Lancé dans l'inconnu

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Une nuit entière pour retrouver ses forces. Comme à leur fâcheuse habitude, les douleurs engourdirent les membres de Waysler, et manquèrent de l'immobiliser dans la chambre qu'il avait payé au gérant de la taverne. Les draps n'étaient pas très propres, mais le matelas était tout de même confortable. Il attrapa la montre et la remonta, avant de se lever pour de bon. À l'entrée du hameau, les quelques miliciens achevaient leur ronde et se préparaient à ouvrir les portes. Jonathan attendait Waysler, sac sur le dos et carabine à l'épaule. Harvey lui montrait sur la carte là où ils devront se retrouver. Le plan montrait un tracé en forme d'arc de cercle, passant à travers des collines et des rivières aux noms indigènes totalement imprononçables.

- Pensez vous vraiment pouvoir boucler ce voyage en moins d'une semaine ?, demanda Harvey au trappeur.

Ce dernier cracha au sol à travers sa grosse barbe.

- Tout seul je peux le faire en trois jours, dit-il... reste à savoir si celui qui m'accompagne arrive à suivre.

Jonathan regarda Alaby avec un sourire moqueur.

- Très bien, nous vous attendrons ici donc ne traînez pas si vous comptez repartir avec nous, ajouta Harvey en désignant une baie sur la carte... Si tout est clair, il ne me reste qu'à vous souhaiter bonne chance, Mister Waysler.

- Saluez Murray de ma part, dit Waysler en pointant le quartier-maître de sa canne.

Une fois le second du Foamwatch partit, le trappeur montra à Waysler le sac qu'il devra porter pour les prochains jours. Il faisait exactement la même taille que celui de Jonathan. À l’intérieur se trouvait de la fourrure, des raquettes, une gamelle en fer blanc et des gants. Avant de le mettre sur son dos, Waysler veilla à ranger sa béquille qui ne lui serait pas de grande utilité. Il l'attacha sur le coté du paquetage, à l'opposé des raquettes. Fin prêt à partir, Alaby prit les devants et avança vers la grande porte, mais le trappeur l’arrêta de suite.

- Vous oubliez ça, dit-il.

Flench tenait dans sa main un fusil. Le jeune Waysler n'avait jamais touché d'arme de sa vie. Même si les récits de soldats et de batailles avaient grandement nourris sa jeunesse, il ne lui était jamais venu à l'idée de devenir l'un d'eux ou même de porter leurs attributs. Il n'avait aucune expérience à la matière, et donc ne savait pas comment cela fonctionnait.

- Mais... je ne sais pas l'utiliser, dit Waysler.

- Vous m'avez demandé de vous apprendre à rester en vie, non ?, demanda Jonathan.

- … oui.

- Et bien ce fusil, c'est la première règle.

Alaby ne discuta même pas, il prit le fusil entre ses mains d'amateur, découvrant étonné le poids et l'aspect de l'arme.

- Avant de sortir, on va les charger, ajouta Jonathan.

De sa sacoche, Flench sortit une cartouche enveloppé dans du papier. Il le déchira avec les dents, et mit la poudre au fond du canon avant d'y mettre la balle. Ensuite, il prit une longue tige en fer placé en dessous de la bouche à feu, le long du fusil. Avec, il enfonça la balle tout au fond du canon, tassant le projectile avec la poudre au fond. Waysler fit de même en prenant une cartouche dans la sacoche qu'il avait lui aussi à disposition. Reproduisant les gestes du tireur de manière quelque peu maladroite, il réussit à charger son arme .

- Il faudra le faire plus rapidement la prochaine fois, dit Flench. La vie appartient à celui qui recharge le plus vite...

Tout était prêt. Jonathan fit un signe à la sentinelle postée sur la tour, qui hocha la tête en direction des hommes près de la porte. Ils ouvrirent le portail de bois hérissé de pointes, leurs donnant libre accès aux terres vierges du monde. Le binôme commença sa longue procession au cœur de la forêt.

Les arbres ressemblaient effectivement à des géants, et c'était des centaines de milliers de géants qui entouraient Waysler et son guide. La grandeur de leur tronc et de leurs racines conférait à ces piliers immobiles un statu divin, le jeune londonien se sentait si faible face à de telles choses. La boue gluante et sombre de la ville laissa place à une mousse humide, molle et d'un vert scintillant. C'était comme marcher sur un divan. La lumière de l'aube frappait les longues branches, et les rares rayons de soleil qui passaient à travers parvenaient sous forme de traits fins, parsemés dans toute la sylve. La cime des arbres était comme le vitrail d'une cathédrale, ne laissant passer que la lumière digne d'éclairer son sol sacré et saint. C'était dans une croisade que c'était lancé Alaby, une croisade dans le berceau d'une foi nouvelle dissimulée tout autour de lui, une terre où mère nature était toute puissante.

Les heures passaient comme des chevaux au galop, et la douleur monta aux jambes d'Alaby à force de marcher. Le poids de son chargement se faisait de plus en plus massif. Waysler avait l'impression de se plier en deux à chaque fois qu'il foulait la mousse de son pied citadin. Il n'avait pas l'habitude de parcourir de si longues distances, chargé comme un mulet. Même en utilisant la crosse de son fusil comme support pour faciliter sa marche, il avait du mal à suivre le randonneur aguerri qu'il accompagnait. Puis Alaby Waysler se rappela ce pourquoi il était là. Il se souvint des paroles de Towence. « Une image des plus pathétiques à coller sur votre nom ». Cela ne devait pas finir ainsi. « Aucun de nous n'est immortel » disait Towence. Et que répondrait Alaby ? Si, il y a un moyen, et il allait le prouver. Il lui fallait s'accrocher, ne pas lâcher Flench et le suivre ou c'était la mort assurée dans ce royaume fatal. Alors il marchait, feignant de ne ressentir aucune souffrance. Il ne faisait rien transparaître :

- Vous arrivez à suivre ?, lui demandait Flench.

- Oui, tout va très bien, répondait Alaby.

Il avait résisté à la fureur d'un océan, il arriverait bien à surmonter les flancs escarpés d'une forêt. Les paladins, jamais, n'abandonnent. Portant fièrement leurs vertus chevaleresques, volonté de vivre à jamais et vœu d'exil éternel, le binôme progressait en terre païenne avec la force de leurs désirs.
Quelques heures passèrent de nouveau, et il leurs fallait désormais avancer latéralement sur une pente. À leur gauche se trouvait une montée effrayante, et à leur droite s'offrait une chute interminable de par la descente. Waysler s'accrochait aux buissons et aux herbes pour ne pas tomber. Il écoutait le hululement d'une chouette, car la nuit allait bientôt recouvrir le ciel déjà obscur. Mais quelque chose ne semblait pas tourner rond pour Jonathan. En plein milieu du flanc de colline, il s’arrêta net en faisant signe à Alaby de s'accroupir et de ne plus bouger également. Empoignant son fusil, la crosse écrasée sur l'épaule, Flench était aux aguets et inspectait la moindre forme suspecte. Les plaintes silencieuses de la chouette recommencèrent, perturbant le brouillard de silence qui avait étouffé les environs. Soudain, Waysler vit quelque chose passer sur le flanc gauche au dessus d'eux. Il voulut prévenir Flench, mais ce dernier était déjà loin devant. Impossible de l'alerter sans se faire entendre. Peut être que ce n'était qu'un animal quelconque, mais Alaby fixait cette forme mouvante entre les arbres. Le chant nocturne de la chouette reprit très près comme si elle était au dessus, exactement dans la même direction que le profil spectral qui rodait autour d'eux. Et cette hallucination prit alors forme, se dessinant dans la pénombre du crépuscule comme un légionnaire du Démon. Waysler leva son fusil. Ce n'était pas une chouette.

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