Débarquement

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Le calme était revenu sur l'océan. Le vent était favorable, les nuages se dissipaient. L'ennemi avait renoncé à envoyer par le fond le vaisseau, c'était une première victoire. Les perses, le dragon, Neptune... qu'importe comment il le voyait, Waysler savait qu'il avait vaincu l'Atlantique ce jour là. Le Foamwatch était stable désormais, marcher redevint sans danger et on ne risquait plus de passer par dessus bord au moindre pas. Les journées et les nuits s'étaient écoulées comme les gouttes du ciel, et la traversée touchait bientôt à sa fin. Murray était satisfait de ses hommes, des combattants sans failles qu'ils avaient été au plus profond du cyclone. Il admirait le bois de son vaisseau, fier de sa robustesse et de son impeccable finesse. Le Foamwatch avait glissé sur l'eau aussi aisément qu'une plume dans les airs, aussi facilement que la main d'un fiancée dans la chevelure de sa promise. Mais Murray avait tout autre chose en tête, il se demandait ce qu'il en était pour son passager. Ce dernier avait bien œuvré pour la sauvegarde du navire et de ses hommes, il avait aidé les gabiers, nettoyé le pont, et accomplis bien d'autres tâches. Mais son comportement l'intriguait. Il restait des heures au fond de la cale pour écrire son bouquin. Pour Murray c'était plutôt normal, son hôte était auteur après tout... mais sa manière de parler, sa réserve qu'il affichait sur son visage fort jeune quand on louait la chance qu'il avait eu de survivre à sa chute du mât, ou à son sauvetage miraculeux de la noyade par la Providence, et sa montre. Elle semblait lui être chère, si chère. Le capitaine se disait sans doute qu'elle avait appartenu à un de ses proches parents, mort un beau jour comme tout mortel. Ce dont il était sûr, c'est que cet homme était prêt à tout pour la sauver, même à plonger dans les abîmes de l'océan. Le mystère voilait celui qui s'était présenté comme Alaby Waysler, sans titre... Harvey arriva près de son supérieur :

- La terre ne devrait plus être très loin, dit-il.

- C'est pas trop tôt, répondit Murray en enlevant son bicorne et essuyant les perles de sueur qui recouvraient son front... ce voyage n'a que trop duré, aussi banal soit-il.

Le quartier-maître regardait son capitaine d'un air étonné, comme s'il se retenait de dire quelque chose.

-Seriez vous en train de dire que vous avez eu peur d'y passer, capitaine ?, dit-il enfin.

Murray adopta une posture assurée, et remit son couvre-chef bien droit sur sa tête. Du haut du grand mât, la vigie cria l'annonce tant attendue :

- Terre !

Au loin se dessinait les courbes du nouveau continent. Dégainant sa longue vue, Murray observait son prochain arrêt. La fumée s'envolait au dessus des toits. Le village était très petit, et encore village était un bien grand mot. Ce hameau était entouré d'une forêt dense et gigantesque. Les arbres se dressaient comme les inébranlables gardiens de ces contrées mystérieuses et si peu explorées. Le vert de ses feuille était symbole du caractère sauvage de ce pays, et de sa pureté qui n'avait pas encore était souillé par la civilisation. L'homme restait un étranger au Canada, le seul réel habitant de ce pays étant la nature, seulement elle et ses lois. En repliant son instrument, le capitaine remarqua à l'avant du navire, un marin qui ne se pressait pas le moins du monde pour observer la terre. C'était le passager. S’apprêtant à descendre lui parler, Murray regarda Harvey et répondit à sa question :

- Personne ne vient à bout du veilleur, Harvey... pas même le Léviathan.

Puis il descendit l'escalier et alla rejoindre son hôte.

Assis à l'avant du navire, près de l'ancre, Alaby regardait l'horizon, là où le nouveau continent était apparu. Gardant son poste de deuxième proue, il demeurait totalement dépourvu d'émotions. Il regardait sans cesse son horloge, et ne s'en défaisait pas.

- Enfin arrivé..., dit une voie derrière lui.

Murray arriva.

- Tout m'a semblé si... court, répliqua Waysler.

- C'est facile de dire ça quand on sait quelle heure il est...

Alaby se sentit pâlir. D'un geste qui relevait de l'automatisme, il rangea immédiatement sa montre dans sa redingote. Le propos de Murray était comme une main de voleur tendu vers ses poches. Une peur s'empara du corps de Waysler, comme lui n'en avait jamais connu avant, encore plus puissante que la peur de mourir. Lui même savait que cette crainte anonyme n'avait pas lieu d'être, donc il détendit tout ses membres, et respira l'air marin qui flottait près de ces côtes.

- Vous semblez très attaché à cette montre, dit Murray.

Waysler essaya de répondre le plus naturellement possible.

- Non...

- Non ? Vous avez pourtant plongé en pleine tempête pour la récupérer, et elle ne m'a pas l'air très précieuse. Son allure fait penser à de la camelote ! Elle était à un ami à vous ?...

- C'est à peu près ça...

Le capitaine le regardait comme s'il attendait encore une réponse. Tout s’emmêlait dans la tête du jeune Waysler, il répondait ce qui passait en premier dans son esprit.

- Il suffisait de le dire, je vous comprends...

Un ami à lui. Elle appartenait à un ami à lui, et à personne d'autre. Un homme qu'il n'a vu qu'une seule fois, mais qui lui semble si familier quand il y repensait. En fait n'importe qui aurait pu dire que cet individu était de sa famille, il avait un coté pour chaque homme et femme sur cette terre, comme si chacun le croisait tout les jours de sa vie, courte ou longue, ennuyeuse ou palpitante, mémorable ou sans intérêt... Un ami à lui.

Le Foamwatch fut enfin amarré au quai miteux de ce village. Waysler descendit en premier du navire. Le bois usé du ponton grinça dés qu'il posa sa chaussure dessus. Devant lui, le village jouissait d'une activité bien moindre que celle de Londres. Les personnes qui passaient étaient pour la plupart des trappeurs, des chasseurs, voir des exilés. La région avait fortement souffert de la guerre avec les Français, ce qui pouvait expliquer aux yeux de Waysler ce nombre si peu élevé d'habitants. Ce pays avait été déserté de tout soldat, et ne restait que les rangers et les forestiers qui se devaient de gagner leur pain.

Alaby s’arrêta en plein milieu de la rue, et scruta le moindre détail qui l'entourait en plantant le bout de sa canne dans le sol boueux. Les maisons avaient un aspect de hutte. Les toits étaient recouverts d'une sorte de paille, et les murs semblaient dater de la naissance du monde. En direction de la forêt, une palissade d'environ sept pieds de haut marquait la frontière entre le village et la sylve froide. Des tours de guet encore plus grandes surplombaient toute les battisses, du haut desquelles épiaient des miliciens armées de fusils et de carabines.

Conquis par une insatiable curiosité, Waysler marcha jusqu'à la palissade et emprunta l'escalier qui menait à la ronde. Là, à sept pieds de hauteur du sol couvert de terre mouillée et de sable, il contempla ce pourquoi il avait bravé l'Atlantique. Les troncs d'arbres s'élevaient comme les jambes de géants jadis endormis dans les profondeurs de la nature. Des écureuils sautaient de branches en branches, et des oiseaux planaient au dessus de Waysler, des oiseaux qu'il n'avait jamais vu, semblable à des aigles. Au sein même de cette armée de sapins et de feuillages, se formaient des silhouettes singulières, comme les esprits protecteurs de ce lieu empli d'un aura cabalistique. Ces choses se mouvaient entre les arbres, et avaient sur Waysler l'effet d'un chant de sirène... une attirance sans pareille.

Alaby redescendit du mur de défense, et alla dans la taverne. Cet endroit crasseux grouillait de saleté et empestait l'alcool frelaté, mais il avait le mérite d'être fréquenté par le genre de lascars que recherchait Waysler. Au milieu de ce silence s'élevaient les ronflements d'un buveur notoire, affalé sur la table, près d'une bouteille entièrement vide. Dans une telle insonorité, le moindre pas tintait comme un coup de canon dans toute la pièce, du comptoir à la porte. Alaby se dirigea vers le gérant :

- Je cherche un guide pour m'emmener dans la forêt...

Sans même prononcer un seul mot, le tenancier montra du doigt un homme assis au fin fond de l'établissement, vidant tranquillement son verre. Jamais Waysler n'aurait penser que trouver un guide allait être aussi facile. C'était un individu portant une longue barbe hirsute. Ses vêtements indiquaient en tout point qu'il s'agissait d'un trappeur, et Waysler s'assit avec lui pour discuter, parlant de tout et n'importe quoi. Il était couvert de fourrure, que ce soit sa toque, sa veste, ou encore les guêtres qui recouvraient ses bottes. Il avait un grand sac rempli sous sa chaise, et posé contre la table, une longue carabine. Attaché sur sa veste, une insigne du 95th Rifle ornait sa tenue d'un aspect militaire, preuve de son passé.

- Où avez vous eu cet insigne ?, demanda Waysler.

- Il y a quatre ans, répondit l'homme... j'étais à Waterloo contre les troupes du Corse. Je l'ai enlevé de mon shako...

- Contre le Corse ? Vous êtes un vétéran de Sa Majesté ? Que faites vous ici ?

- Les rois sont trop fiers pour rendre les honneurs à plus d'un... les gens qui l'ont compris ont tôt fait de s'exiler...

Le discours de cet homme était dur à entendre de la bouche d'un soldat, mais cela importait peu :

- Pensez vous pouvoir me conduire là où je souhaite ?, demanda Alaby.

- Pour sûr oui, j'ai déjà emprunté cet itinéraire plusieurs fois, mais si vous voulez y être pour la date prévu il faudra faire vite, sans compter les Naskapis...

- Les quoi ?

- Les indiens si vous voulez... ils sont de plus en plus agités en ce moment, pourquoi croyez-vous qu'il y ait une palissade autour du village ?!

Ce détail imprévu refroidit Waysler dans ses ardeurs. Les tribus amérindiennes l’intimidaient, et se retrouver en face de l'un d'eux signerait sans doute la fin du voyage.

- Et... ils ne vous font pas peur ?

- Qu'ai-je à perdre, si ce n'est ma tête ?! Après oui, personne n'est immortel face à eux...

Personne n'est immortel... mais quelque chose, ou quelqu'un, disait tout le contraire à Waysler.

- Et bien soit, dit Waysler, c'est décidé ! Demain, je veux que vous me conduisiez au cœur de ce dédale de danger et de péril, vous m'apprendrez comment rester en vie au milieu de cet enfer boisé. Je suis prêt à mettre le juste prix pour vous récompenser, il me suffit d'envoyer une lettre à mon ami Towence et vous aurez tout l'argent que vous voudrez.

- Oh non, répondit-il. Je ne veux pas d'argent, je n'en ai plus rien à faire... Non non, je vous conduirai là où vous voudrez, et je suis prêt à ne rien réclamer en retour.

- Fort bien Mister... quel est votre nom mon brave ?

- Flench, Jonathan Flench...

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