5 – 2 Alicia

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La fois suivante, Alicia était prête. Elle avait demandé à être avertie à la moindre alerte, au moindre signe avant-coureur. Chose faite quand Yann surgit brusquement dans la salle d’entraînement.

— Alicia, les enfants !

Le visage de sa fille s’imposa à sa mémoire. La petite était à la crèche.

Sans réfléchir, elle lâcha son bâton, ce qui évita à son équipier lui servant d’adversaire de se faire toucher une énième fois.

Chacun connaissait son rôle, tous passèrent à l’action sans attendre. Alicia laissa les Dragons à leur tâche et courut chez elle.

Elle fonça dans une certaine petite pièce, y ouvrit le placard, se jeta sur les quelques vieilles frusques rangées en vrac dans un coin du fond, les repoussa sans ménagement. Elle dévoila un coffre en bois foncé. Ses gestes ralentirent, le temps de soulever des deux mains l’objet sans signe apparent, de le poser sur un espace dégagé et de l’ouvrir. Elle composa le code du verrou servant à préserver le contenu d’éventuelles petites mimines exploratrices. Avec la même cérémonie, elle sortit deux éléments composés de métal et de matières artificielles. Une fois le coffre remis à sa place et en possession de ses précieux, elle reprit de la vitesse.

Comme la dernière fois, on avait profité du beau temps pour laisser les enfants batifoler dehors. Du monde s’était déjà rassemblé autour de la petite cours, y compris son compagnon qui la rejoignit pour l’aider à se préparer. La plupart des gamins avaient déjà fait abstraction de la présence de tous ces adultes et étaient retourné à leurs jeux, identifiables comme intangibles.

— Tu vas utiliser ça ?

— Oui, Mike. Ce truc marche encore. Ça coûte rien d’essayer.

Scanners et sondes en action, tous les dragons se concentraient sur les enfants et leur environnement. Les autres adultes géraient les petits, ou jouaient les assistants auprès d’eux pour les plus curieux. Alicia et Mike restèrent quelque peu à l’écart. Personne ne prêta attention à leur manège.

Alicia alluma un des objets, sorte d’épaisse tablette. Un écran 2D s’illumina. Elle ronchonna, la lenteur de cet appareil l’amenant à craindre de s’être trompé dans son fonctionnement. Elle espéra y avoir inséré assez d’énergie en prévision. À l’aide d’un câble, elle y connecta l’autre artefact, composé en réalité de deux éléments : une sorte de petit cône arrondi serti dans un réceptacle en forme d’amande ouverte.

Mike réagit de la même manière que la première fois où il fut mis en présence de cette relique.

— So creepy ! Ce truc me fait frissonner.

— Je sais, mais cet organe artificiel permettait à sa propriétaire de voir des choses qu’un humain ne peut pas… Ne t’inquiète pas, inutile que je me crève un œil, je l’ai câblé !

Elle tapota sur une icône, une deuxième et une troisième. Un damier monopolisa l’écran. Chaque case comportait un numéro d’identification sous une énorme croix rouge, sauf une avec une coche verte. Le doigt d’Alicia appuya sur cette case particulière, puis elle tendit la tablette à Mike. Elle positionna l’œil artificiel devant son œil dominant, ciblant naturellement ce qu’elle aurait aimé voir. L’écran afficha le résultat. L’image apparue reflétait la scène pointée avec des nuances verdâtres. Des bulles d’information défilaient sur les côtés à une vitesse difficile à suivre sans pratique.

— No shit ! Alicia, bon sang de bois, dis-moi que ça enregistre !

Au ton de son homme, elle recula et se tordit vers l’écran sans quitter ses cibles.

— Qu’est-ce que…

Des silhouettes d’aspect blanchâtre, certaines de la taille d’un poing, d’autres aussi grandes qu’une main, flottaient, voletaient, gracieuses. Composées d’une partie haute ressemblant à un ballon gélatineux et d’une masse de filaments aériens pour le bas, ces sortes de méduses fantomatiques évitaient agilement les petites mimines qui tentaient de les attraper, sans les fuir définitivement, revenant obstinément. Et il n’y en avait pas qu’autour des enfants !

Très vite, Alicia balaya en douceur toute la scène, zooma, monta, dévia de droite et de gauche. Tout un troupeau flottait au-dessus du village en un ballet éthéré. Comme curieuses ou attirées, celles qui quittaient la sorte de petite nuée se dirigeaient obstinément vers un être vivant, enfant ou adulte, humain ou animal.

Vivant, oui. Intelligent ? Peut-être. En tout cas, potentiellement animé d’une volonté propre, et… Certes fascinant !

Presque hypnotisée, Alicia les comparait sans difficulté à ces beautés translucides hôtes des mers, mais avec l’air pour milieu naturel, libérées de l’attraction terrestre. Restait à savoir si leurs tentacules produisaient le même effet urticant que certains de leurs sosies marins.

Sans qu’ils se consultent, Mike confirma être d’un avis similaire.

— Jellyfish ! s’exclama-t-il.

Certaines avaient approché un équivalent de flagelle très fines, presque délicates, de la tête des enfants. Approchées au point d’en poser la pointe sur leurs tempes.

Sur sa tempe !

Alicia quitta l’écran des yeux. Son sang se glaça. Sa fille riait, le visage tourné vers le ciel et les yeux clos.

— Prisca !

Elle fourra tout dans les mains de son conjoint, se rua sur sa fille, essaya de repousser sans voir. Ses mains chassaient à l’aveugle, comme cela lui arrivait quand une mouche se faisait trop entreprenante.

— Tout va bien, ma chérie… Mike, dis-moi si je les fais fuir !

Il la guida par sa voix. Les nounous intriguées s’étaient approchées de l’écran à leur tour. Un coup d’œil et elles accompagnèrent aussitôt Alicia dans son combat. Pour ne pas apeurer les enfants plus qu’ils ne l’étaient depuis le démarrage du mouvement de panique, ils agirent comme s’il s’agissait d’un nouveau jeu.

— Allez, zou ! Va-t’en voir ailleurs, toi ! se permit Alicia sur un ton faussement drôle.

Tout ce chambardement ne manqua pas d’attirer d’autres bonnes âmes du village, qui furent tout aussi étonnés du phénomène, naviguant entre surprise et effroi.

Un moment, Alicia cessa de battre l’air et scruta une de ses mains sous toutes les coutures. Elle était persuadée d’avoir touché quelque chose. Ces créatures étaient donc bien réelles, cela éliminait tout phénomène gazeux, atmosphérique ou climatique.

— C’est bon, je crois qu’ils ont compris. Ils s’éloignent.

Natty s’était faufilée pour récupérer Prisca et l’éloigner au calme. Il fallut un moment pour que les esprits s’apaisent. La question d’un des parents résuma toutes les autres.

— Qu’est-ce que c’est que ces trucs ?

— Je l’ignore. J’ignore même si cela fait du mal ou non à nos enfants, mais…

Toute cette affaire laissait Alicia perplexe. Les petits ne s’étaient mis à pleurer qu’à l’intervention des adultes, pas avant. Au contraire, au contact de ces choses, ils semblaient plutôt heureux, entre rire et béatitude. Et que les très jeunes enfants soient les seuls à part certains animaux à réagir à leur présence rappelait à Alicia ces êtres féeriques des contes qui ne se montraient ou restaient visibles uniquement par ceux qui croyaient en eux. Cela posait d’autant plus question, mais par mesure de prudence, Alicia ne regrettait pas leur action, et elle n’était pas la seule. Dès qu’il s’agit des enfants… !

— Alie, tu as très bien fait. Ce sont nos gamins ! s’exclama une des autres mères.

Échange de regards entendus entre tous.

— Avant de savoir ce que c’est, restons vigilants… Je dois contacter du monde. Nos représentants au conseil global et… Oui, tout le monde. Et réunion ce soir. Tout le village est convié, tout le conseil du village et tous les autres habitants. Tant pis pour les absents.

— C’est pas de chance que les conseillers globaux aient été convoqués à une session spéciale.

— Comme par hasard… murmura Alicia. C’est surtout eux que je veux joindre en premier, ajouta-t-elle plus haut. Ils doivent savoir. Il faut que tous soient informés de ce qu’il s’est passé. On ne sait jamais si d’autres communautés ont croisé le même problème.

Il était du devoir de tous d’intervenir dans la vie de leur communauté. Il n’était donc pas surprenant qu’une réunion soit organisée dans cette situation. L’objectif était de réfléchir en collégial à ce qui s’est passé et si d’autres mesures devaient être prises. Inutile d’attendre. Leurs représentants globaux n’étaient que des représentants, ils seront tenus informés plus tard de toute décision prise. Personne n’avait été blessé ou pire, mais tant que personne ne savait pas à quoi ils avaient à faire…

— En tout cas, bonne idée de garder ces vieilles reliques, remarqua Gerty.

Étonnant de la part de cette femme. Grande spécialiste des questions agricoles, elle tournait entre les différentes responsabilités liées à ces tâches et était surtout connue pour son avis très tranché sur l’existence des Dragons. Là, à sa manière un peu détournée, elle venait de leur faire un compliment. Tous ceux qui prenaient une partie de leur temps chaque jour pour aller dans la salle et sur le terrain d’entraînement ne pouvaient qu’approuver. C’était bien la première fois depuis longtemps que les Dragons entendaient un commentaire de ce genre, et c’était énorme. Alicia ne savait s’il fallait s’en réjouir.

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