La tempête

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Personne ne dit à Waysler qu'une telle entreprise allait être facile, et il le savait. Rien n'allait être doux, et les nuages grisâtres l'écrivaient déjà dans le ciel assombri.Un voile d'obscurité tapissait l'azur infini, tel un avertissement pour tout ceux qui oseraient défier les éléments, les eaux et le temps. Alaby Waysler se tenait debout, droit et fier, à côté de la proue, le plus en avant du Foamwatch. Il regardait le danger s'approcher d'eux. Pas un bruit, pas un son ne le perturbait, il semblait comme envoûté par la menace qui planait. Ce n'était pas de la peur, ni de la folie qui se dégageait de l'allure du jeune Waysler, non... c'était une posture de défi. Un nouveau né qui s'en va affronter les aléas de la vie, si mystérieuse, si imprévisible. Un petit sourire moqueur se traçait sur le visage pur d' Alaby. Après tant d'années, il se sentait près à en découdre avec le monde. Sa redingote flottait dans le souffle mystique de la tempête, étendard de son impudence à l'égard du typhon.

Le navire tangua de plus en plus avec le fracas des rouleaux. Il décollait de la surface, et revenait s'écraser dans l'écume, car le veilleur est fidèle à son poste. Les gouttelettes d'eau salée qui s'éparpillaient en masse à l'impact, recouvraient la face d' Alaby, qui ne bronchait pas. Il demeurait stoïque, comme une statue, il était la seconde proue du vaisseau. Il avait ses deux mains posées sur le pommeau de sa canne, comme un chevalier appuyé sur son épée et prêt à laver son honneur déchu, attendant de pied ferme la fureur du dragon.

C'était bien plus qu'un dragon pour Waysler... c'était tout. Lui attendait les forces de la divine nature, il attendait Dieu et ses anges, le diable et ses démons. Sa posture trahissait son audace exacerbée qui tournait à l'arrogance. L'équipage entier manœuvrait prudemment, en gardant un œil sur leur passager isolé. Tous s'armaient de courage pour faire face au fléau des mers, au titanesque maelstrom, à la fureur de Neptune. Dans peu de temps, ils seraient à la merci de son trident. Les heures passèrent, et chacune d'elles étaient un pas de plus vers une improbable destinée, un sort incertain, un hasard pour toute âme sur ce navire. Murray se préparait au pire, il savait qu'il ne fallait jamais sous-estimer la colère des flots. L'Atlantique portait son nom d'une illustre cité que l'on disait millénaire et indétrônable, qui finit par sombrer. Cet Océan tirait son nom de sa plus célèbre victime. Il avait réussi à détruire un peuple dans son intégralité, et encore plus de bateaux. Le Foamwatch n'était rien pour lui. Mais le veilleur est toujours sur ses gardes...

S'il fallait redouter l'Atlantique, il fallait craindre Murray également. Tempêtes, tornades, ouragans, et marées ; ce navigateur de l’île d’Émeraude les avait tous terrassés. Alaby Waysler sortit la montre une dernière fois. La petite aiguille avançait lentement sur le cadran. Encore un peu et ils seraient plongés dans l’apocalypse. De fins filées d'eau ruisselaient sur le verre, floutant les chiffres noirs de l'horloge. Le vent faisait un tapage strident, comme s'il ne voulait qu'on entende que lui, seulement lui. Mais ce n'était que les plaintes d'un muet pour Waysler, il n'entendait qu'une chose. Il n'y avait que l'aiguille des secondes qu'il pouvait ouïr. Tic, tac, tic, tac ; la marche effrénée du temps que personne ne contrôle... ou si, peut être quelqu'un... Mais Alaby rangea l'instrument. La tempête était sur eux...
Le combat avait commencé. La charge désordonnée du cyclone avait atteint le bateau, mais il tenait bon. Tel Léonidas et ses valeureux Spartiates, la phalange de bois et de voiles avait stoppé l'assaut des perses à l'entrée du défilé. Commença alors une lutte endiablée entre les hommes et la nature. Les bourrasques frénétiques poussaient les voiles du vaisseau jusqu'à les déchirer. Les boutes, les amarres, la misaine et tout les liens qui maintenaient l'embarcation se tendaient et gigotaient dans tous les sens. La nuée de pénombre qui nappait le ciel abattit son courroux. Des averses torrentielles tombèrent sur le pont.

Les marins, trempés jusqu'à la moelle de leurs os, enchaînaient les tentatives désespérées de maintenir le cap. Ils attachaient tant bien que mal les canons aux poulies pour éviter qu'ils ne dévalent le pont. Les liens étaient mouillés, et les canonniers peinaient à les agripper. Le cordage glissait sur les paumes des mains, et brûlaient la peau jusqu'au sang. Les vagues se jouaient du vaisseau, et s'affalaient sur tout le navire, emportant hommes et matériel sur leur passage.

Waysler encaissa un flot qui l'emmena se cogner contre le grand mât. Devant, la proue faisait face à une autre vague, deux fois plus grande, qui fondait sur l'équipage déjà déboussolé du Foamwatch. Les Perses relançaient une autre attaque. Mais il en faut plus pour qu'un Spartiate ne se rende. Alaby se releva derechef, et s'accrocha au mât sur lequel il avait été propulsé. Serrant les dents, comme un guerrier insoumis face à la fortune, la vague rencontra les corps des marins plongés dans la tourmente. Mais le veilleur voguait toujours sur l'écume, intact. La phalange ne se brisait pas. Alaby était toujours là, riant de cette vaine offensive. Près du mât d'artimon, depuis le gaillard arrière, le capitaine Murray se tenait aux coté de son timonier pour guider le Brick dans cet enfer aquatique. L'orage et le tonnerre surgit soudain des nuages, symbole enragé des mers. Le bruit perçant des éclairs se doubla de celui, plus inquiétant, de la grande voile et du phoque qui commençaient à se déchirer sous les coups de la brise en furie.

- Matelots !, cria Murray. Repliez les voiles avant qu'elles ne s'arrachent !

Une fois l'ordre lancé, une bonne dizaine de marins se lancèrent sur les échelles de cordes, en s'exposant à une chute sans fin vers les abysses au moindre faux mouvement. Alaby Waysler voulait se rendre utile. Il suivit les volontaires, et monta sur le grand mât pour replier les huniers, plus en hauteur. Puis tout à coup, un marin hurla :

- Attention !

Derrière eux, sur le côté du bateau, un rouleau titanesque s’apprêtait à les heurter. Waysler et les gabiers se collèrent aux échelles et s'y cramponnèrent avec une telle ferveur que leurs ongles imprègnèrent les cordes. Quand la vague réussit à les atteindre, tous eurent l'angoissante impression de se noyer. Au milieu du son omniprésent de l'eau qui ruisselle sur la ficelle et le bois, un cri parcourut les rafales. Çela venait d'en haut. Alaby releva la tête, et vit un des gabiers dévaler l'échelle, le malheureux avait lâcher prise. D'un geste vif, le jeune Waysler lui attrapa la main quand il passa à sa hauteur. Le poids et la vitesse de l'homme en chute libre manqua de briser les épaules d'Alaby, qui eut du mal à le maintenir. Mais bien vite, le miraculé attrapa l'échelle et se retrouva en dessous de Waysler.

- On monte ! Allez !, lança Alaby dans un élan digne d'un meneur d'homme.

Difficilement, les gabiers se hissèrent au sommet des mâts pour ranger les voiles fatiguées et usées. Les rafales d'air sournoises les repoussaient toujours plus sur le côté, le vent voulait à tout prix les faire tomber. Enfin, Waysler atteint les huniers avec le marin qu'il avait sauver de la mort. La voile qu'ils devaient sécuriser était plus petite que les autres, ils pouvaient donc le faire à deux, mais pour la replier, il fallait avancer en équilibre sur une corde, jusqu'aux sangles. Le tonnerre grondait et rugissait comme un lion affamé sur sa proie à l'agonie. Il fallait faire vite. Sans se poser de questions, Alaby posa ses pieds sur la corde et, se tenant à la poutre de bois maintenant la voile, il progressa vers l'autre extrémité du navire, à tribord. « Quel idiot j'ai été, se dit Alaby. J'aurais du prendre l'autre échelle, ça m'aurait évité de traverser tout le mât ». Il revint cependant sur sa pensée, en se disant que s'il avait pris l'autre échelle, le gabier qui l'accompagnait serait sans doute au fond de l'Atlantique.

Tous deux avancèrent donc avec une vigilance pointue. Le Foamwatch tanguait fortement ; s'ils lâchaient, ils mourraient. En bas, les deux hommes regardaient le reste de l'équipage encaisser vagues sur vagues. La phalange n'allait pas tenir très longtemps. Les vents poussaient le vaisseau droit vers les rat-de-marées aussi meurtriers les uns que les autres, et ce à cause des voiles. Alaby se tint au mât, et passa de l'autre côté. Quand il arriva là où il devait être, le gabier avait déjà commencé à remonter la voile. Waysler saisit donc le tissu épais, et le remonta à la force de ses bras. Cette dernière était lourde, mais ils réussirent à la hisser. Là, ils l'enroulèrent dans la sangle et firent un nœud solide. Aveuglé par la pluie déchaînée, Waysler cria à son partenaire :

- C'est bon ? Tu l'as replié ?

- C'est bon ! On peut redescendre !, répondit-il.

Chacun rejoignit son échelle. Sur le mât d'artimon et le mât de misaine, tout avait été affalé, les voiles ne courraient plus de risques. Mais un claquement violent retentit. Waysler vit la sangle qu'il avait attaché, se dénouer et voler en toute liberté, comme un serpent qu'on écrase avec sa botte. Soudain, la sangle claqua dans tout les sens contre le haut du vaisseau, et alla fouetter l'échelle près d' Alaby. Il lâcha d'une main, suspendu dans le vide, avant de la remettre sur l'échelon de corde. C'était dangereux, mais si il ne renouait pas cette sangle, le hunier pouvait briser le mât et envoyer le navire par le fond. C'était pure folie, mais Waysler y retourna. Murray regardait ébahi son passager remonter.

- Il est fou, s'écria-t-il. Il va se tuer !

Rattachant de nouveau la voile avec la sangle, Waysler veilla bien à faire un nœud trois fois plus solide. « Ça devrait tenir, se dit Alaby ». D'autres claquements percèrent le murmure sibilant des bourrasques. La pluie rentrait dans les yeux du jeune Waysler, il avait du mal à voir d'où venait tout ces sons inquiétants. Mais en bas, la voix de Harvey était parfaitement audible :

- Les échelles, elles se détachent !

Alaby regarda en bas, et vit les cordes des échelles se détendre. Si elles se détachaient complètement, Waysler se retrouverait piégé au sommet du mât, et avec une pareille tempête, mourir était chose facile. Il rejoignit donc les échelles le plus vite possible, feignant la prudence, manquant de chuter à chaque enjambée sur la corde. Et quand il y fut, quand il entama sa descente, le pire advint. Les cordes cédèrent à leur base, laissant l'échelle où se trouvait Waysler, onduler au gré des rafales mortelles. Il n'y avait plus qu'un seul boute, un seul lien qui maintenait l'échelle en position. Les marins se pressèrent à cette dernière pour tenter de rattraper les prises émietté, et observaient d'un air craintif, Alaby Waysler se démener pour redescendre sur cet escalier en ruine.

Mais il ne l'entendait pas de cette oreille, non. D'un geste habile et périlleux, le jeune Waysler prit appui sur l'échelon instable et sauta vers une des amarres détachées. Il l’attrapa sous les regards impressionnés de l'équipage qui en avaient presque oublié la tempête. Tel une goutte d'eau coulant le long de la coque lisse du navire, Waysler glissait le long de cette corde. « Mais qu'est ce que je suis en train de faire ?, se demandait Alaby, affolé ». En un rien de temps, Alaby rejoignit le pont du vaisseau. Il atterrit en catastrophe à une vitesse plus qu'élevée, roulant sur les planches humides, et finissant allongé sur le dos. Murray laissa la barre à son timonier, et se précipita sur le rescapé.

- Bon Dieu, vous en avez eu de la chance !, dit Murray. Vous aurez pu mourir, rien de cassé ?

Waysler regarda le capitaine, étonné et encore sous le choc. Encore allongé, il fouilla dans sa redingote et sortit la montre, qu'il regarda comme un fou.

- C'est bon, dit enfin Alaby... elle n'a rien.

Murray le regarda étrangement, avant de le relever. Il ne fallait pas baisser la garde... les Perses revenaient.

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