Chapitre 4
Ce matin, avec Bastien, on se croise. La course effrénée des premières heures de la journée lorsque l’on a des enfants est immuable ! Cléa boit tranquillement son biberon seule du haut de ses un an. Je jette quand même quelques regards furtifs pour m’assurer que tout se passe bien.
Bastien habille Léo qui veut désormais choisir ses vêtements tout seul. Cependant, nous devons souvent le rediriger vers des habits adaptés à la saison. C’est encore le cas ce matin car le short de bain a été sélectionné avec vigueur. Il discute beaucoup en ce moment et essaie de faire de grandes phrases bien construites. Je pourrais passer des heures à l’écouter.
Je prépare en vitesse le petit déjeuner de mes deux hommes. Je ne mange jamais le matin car je n’en ressens pas le besoin. Bastien est un peu stressé. Il m’a raconté rapidement (avant le lever de Léo) qu’aujourd’hui, il accueille un nouvel enfant au foyer.
Bastien exerce comme éducateur spécialisé et est très fier de son métier. Bien entendu, c’est tout sauf « facile » mais il ressent tellement de gratitude lorsque les enfants se sentent mieux dans leur peau ! Il s’occupe principalement des enfants du Foyer de vie « Les bambous » situé en périphérie du centre-ville d’Angers. Il bénéficie des horaires de bureau ce qui s'avère vraiment pratique pour notre vie de famille, je dois l’avouer.
Mais aujourd’hui, il n’est pas tranquille. Joaquim, un petit garçon de 5 ans, vient d’être placé à la suite de maltraitances physiques de ses deux parents junkies. Il est connu des services sociaux pour être violent physiquement et verbalement avec ses camarades de classe. Le placement en foyer lui sera sans doute bénéfique sur le long terme mais pour le moment, cela va être une dure épreuve pour lui comme pour les autres (enfants et adultes).
Son métier le fait davantage relativiser que moi sur l’éducation de nos enfants. J’ai régulièrement l’impression de ne pas faire « assez » pour eux. Lui, pense tout simplement qu’ils ne manquent de rien et que l’on fait de notre mieux, que nos enfants grandissent dans un milieu serein et rempli d’amour.
Aujourd'hui, Léo va beaucoup mieux. Je me suis tellement inquiétée pour lui depuis sa naissance à cause de sa malformation cardiaque. Sacrément courageux mon grand garçon ! Les heures passées à l’hôpital, à faire les cent pas dans ces couloirs austères. Les sueurs froides à chaque opération, l’impression que notre monde peut s’arrêter à tout moment…
J’ai tellement hésité à faire un deuxième enfant, mais finalement, Bastien m'a convaincue . Mon mari voit toujours le verre à moitié plein. En grande partie la raison pour laquelle je suis tombée amoureuse de lui.
Finalement, nous avons eu Cléa. Elle se porte bien. À cette pensée, je touche machinalement le bois de notre table de salon et prie pour qu'il ne lui arrive rien.
Le petit déjeuner englouti, Bastien prend par la main Léo et lui glisse un tendre baiser sur sa joue rosie. Nous entamons notre petit rituel du matin :
- Bonne journée mon cœur, je t’aime !
- Bonne journée mamoune, je t’aime « kré kré » fort.
Je serre amoureusement Bastien dans mes bras et lui glisse à l’oreille « j’ai confiance en toi, tout va bien se passer. Je sais que tu peux gérer n’importe quelle situation ».
Il ne me répond pas mais je sens que mes mots lui font du bien. Cela m’embête de ne pas pouvoir lui apporter plus que mon soutien dans une situation comme celle-ci mais malheureusement, je ne peux pas faire plus pour le moment.
Par ailleurs, je dois me dépêcher car une grosse journée m’attend également et je dois finir de préparer Cléa et l’emmener chez Marina, notre nounou. Cléa est vraiment une enfant facile à vivre. Elle se laisser débarbouiller et affiche son plus beau sourire lorsque je lui parle. L’habiller est un régal et le tour est joué en moins de dix minutes.
Je l’installe dans la poussette pour me préparer à mon tour. J’ai laissé la porte de la salle de bain ouverte pour l’observer régulièrement. Aujourd’hui, j’opte pour une tenue confortable, casual. J’ai besoin de me sentir bien dans mes vêtements pour me concentrer pleinement sur le reste.
Une touche de maquillage léger pour camoufler un tantinet mes cernes et me donner bonne mine, puis, j’attrape mon sac et ma veste en jeans à la volée et ferme la porte à double tour.
« En route mauvaise troupe » je lance en regardant d’un œil complice ma fille. Je marche avec la poussette rapidement dans les rues du centre-ville qui s’éveillent. On ressent les beaux jours revenir car il y a plus de monde que d’habitude. Je passe devant la "maison bleue" réputée ici. Elle a été construite en 1929 à Angers, sa façade comporte des décors style "art déco" en mosaïque réalisés par Isidore Odorico.
Les oiseaux sont d’humeur bavarde ce matin, un bonheur pour mes oreilles.
« Tu entends les oiseaux Cléa ? Tu les entends ? Écoute leurs chants, c’est magnifique ».
Elle me sourit de plus belle et cela me réchauffe le cœur. J’aime lorsque nous partageons ces petits moments en tête à tête. L’avantage, c’est que cela m’empêche de penser à toutes les catastrophes et aléas susceptibles de se produire au boulot. Cela me permet de me couper de toute pensée négative et de me concentrer sur le moment présent et la beauté de ma fille.
Je sonne à la grosse porte rouge de chez Marina et je jette un coup d’œil machinal à ma montre afin de m’assurer de ne pas être en retard. J’ai une réunion à neuf heures et j’apprécie d'arriver en avance pour pouvoir vérifier mes courriels, préparer mes dossiers en amont.
- Ma chérie tu es rayonnante !
Je ne sais pas si le commentaire s’adresse à ma fille ou à moi-même. Dans le doute, je réponds par un grand sourire à Marina.
- Elle a bien mangé ce matin. Tiens, voici les repas pour aujourd’hui et le change. Il te reste des couches et des lingettes ?
- Oui, oui, ne t’inquiète pas ! Merci ! Quel est le menu du jour ?
- Cabillaud, purée de brocolis et compote de pomme. Biscuits, fromage frais et poire bien mûre pour le gouter.
- Miam, elle va se régaler !
- Bon courage à toi. Belle journée Cléa, Mamoune t’aime de tout son cœur.
- Merci, file ! Bonne journée !
Ça me fait toujours un petit pincement lorsque la lourde porte se referme et que nous sommes séparées. Je remets ma veste d’aplomb et reprends le chemin d’un pas rapide. Huit heures vingt. Ça ira, j’en ai encore pour dix minutes. Ma respiration est saccadée, mon cardio est vraiment mauvais ces derniers temps. Il va falloir que je songe à reprendre une activité sportive.
À peine ai-je franchi la porte vitrée de la boite que Léandre me saute dessus. Je m’attends toujours à tout avec lui.
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