I- Dans une toile...

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On dit souvent qu’une œuvre renvoie à un événement de la vie de son auteur. Aussi bon que mauvais, la capacité de l’artiste à faire ressortir toute la beauté, même malsaine, de ce moment sera au centre de l’attention. N’importe quelle scène de la vie d’un humain est ainsi sujette à l’art. Que ce soit la naissance qui est semblable à une toute nouvelle étoile se rajoutant dans la grande société qu’est l’univers, la vie qui suit son cours comme un astre qui se construit pour faire naître de nouvelles essences ou même la mort. Le décès est un moment unique pour chaque humain. Nous avons tous une manière de réagir, une manière de se relever, une manière de vivre avec la pensée qu’un jour ce sera notre tour. Contrairement à la naissance, on peut choisir notre mort. Le lieu, la date, la nature. Mais la faucheuse oublie des fois toutes les bienséances qui consistent à demander l’avis du concerné. Elle est capable de s’abattre si violemment qu’on croirait une personnification des sombres pensées de l’Humain.

La Mort est un profond désir qui ressort de différentes manières. Soit pour soi-même, soit pour l’autre. Et dans ce dernier cas… les âmes ne peuvent trouver le repos. A ce moment, un autre désir survient permettant de faire oublier toute notion terrestre.

Un épais brouillard s’était immiscé dans les ruelles de ce vieux quartier. Personne n’y vivait et personne ne risquait d’y vivre. Sans doute parce qu’on racontait que d’horribles événements y étaient survenus et que jamais les coupables n’avaient été arrêtés. On disait même que les victimes n’avaient pas été enterrées, donnant à la terre une odeur et une texture sanglante. Tout ceci restait des rumeurs. Peut être était-ce donc pour cela qu’une jeune femme s’y trouvait.

Vêtue d’un pantalon en toile noir et d’un simple pull de la même couleur, ses cheveux broussailleux cachaient son visage, lui donnant des airs d’âme errante. Le pas lourd et traînant, elle avançait sur le pavé où la nature avait repris ses droits. De temps en temps, un trou sur le trottoir lui offrait la possibilité de trébucher. Comme si elle n’avait déjà pas l’air assez misérable. Lorsqu’une de ses mèches sombres se dégageait grâce à une forte brise, on pouvait apercevoir deux orbes tout aussi obscurs que le ciel. Tout chez elle semblait faire référence à la nuit, aux ténèbres. Rien ne donnait envie de sourire, de s’approcher d’elle. Cette jeune femme paraissait s’en contenter, même s’y habituer.

Elle avançait. Un pas vers la droite. Un regard vers une vieille bâtisse, puis un pas à gauche. Un regard vers une autre vieille bâtisse. Ce petit jeu continuait depuis maintenant quelques dizaines de minutes. Le brouillard ne bougeait pas, la forçant à se rapprocher des demeures, à plisser les yeux, comme si elle espérait discerner une quelconque vie. Vie qui avait disparu depuis bien dix ans.

A travers le brouillard, les arbres ressemblaient à des êtres figés dans le temps, condamnés à passer leur vie ainsi sans pouvoir un jour s’enfuir. Un ou deux oiseaux venaient se poser sur leurs branches pour les accompagner dans leur solitude. Mais contrairement à eux, ces êtres savouraient leur liberté. De leurs ailes robustes, les volatiles battaient le brouillard afin de créer leur chemin vers un avenir plus radieux, plus ensoleillé.

La jeune femme s’arrêta face à un manoir. Contrairement aux autres qui étaient en meilleur état, celui-ci ne tenait plus vraiment debout. La terre retournée, les fenêtres brisées, la porte tenant difficilement en place, cette demeure semblait avoir été abandonnée depuis bien dix ans. Face à ce paysage, une larme roula sur la joue de la passante. Son cœur se serra à chaque coup d’œil en même temps que des souvenirs l’assaillaient. Elle ne faisait plus aucun pas en avant. Un mur invisible avait surgi devant elle, paralysant son corps, son cœur, ses pensées. Des larmes ruisselaient de plus en plus sur ses pâles joues, transformant ce qui étaient des gémissements en hurlements. Sa voix, tout d’abord timide, se mit à résonner si fort que le peu d’animaux présents s’enfuit. A travers cela, une tristesse ancrée au plus profond de son essence venait de surgir, rendant l’atmosphère de ce quartier moins terrifiante, plus vivante en quelque sorte. Une odeur de rancune se déplaçait désormais, mêlée à la tristesse et la culpabilité. Des sentiments bien humains.

Malgré tout, il lui suffit de quelques minutes pour retrouver son calme. Elle essuya ses larmes d’un revers de main et frotta ses joues. Ses yeux se plantèrent sur la porte qui s’abattait contre le mur intérieur au rythme du vent. Par ce dernier, le brouillard se dissipa légèrement, lui ouvrant le chemin vers cette demeure qu’elle avait cherché depuis toujours. Elle reprit son souffle, frotta ses membres et avança. Un pied devant l’autre, plus rapide à chaque fois, plus léger, plus sûr. Toute sa fragilité avait disparu. La confiance reprenait petit à petit place dans son cœur, lui donnant la force nécessaire pour marcher.

Lorsqu’elle entra dans la demeure, la première chose qui la frappa fut une odeur. Une odeur qui mêlait moisissure, rouille et bois humide. Un nuage de poussière fit éternuer la jeune femme. Elle essuya nonchalamment son nez puis son visage avant de regarder ses mains, noires de cendre. Curieux, la cheminée ne devrait pas contenir le moindre résidu depuis le départ des propriétaires. Quelqu’un d’autre serait-il venu ? Un pilleur en quête de trésors oubliés ? Un meurtrier en quête d’une cachette ? Ou bien… Pire ?

Non sans une certaine appréhension qui lui valut de se munir d’une arme de défense -si on peut dire qu’un parapluie est une arme- la visiteuse se dirigea vers la salle de séjour. Plus elle avançait, plus ses mains se serraient sur le manche de son arme en piteux état. Le cœur tambourinant dans les oreilles, les yeux se dilatant de moins en moins, une boule se bloqua dans sa gorge en même temps qu’elle pénétra dans la pièce. Aucun mot ne pouvait sortir. Aucun cri ne pouvait surgir. Pas même un soupir. Un soupir qui aurait pu réchauffer l’ambiance froide que la personne face à elle avait décidé d’instaurer.

Éteignant les dernières braises qui subsistaient encore à l’arrivée de la visiteuse, la personne leva les yeux vers elle. Dans ce qu’elle s’apparenterait à une robe sombre enjolivée de petits rubans tout aussi sombres, une jeune femme la fixait. Personne ne saurait dire si elle souriait, ni même si elle regardait vraiment la passante. Ce qui était sûr, c’est qu’elle observait. Un regard entendu était tourné vers l’entrée.

Troublée d’abord par cette paire d’yeux qui semblait l’inviter à s’avancer, la jeune femme se rendit bien vite compte qu’il y avait un petit problème. Le salon avait été plongé dans un vrai désordre limitant tout pas imprudent dans l’obscurité. Peu de choses étaient visibles, même les murs dont une odeur d’humidité s'échappait. Ce qui restait curieux, par contre, était la distance suffisante qui la séparait de l’étrange personnage. Voyant cette dernière comme une protection et brandissant son arme, la visiteuse se mit à parler.

« - Hum… bonjour ? Je peux savoir qui vous êtes ? Je pensais être la seule présente alors j’aimerais que vous m’expliquiez pourquoi vous êtes là. »

Une minute. Deux minutes. Dix minutes. La patience était une de ses plus grandes qualités, surtout face à une interlocutrice aussi étrange. Mais elle devait bien l’avouer, sa plus grande qualité se transformerait en défaut si elle finissait par passer pour une idiote. La vision de cette paire d’yeux commençait à ressembler à une illusion. Peut-être était-ce des morceaux de verre qui brillaient grâce à une minuscule lumière ? Mais l’odeur de cendre qui planait dans l’air la ramenait à la raison. Cette personne existait bien et son manque de réponse n’avait rien de rassurant.

Pourtant, comme si ses pensées avaient été dévoilées, il eut du mouvement. Une allumette se gratta pour allumer plusieurs chandelles, illuminant enfin le salon. La commode et la table détruites se montrèrent, les quelques chaises encore intactes se réchauffaient près de la cheminée, là où la personne avait pris place. Son regard avait quitté l’entrée pour se concentrer sur les résidus de bois dont une petite fumée noire s’échappait.

Grâce à la lumière, sa peau de porcelaine scintillait légèrement tout comme ses courts cheveux blancs, lui donnant des airs d’ange. Elle ne semblait pas vieille. Ce curieux personnage, en plus de surgir de nulle part, semblait si concentré mais à la fois si vide. Malgré qu’elle soit tournée vers la cheminée, son regard restait assez vague, ne fixant pas un point précis mais un ensemble. D’autres questions sur sa vie se perdirent dans un flot de pensée jusqu’à être coupé de court par la voix de cet ange.

« - C’est rare que des gens viennent… Tu as quelque chose à chercher ici ? »

La jeune femme cligna légèrement des yeux à ses mots mais fronça les sourcils.

« -C’est plutôt à moi de dire ça. Personne ne s’amuse à vivre ici.

-Je ne vis pas ici. J’attendais. »

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