Un nouveau départ

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Ce fut encore avec les plus grandes difficultés qu' Alaby Waysler peina à se relever. Mais il le fallait, aujourd'hui il allait essayer de tout changer. Sortir de son lit était un calvaire, et les douleurs de la veille n'avaient pas arrangé l'état de ses jambes. Il réussit à se dresser, marchant lentement dans son appartement jonché de feuilles volantes et déchirées, et se vêtit pour sortir. Il ne manqua cependant pas à remonter la montre qui lui fut gracieusement offerte. Trois petits tours devaient suffire pour la faire tourner une journée entière. Il se sentit on ne peut mieux, ses tourments l'importaient peu. Alaby était plus que décidé à rédiger son ouvrage. Jamais le jeune Waysler n'était sorti deux fois d'affilé. Le premier à s'en étonner était sans doute le concierge. Le voyant descendre l'escalier avec sa canne sans même se tenir à la rambarde, il se leva de sa chaise posé près du hall d'entrée :

- Vous sortez de nouveau, Mister Waysler ?!

- Oui, j'ai à faire, répondit Alaby.
Et avant de rejoindre l’extérieur, il lui lança les clés de sa demeure en ajoutant :

- Je risque de revenir dans plusieurs jours, d'ici là veuillez garder mon appartement je vous pris.

- Comme il vous plaît Mister Waysler.

Le soleil brillait, accroché dans le ciel dégagé. C'était plutôt rare à Londres, d'où l'impression conséquente de Waysler qu'une bonne journée débutait. Il regarda sa montre : environ huit heures. Le fait de savoir le temps qui était passé et celui qui lui restait, le plaisir de lire ce que les fines aiguilles indiquaient, le doux son des rouages qui claquent dans leur carapace. Tout ceci semblait nouveau pour Alaby, lire l'heure était un luxe qu'il avait perdu il y a longtemps, puis retrouvait du jour au lendemain. Ses chaussures qui n'avaient pas été cirées depuis qu'il les avait acheté, grinçaient dès qu'il levait le pied, et le bout de sa canne rythmait sa marche. C'est avec stupeur qu'il se rendit compte que ses douleurs aux jambes étaient parties, inexistantes, disparues. Alaby marcha alors de plus en plus vite... non, toujours rien, aucune souffrance ne venait perturber son avancée. Il regarda alors droit devant lui.

Il n'y avait personne sur son coté du trottoir, et la rue partait au loin en ligne continue, sans un détour, sans un virage, même pas un obstacle. N'importe qui pourrait courir les yeux fermés et la tête baissée, sans risquer de se blesser ou de percuter quelqu'un d'autre. Et ce fut justement l'idée que Waysler avait, courir. Il leva sa canne du pavé pour la saisir à mi hauteur, et se mit à accélérer, encore et encore, jusqu'à voir les portes défiler à toute vitesse à coté de lui, les fiacres passer à vive allure sur ses flancs, jusqu'à sentir le vent lui maculer le visage au fur et à mesure qu'il se hâtait. Il ne savait pas comment un tel miracle s'était produit. Sa maladie s'était-elle endormie ? Ou alors dormait-il encore, à demi mort dans son lit, et rêvait-il de tout ce qu'il pouvait faire avant ? Alaby Waysler s’arrêta, et reposa le pied de son support à terre. Autour de lui, les gens ne faisaient pas attention à lui, certains posaient parfois l’œil sur sa tenue débraillée. Mais il n'y avait aucun reproche, aucune moquerie dans leur bouche, ni même de pitié dans leur regard. Tous le voyaient comme leur semblable, leur égal, certains aristocrates le saluaient en le croisant. Alaby pensa : « C'est donc ça être traité comme les autres ?! On ne vous salut pas et on vous juge du haut de sa bonne forme quand vous ne l'êtes pas. Mais une fois que deux hommes sont sur le même siège, on se témoigne un respect mutuel ». Il ne savait pas pourquoi, quand, ni comment il s'était rétablit ; mais l'espoir lançait la reconquête de son esprit. Il n'allait peut être pas mourir faible et étouffé par la douleur finalement.

Avant d'aller sur les bords de la Tamise, Waysler s’arrêta à une boutique dans laquelle il avait l'habitude de passer. Il s'agissait d'un petit libraire qui avait étendu ses produits, non seulement aux œuvres d'auteurs illustres et novateurs, mais aussi au matériel et aux attributs de ses derniers. Ainsi, le gérant proposait des cahiers de pages vierges ou avec des lignes déjà toutes tracées, des carnets de toute taille allant de celui que l'on peut ranger dans sa manche, au grand atlas des cartographes amateurs. Enfermés dans des vitrines, les plumes étaient ordonnées en rang pour le plaisir du jeune Waysler. Il y avait celles au manche en bois, les calames importés d'orient, et les crayons de graphite pour les dessinateurs. Placées à l'écart, les puristes pouvaient repartir avec des plumes d'oiseaux taillés, prises sur des oies ou sur des rapaces pour les plus chères. Les becs étaient faits de plomb, de fer, d'acier, d'argent et d'or gravé. L'encre était entreposé dans des flacons très fragiles, posés sur des étagères qui atteignaient le plafond. Les encriers et le précieux liquide noirâtre venait de Chine et du Japon pour servir les pensées des auteurs. Cette boutique était la seule vraie église des écrivains, le fournisseur de tout les hommes de lettres. Alaby Waysler s'approcha du comptoir, mais il ne trouva personne. Il entendit cependant du bruit près des livres. En allant voir, il vit l'échelle coulissante bougeait sous le poids d'un homme. Ce dernier, sans regarder qui venait le déranger, dit :

- Veuillez m'excuser Mister, mais nous n'ouvrons que dans un quart d'heure...

- Je n'ai pas un quart d'heure Lawrence, répondit Alaby.

En entendant la réponse, le libraire descendit de son échelle, surpris par la voix qui la prononça. C'était un homme de petite taille déjà âgé. Il ajusta son pince-nez et lança :

- Bon Dieu, Mister Waysler, est-ce bien vous ?... Je veux dire... pas que je ne vous reconnais plus, loin de là, mais... Londres vous voit si peu.

Le jeune Waysler esquissa un sourire amusé, tant par cette remarque, que par la réaction surprise du libraire.

- Londres n'a pas besoin de moi pour tourner mon brave... ses édifices peuvent se passer de ma personne quelques temps...

- Dois-je comprendre que vous partez ?

- Oui... avec de quoi m'occuper, répondit Alaby en regardant toute la pièce.

- Mais certainement Mister Waysler...

Le jeune Waysler choisit ses armes. Il sélectionna avec soin le moindre objet dont il avait besoin. Il prit assez d'encre pour remplir une amphore, une plume au métal brillant faite de bois solide. Il ne lui restait plus qu'à choisir le dernier élément : le livre. Tout ce qu'il voulait était là, mais l'embarras du choix le tourmentait. Il regarda sa montre encore une fois, midi approchait. Il voyait la mince aiguille des secondes tourner à toute vitesse.

Cette dernière atteint le chiffre douze. Alaby releva les yeux, et remarqua quelque chose dans l'alignement de ce chiffre. En face de lui se trouvait une pile entière de parchemins et de papiers en tout genre qu'il avait déjà vu et revu. Mais caché entre deux cartes, il remarqua la présence de quelque chose. Il sortit de cet amas de feuilles et de plans, un carnet. Il était de taille moyenne, on pouvait le tenir à une main. Il n'avait pas grande particularité, les pages étaient reliées entre elles par une ficelle de cuir, et la couverture était faite de la même matière. Ce calepin était sans doute la chose la plus simple et la plus sobre que l'on pouvait trouver dans toute les imprimeries du monde. Sans savoir pourquoi, le jeune Waysler eut envie de le prendre lui.

Pas un plus grand, ni un plus beau, pas une mieux soigné ou un plus original. Il avait trouvé son compagnon de voyage.

- Voilà Lawrence, dit Alaby... je te prends tout ça. Pour ce qui est de te payer, je te propose comme les autres fois, je te donne ce que j'ai sur moi et je te rembourserai le reste en mettant en gage quelques babioles...

Le libraire soupira :

- Très bien Mister Waysler, mais c'est la dernière fois...

- D'accord Lawrence... la dernière...

Alaby sortit avec tous ses achats. « Il n'y aura pas de prochaine fois de toute façon », pensa-t-il.

Peu après qu'il soit partit, Lawrence ordonna son comptoir. La porte s'ouvrit de nouveau. Le libraire vit entrer un individu bien habillé, avec une veste qui lui descendait en dessous des genoux. Il garda son grand chapeau sur la tête. « Quel malpoli », se dit Lawrence. Une fois devant lui, l'homme dit :

- La personne qui vient de sortir a acheté quelque chose ?

Intrigué par cette question , le libraire voulut demander à qui il avait à faire, mais à en juger par l'aspect intimidant qu'émanait cet intriguant client, il se résolut à répondre :

- Il a prit de quoi écrire. Encre, plume et calepin...

Un silence glaçant nappa la conversation. Le libraire commença à prendre peur en voyant l'homme fouiller dans sa poche. Il était pour le moins étrange, et Lawrence se demanda un instant si Alaby Waysler n'était pas poursuivi par ce gaillard indiscret. Ce dernier posa sur le comptoir une enveloppe cachetée à la cire rouge d'un sceau représentant un sablier. Le plumitif la prit, et remarqua que l'homme commençait à repartir, il était près de la porte.

- Mais... qu'est ce que c'est ?, demanda Lawrence.

- … ce qu'il vous doit.

Puis il passa la porte et s'en alla. Le libraire ouvrit l'enveloppe, et y trouva quelques billets. Seize livres, le montant exact de la dette désormais effacée de Waysler...

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