor… Vous savez autant que moi que ces propos n’ont pas un fond de vérité. Jamais je ne les laisserai les approcher.

— Godhrian est à Haut-Rivage, réfléchit Amalven à voix-haute en approchant.

Le professeur se tourna vers lui.

— Il pourra nous aider...

Alors qu’il s’apprêtait à lui répondre, ses pupilles se dilatèrent. Une aura remonta sa peau comme une vague, dressant le moindre de ses poils au garde-à-vous. Une fraction de seconde à peine et la pierre derrière lui se disloqua. La porte et la majeure partie de la façade volèrent en éclats. Elles s’arrachèrent au reste du bâtiment, fauchant la pauvre doyenne pour se briser sur le mur opposé. L’épais souffle de poussière qui se rua sur eux fut balayé par le professeur. D’un réflexe éclair, un tourbillon s’empara de son bras et il le leva devant son visage pour bloquer le fil aiguisé d’une lame dans une gerbe d’étincelle.

— Sortez ! ordonna-t-il à destination de ses élèves. Partez d’ici !

Surpris, Criss et Kahya se précipitèrent dans les escaliers. La masse d’Erathor s’abattit avec fracas, forçant l’assaillant à reculer. Arch resta figé sur place, incapable du moindre mouvement. Il croisa le regard du professeur.

— Je ne pars pas sans vous, articulèrent ses lèvres sans qu’aucun son ne sorte.

Hockman esquissa un discret sourire.

— Pardonne-moi…

D’un geste, le vent repoussa le garçon dans les escaliers. Arch atterrit lourdement dans la poussière, sonné, mais il retrouva rapidement ses esprits lorsque la lourde dalle se referma. Il se jeta en avant et ne put que la frapper du poing tandis que les bruits de combat s’intensifiaient de l’autre côté. Une larme dévala sa joue alors qu’il insistait, mais Criss l’agrippa fermement pour le tirer en arrière.

— Arch il faut partir !

— Non ! hurla-t-il. Je ne le laisserai pas !

— Il n’y a pas d’autres choix !

Avec l’énergie du désespoir, Criss parvint à l’emmener, luttant comme un diable pour lui faire descendre l’escalier. Les trois mages dévalèrent le passage et coururent à toute jambes vers les écuries. De là, il leur serait possible de rejoindre la forêt.

Sur leur route, ils surprirent quelques envahisseurs. Criss ralentit le pas mais Arch le dépassa sans une once d’hésitation. Les joues humides, il tira son arme. Son premier coup s’abattit avec tant de force qu’il brisa l’épée de son adversaire. Les mains tremblantes de colère, il évita la frappe qui suivit et décrivit un grand arc de cercle. La tempête accompagna la course du métal, projetant brutalement ses assaillants en arrière. D’autres les dépassèrent. Une flèche faucha un premier en pleine course, puis un second, tandis qu’Arch était déjà aux prises avec le dernier.

Il enchaîna les assauts comme un lion et son adversaire ne put que céder du terrain face à tant de violence. Écartant une dernière fois sa défense, le jeune mage leva une main pour le plaquer au mur dans un souffle continu. Il poussa un long et puissant cri de rage, intensifiant la pression jusqu’à ce que la maison même s’effondre. Il s’arrêta enfin, haletant. Son sang bouillonnait dans ses veines.

Alors que le calme régnait à nouveau sur les lieux, une douce chaleur réchauffa la peau du jeune mage. La neige tombait toujours à gros flocons, mêlée de cendres. Une épaisse odeur de cuivre leur satura les poumons. Arch se retourna lentement tandis que Kahya plaquait les mains sur son visage. L’église se dressait devant eux, la porte enfoncée. Le feu jaillissait des vitraux brisés. Les villageois devaient y avoir trouvé refuge, ainsi qu’Armin, mais tout était silence. Le crissement d’une chaîne lui fit lever les yeux. Arch observa d’un air absent le lent balancement de deux jambes nues, salies de boues écarlates et couvertes des restes déchirés d’une robe blanche. À côté était suspendue une silhouette, bien plus petite. Criss tomba à genoux, comme si ses forces l’avaient définitivement abandonné et Kahya s’effondra, retenant un haut-le-cœur.

Arch perdit le regard dans les reflets orangés, pétrifié. Comment tout ça avait-il pu se produire ? Comment avait-il pu être si faible au point de ne pouvoir sauver personne ? Sa tête retomba tandis que les sanglots de sa camarade se perdaient derrière lui en un lointain écho. Ses battements de cœur les couvrirent bientôt. La mère de Kahya ne reviendra pas… songea-t-il tandis que son visage souriant lui revenait en mémoire comme un coup d’estoc. L’oncle de Criss ne reviendra pas… Une large poutre se détacha du bâtiment et s’écrasa en haut des escaliers de pierre, projetant braises et cendres vers le ciel sans lune. Le professeur… Ne reviendra pas… Une larme roula sur sa joue et il l’observa perler sur le pendentif qui pendait à son cou.

À cet instant, quelque chose se déchira au plus profond de lui. Il serra les dents à s’en rompre la mâchoire. Les flammes qui jaillissaient lui lapaient presque la peau, mais cette brûlure n’était rien comparée au brasier qui lui consumait le cœur. Son visage s’assombrit tandis qu’il relevait un regard noir comme la nuit en direction de la chapelle. Ce soir-là, le hurlement d’un loup résonna dans la vallée pour partager leur peine. Ce soir-là, il prêta serment en balayant d’un revers de main les larmes qui refluaient sur ses joues. Ce soir-là, plus jamais il ne serait faible.

— J’en fais la promesse, cracha-t-il de rage en serrant jusqu’au sang son médaillon, un jour je vous retrouverai et réclamerai vengeance. Qui que vous soyez et peu importe le temps que ça me prendra… Oh je le jure devant Dieu…

Je vous tuerai tous.

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