Calme au milieu des enfers

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Quelque chose avait changé depuis son passage dans cet allée de débauche, Waysler s'en rendait bien compte. Assis, presque recroquevillé sur lui même, au fond de la cale encore agitée par l'interminable tempête, il dévorait l'horloge miniature avec des yeux perçants, comme s'il cherchait sur le cadran la réponse à toute ses questions.Une montre, une simple montre donnée à un jeune paria londonien sous le coup de la pitié. Non, cela semblait presque anodin, n'importe qui aurait pu faire preuve de charité à l'égard de Waysler.

Il n'était pas noble, il était malade, il n'avait pas un sou... donner sa montre était presque égoïste de la part d'un homme de vertu. Mais ces coups d'éclats... ces réflexes, cette énergie et cette bonne santé qui survenait aussi vite qu'une buse fondant sur un mulot. « Veillez cependant à la remonter tous les jours »... tout les jours. Ces paroles se répétaient en boucle dès qu'il devait s’exécuter. Il y avait un secret au cœur de cet objet, et il était bien gardé. Il se jura de ne jamais céder la montre, il en fit le serment. Sur ses vêtements coulaient des gouttelettes d'eau de mer et de pluie qui s'étaient frayées un chemin au travers des planches. Avec la faible lumière jaune d'une lanterne, Waysler écrivait sur son petit carnet, la suite de son épopée. Pris dans la tempête lui semblait être un excellent intitulé pour relater ce qui s'était produit quelques heures plus tôt, surtout qu'ils n'en étaient pas encore sortis. Tracer un mot de manière correcte sur le papier était un défi presque impossible à relever, tant le navire se balançait sur la surface de l'océan. Le mal de mer donnait une nausée écœurante à Waysler, qui ne put s’empêcher de remonter prendre l'air.

Alaby prit soin de réajuster l'accroche de la chaînette à son manteau, qu'il vérifia pas moins de quatre fois, avant de gravir la première marche de l'escalier qui menait au pont. Le changement d'environnement fut brutal, comme si une âme égarée passait du monde des vivants à celui des morts, du ciel à la terre, et de la terre à l'enfer. Neptune démontrait toute l'étendue de sa puissance. Le fait de voir le Foamwatch encore à flot l'avait sans doute irrité. La phalange tenait toujours le défilé. Vague après vague, ils encaissaient. Le jeune Waysler était stupéfait par la violence de cet ouragan, mais il était encore plus impressionné par le courage des marins. Jamais il ne vit d'hommes plus sereins dans pareil tourment, plus vaillants dans pareille bataille, plus robustes dans pareil combat. Mais ce qu'il avait du mal à croire, c'est qu'il avait lui même été de ceux là, et que désormais il pouvait le redevenir. Il pouvait désormais retourner à la place que le sort lui avait ôté, le rang des preux et des téméraires. Le pouvoir caché qui lui avait été confié lui a permit de reprendre tout ce qui lui avait été confisqué.

D'un visage placide et d'un pas assuré au milieu de cette confusion océanique, Alaby Waysler se risquait à marcher sur le spardeck. On aurait dit que tout ce qui l'entourait n'était plus, le néant et le vide. Il ne titubait pas malgré la grande houle qui secouait le bateau, il était comme Jésus marchant sur l'eau. Le chevalier qu'était Waysler s’apprêtait à pourfendre le dragon, tel Siegfried à l'entrée de la grotte. Déployant ses ailes écailleuses et sa gorge emplie de flammes, la créature tentait vainement de consumer la chair du guerrier... mais ce dernier avait son astuce. Une armure incassable, aussi solide que le roc ou que la peau du lion de Némée. Ce deuxième Hercule s'en allait accomplir ses douze travaux, qui étaient bien différents des originaux. Tenant son inutile béquille, il levait les yeux en direction de la ténébreuse voûte céleste, de laquelle sortait une foudre intimidante. Le béret d' Alaby s'imbibait d'eau de pluie, et sa laine spongieuse faisait dégouliner les larmes du ciel le long de ses tympans et de ses joues. Sa face scintillait avec le reflet du tonnerre qui éclatait sur la surface trempée de son front. Waysler coinça sa canne sous son aisselle, et joignit les deux mains. Dans le petit creux qu'il avait formé s’amassait de quoi remplir une coupe. Il les mena ensuite à ses lèvres, et là il but. Il avait juste soif... soif de conquête, soif de combattre. Il venait de boire le courroux de l'Atlantique. L'intrépide paladin montrait qu'il était affamé de feu et d'ardeur. Qui qu'il fut, il narguait son ennemi, et comme si on lui répondait, le maelstrom se fit de plus en plus menaçant, le vent de plus en plus fort, et les vagues de plus en plus grandes comme des collines. Une de ces montagne passa sous la coque du vaisseau, le faisant presque se retourner. Le choc avait désarçonné tout l'équipage qui était face contre terre, même Alaby. Il y avait de quoi rire pour Waysler, car encore une fois son adversaire anonyme avait échoué à l'arrêter dans son toupet. Il voulut sortir la montre de sa veste, et en mettant la main dans sa poche... il ne sentit que le fond de cette dernière. Une expression de terreur passa sur le visage de Waysler. D'une figure fier, il se transforma en un enfant apeuré et désespéré. Il se sentait vulnérable. La lueur brunâtre du cuivre brilla en la faveur des éclairs. L'eau qui ruisselait sur la passerelle entraînait le précieux objet près du bord. Waysler fut prit par un élan de peur, et dans une tentative désespérée, il courut droit vers sa propriété. La montre fut emporté, et tomba dans la mer... mais cela n’arrêta pas Waysler. La folie elle-même le guidait dans chacune de ses enjambées, et le fit sauter par dessus bord. Murray regarda son hôte se jeter dans les abîmes de l'océan, et fila au bastingage.

- Un homme à la mer !, cria-t-il.
Harvey arriva, complètement débordé par tout le travail que demandaient les manœuvres.

- Mon capitaine il faut se rendre à l'évidence, dit-il... il est foutu. Aucun homme ne peut survivre à ça. Même si nous réussissions à le repérer et à le remonter, nous ne tomberons que sur un homme noyé...

C'est avec des traits sombres que le capitaine Murray quitta le bastingage, et regagna son poste avec le reste de l'équipage.

Il avait l'impression de voler. Cet albatros qu'il avait vu en quittant l'estuaire de la Tamise, il le comprenait. Il n'en était cependant rien, car il nageait. Waysler ouvrit difficilement les yeux sous l'eau, mais il voyait ses bras et ses jambes ondulaient, et entendait les feux du ciel rugir dans une détonation grave et sinistre. Les bulles volaient près de lui, comme les nuages aux cotés des oiseaux. Mais la fatigue le gagna, et l'air lui manqua aussi. Il fallait rejoindre la surface... mais sûrement pas avant d'avoir retrouver la montre. Il regarda de tout les cotés, et il la vit. Elle descendait vers les abysses, noires comme de l'encre. Alaby battit des bras et des jambes pour la rattraper. Plus il s'enfonçait, plus il se sentait mourir. Lentement, doucement, délicatement, la mort de ses doigts fins et squelettiques le touchait, et enfonçait ses phalanges pointues dans ses paumes vides. Mais il y était presque, il pouvait presque la toucher, le Graal était à porté pour le chevalier. Il la saisit par la chaîne. Soudain, une force l'emporta comme la montre qu'il venait de récupérer. Alaby voltigea dans l'eau, le souffle coupée. Il était à l’intérieur d'une vague.
- Attention !, hurla Harvey.

Une gigantesque vague s'écrasa sur le pont, manquant de briser les planches en mille et une échardes. Allongé près de la trappe menant à la cale, Waysler reposait en étoile, allongé et inspirant toute l'air que pouvait offrir la terre.

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