Chapitre 1 - L'équipe de chasse
Nous sommes en l'Année Cinq cent soixante, dans une petite plaine verdoyante non loin d'une des plus grandes fortifications humaines, la citadelle d’Arianna. Un homme travaille patiemment son champ. Autour de lui s'étend un paysage paisible et calme. Au loin, se dresse un pilier colossal composé de pierres travaillées, une structure démesurée même à cette distance, rappelant vaguement la forme d'un calice géant. Le soleil brille dans un ciel bleu azur, et une douce brise caresse les arbres.
Soudainement, un flash lumineux aveuglant déchire le silence, suivi d'un bruit inquiétant et discordant qui perturbe la tranquillité des lieux. Un objet céleste s'écrase au sol avec une brutalité immédiate. La lumière est si intense que l’homme est ébloui, incapable de distinguer quoi que ce soit pendant quelques instants. La nature, jusque-là paisible, est brutalement interrompue par cette intrusion violente. Les oiseaux s'envolent en panique, les petits animaux se cachent, laissant derrière eux un vide pesant et inquiétant.
Alors qu’il tente de retrouver la vue, l’homme aperçoit une silhouette émerger du point d’impact à travers l’épaisse fumée. La surprise l’immobilise sur place. Pendant un moment, il se frotte les yeux, persuadé que la fatigue joue des tours à son esprit. La silhouette qui émerge est celle d'un homme désorienté, oscillant de gauche à droite. La dissipation de la fumée laisse traverser les rayons du soleil qui, en se reflétant sur ses cheveux, illuminent sa blondeur. Il porte des vêtements étranges, inconnus pour le paysan : un costume trois pièces aux teintes bleu assorties, rehaussé d’une cravate soignée. Cet accoutrement crée un contraste saisissant avec l’environnement rustique dans lequel il est apparu.
Tournant la tête de gauche à droite, l’homme blond évalue méthodiquement son nouvel environnement sans exprimer le moindre étonnement. Il semble même ennuyé par la situation, comme s'il regardait une pièce de théâtre dont il connaît déjà toutes les intrigues. Le paysan, abasourdi au point de ne pas pouvoir articuler un seul mot, fixe avec un air à la fois intrigué et méfiant. Ce visiteur remarque qu’un animal particulier accompagne le paysan : une créature imposante dotée de trois cornes sur la tête et d’une peau de serpent. L'animal continue à brouter paisiblement, indifférent à l’événement extraordinaire qui vient de se produire. Derrière lui, une charrette déborde d'oranges et de pommes.
— Il semblerait que je sois dans un nouveau monde murmure-t-il, avant de s'avancer vers le paysan d'une voix suave et polie.
Arrivant devant lui, il dit :
— Enchanté, paysan. Je me nomme Évariste. Auriez-vous la bonté de me donner quelques fruits ?
Un blanc pesant s’installe. Le paysan peine à dissimuler son expression, partagée entre incompréhension et curiosité. Évariste tend sa main droite, ornée d’une bague dont la pierre, ressemblant à un saphir, brille d’un éclat bleu roi. Le bijou pulse durant un court instant tandis que le sourire d’Évariste s’affirme.
Le paysan recule de quelques pas devant ce phénomène.
— Alors comme ça, le latin est votre langue commune ? dit-il. C’est très intéressant.
Pendant qu’il parle, Évariste inspecte son propre costume d’un geste soigneux, suivant du regard les contours taillés du tissu bleu. Ses doigts effleurent les coutures, jugeant l’état de ses vêtements.
— Chaque détail, chaque pli semblent parfaitement à sa place, se dit-il.
Le paysan s'efforce de formuler quelques mots :
— Êtes-vous un sorcier ?
Ne prenant pas la peine d’écouter la question, Évariste contemple l’animal domestiqué dans la direction du paysan tout en changeant de sujet :
— Vous avez un très beau Tricératops. À mon époque, ce reptile géant ne pouvait être aperçu que dans des livres. Il est fascinant de voir que vous employez des animaux préhistoriques pour des tâches agricoles, déclare-t-il en longeant le quadrupède.
Le paysan le dévisage sans ciller ni répondre. Continuant d'avancer, l'homme au costume bleu replace une mèche avec sa main puis s'impatiente :
— Diantre ! Arrêtez donc de me dévisager ! dit-il en se penchant dans la charrette pour y saisir une orange.
Hésitant entre l'indignation face au vol flagrant et l'abandon, le propriétaire de l’orange laisse passer l'instant :
— Qu'êtes-vous donc ? Vous apparaissez du ciel.... Vous parlez étrangement....
D’un pas décidé, Évariste se lance avec élégance vers une voie parmi tant d’autres. Au loin s’élève un édifice imposant.
— Cet homme ne peut pas être de notre royaume, et pourtant il connaît le chemin...
S'enfonçant progressivement au cœur de la forêt qui l'accueille chaleureusement, il prend le temps de répondre d’un ton désinvolte :
— Pour éclairer votre interrogation, brave homme, je vais être franc : je ne m'en souviens plus vraiment... ou peut-être l'ai-je volontairement relégué dans les méandres de ma mémoire.
Son sourire joyeux s'effaçant, Évariste prend une teinte plus sombre avant de poursuivre :
— Qu’importe ! Cela ne vous regarde pas !
Sur cette déclaration énigmatique, il disparaît dans la dense végétation de la forêt, ne laissant dans son sillage que des pelures d'oranges.
À quelques kilomètres de là, dans l’une des forêts situées plus au sud, on entend des sons de galop, ressemblant presque à ceux d’un cheval, mais rythmés différemment. Subitement, la voix d’un homme se détache des bruits environnants :
— Aléanna ! Pour l'amour du ciel ! Ralentis !
La jeune femme répondant à ce nom obtempère, mais ne peut s’empêcher de pousser un soupir agacé. Assise dans une posture décontractée sur le dos d’un gros reptile, l’Allosaure, ses longs cheveux châtain clair de flottent au gré du vent. Vêtue d’une tenue taillée pour la praticité, elle observe la forêt dense qui les environne. Des chaussures en cuir protègent ses pieds, des gants renforcés lui offrent une prise ferme, une tunique à manches longues moulant de couleur bleu épouse ses formes, et un pantalon clair en tissu lui permet une grande liberté de mouvement. Derrière cette praticité, une volonté esthétique met en valeur sa silhouette fine et légèrement musclée. Ses yeux d’un bleu clair perçant balaient les alentours à la recherche d’un signe de vie animale. À ses côtés se tient leur chef d’équipe, un homme robuste et imposant avec un visage couvert de cicatrices, une barbe mal taillée et des yeux fatigués. Malgré son apparence rustre, il a une voix douce et réconfortante.
— Vous avez repéré quelque chose ? demande Aléanna à l’homme à côté d’elle.
— Non rien pour l’instant, répond-il en secouant la tête. Mais j'aimerais que tu restes près de l'équipe.
Le chef d’équipe plisse les yeux, fixant la pénombre sous les arbres. Il se penche, examinant le sol.
— Regardez ça, murmure-t-il, sa voix rauque à peine audible au-dessus du bruissement des feuilles.
— Des excréments frais... et pas ceux d’un herbivore non.
Il lève les yeux vers ses hommes.
— Un carnivore. Ça ne sent pas bon. Allons-y, il doit être proche. Préparez vos armes, doucement.
Où se trouve ce fameux reptile à crête rouge ? Perdue dans ses pensées, elle jette un coup d’œil au rapport d’une autre équipe, cherchant des indices pour le localiser.
Alors qu'ils s’avancent plus profondément dans la forêt, ils entendent un rugissement retentissant. Le chef d’équipe resserre sa prise sur sa lance et ordonne à l'équipe de s'arrêter.
— Qu'est-ce que c'était ? demande la chasseuse, scrutant les arbres autour d’eux.
— Je ne suis pas sûr, répond l'un des chasseurs. Mais ça n’était pas un cri amical.
— Nous devrions être prudents, dit le chef d’équipe. Restez ensemble et gardez vos lances prêtes.
Ils avancent prudemment à travers les ombres mouvantes de la forêt. Les feuillages bruissent sous les pas des montures, et déjà la créature les a repérés. Dans un sursaut d’instinct, elle bondit, faisant jaillir la terre humide sous ses griffes.
— Il fuit ! crie un éclaireur.
Aléanna n’hésite pas une seconde. Elle secoue les rênes de sa monture, qui part en trombe. La course s'engage, frénétique. Les arbres fusent autour d’eux, les branches fouettent l'air. Chaque battement de cœur vibre comme un tambour de guerre.
La bête semble avoir combattu quelque chose. Elle boite, blessée, mais déterminée. Elle glisse entre deux troncs, franchit une étendue de racines, puis s’enfonce dans un marécage noyé de brume. Là, elle s’arrête enfin, haletante, grognant entre ses crocs.
Mais ce fut l’équipe de chasse qui hésite.
— Par les dieux… souffle l’un d’eux. Regardez-moi cette taille...
L’écaille, flamboyante de teintes éclatantes et volumineuse, fixe les siens de son regard étincelant. Ses écailles se hérissent. Un long grondement monte de sa gorge. Sa gueule s’entrouvre, révélant une rangée de crocs déformés par la rage et la douleur.
— On ne pourra pas l’approcher… murmure le borgne. S'il charge, quelqu’un risque d’y passer.
— Je ne suis pas payé pour mourir ici, bredouille l’un des jumeaux, affichant une hésitation.
L’ordre d’encercler a été donné, mais aucun ne bouge. L’air est figé, saturé par la peur. Même les allosaures frémissent sous leurs rênes, comme s’ils ressentaient le danger.
Aléanna, toujours au dos de sa monture, fronce les sourcils.
— Sérieusement… vous allez tous rester plantés là ?
Aucune réponse. Juste le vent et le souffle rauque de la créature.
Alors elle bondit de sa monture avec une agilité féline, atterrissant dans la boue sans la moindre hésitation. La créature tourne la tête brusquement vers elle, et pousse un rugissement si puissant que plusieurs oiseaux s’envolent des arbres. Mais la chasseuse court déjà, ses bottes s’enfonçant dans le sol spongieux, son cœur battant la chamade. Ne pense pas. Agis, pense-t-elle. Dans un élan désespéré, elle prend appui sur une racine d’arbre pour bondir… et atterrit directement sur le dos de l’animal.
— Hrrrraaaaah ! crie t-elle.
La bête se cabre dans un cri de rage, secouant violemment les épaules pour la faire tomber, mais la jeune femme s’agrippe comme une furie, s’accrochant à une excroissance osseuse près du cou.
— ALÉANNA FUIT !! hurle un jeune chasseur.
Ignorant ses compagnons, d’un geste vif, elle dégaine une sangle d’attache et la passe autour du cou de l’animal, tentant de la serrer tout en évitant un coup de queue mortel. Ses bras hurlent de fatigue, ses jambes également, et pourtant elle tient bon. La créature trébuche, glisse dans la boue. C'est l'ouverture.
— MAINTENANT ! crie le chef d’équipe.
Les chasseurs se ruent enfin. L’un lance la muselière, un autre passe les cordes autour des pattes. À trois, ils parviennent à immobiliser la bête au sol, laissant ainsi à Aléanna l’opportunité de s’élancer vers l'arrière, couverte de boue et haletante. Elle tombe à genoux, un sourire de victoire aux lèvres.
— On... on l’a eu, souffle-t-elle.
Un léger silence. Puis, une explosion d'applaudissements. Les chasseurs la dévisagent, un mélange d'admiration et de honte se lisant sur leurs traits.
— Tu es complètement folle, petite, mais c’était vraiment osé ce que tu viens de faire, marmonne le borgne.
Elle reste un instant immobile, et tandis que certains de ses camarades commencent à reprendre la route, plusieurs lui tapotent l'épaule, un geste de félicitation muet et sincère.
Après avoir placé prudemment une muselière adaptée à la taille de sa mâchoire, ils attachent l'animal à leur allosaure pour le ramener en vie, heureux d'avoir trouvé l'espèce rare qu'ils cherchaient. Aléanna observe le reptile capturé avec attention, étudiant chaque détail avec curiosité, notant sur un carnet ses remarques. Soudain, elle entend une voix familière derrière elle qui interrompt son travail.
— Qu'est-ce que tu en penses, Aléanna ? demande le jeune homme aux cheveux courts et bruns.
— C'est une belle prise, n'est-ce pas Loan ?
Elle se retourne pour faire face à son ami, souriant en réponse.
— Oui, c’est une découverte incroyable ! On va pouvoir en apprendre beaucoup sur cette espèce.
Le jeune homme acquiesce, visiblement heureux de la réponse de son amie. Leurs montures se tiennent côte à côte.
— Alors, à quoi avons-nous affaire cette fois-ci ?
Un sourire se dessine sur les lèvres de la jeune femme. Elle lui tend son carnet intitulé « Encyclopaedia Prodigium ». Le jeune homme le saisit et constate que le petit volume est usé par le temps. Avec délicatesse, il l’ouvre en s’aidant du marque-page. Sur l'extrait du livre, on peut voir un croquis de la créature, suivi de quelques notes plus ou moins importantes à son sujet.
— Donc, cette créature serait un « Kiliangusorus », dit Loan après avoir écorché le nom de la bête.
Aléanna se met à rire aux éclats en entendant ce mot, ce qui fait froncer les sourcils de l’homme qui lui lance un regard interrogateur.
— Pourquoi tu ris ?
Elle s'arrête puis répond :
— Ce n’est pas un « Kiliangusorus », c’est un « Quianzhousaurus », naïf !
Sa monture accélère le pas. Loan, les joues embrasées, ne sait plus où donner de la tête. Il est accablé d'humiliation...son unique aspiration est de s’effacer. La jeune femme, toujours amusée par sa confusion, fait un effort pour contenir son hilarité et pose doucement sa main sur l'épaule de son ami.
— Ne t’inquiète pas, ce sont des noms compliqués à prononcer. Je m’oblige à les répéter plusieurs fois pour être capable de les citer sans bafouiller.
Elle lui fait un petit clin d’œil. Loan sent un léger soulagement en entendant ces paroles. Il essaie de sourire maladroitement en réponse.
— Merci, Aléanna. Je suis encore novice dans ce domaine d’étude, mais j'espère apprendre rapidement.
La jeune fille acquiesce.
— Bien sûr, je suis là pour t’aider. La découverte des créatures de notre monde est une aventure passionnante, et ensemble, nous pouvons en apprendre beaucoup.
— Au fait, pourquoi l’as-tu baptisé avec ce nom ?
Celui-là avait déjà un nom, je l’avais vu dans un livre de la vieille bibliothèque. Aléanna referme délicatement le carnet, gardant précieusement les informations sur le Quianzhousaurus.
— Selon ce que je sais, « Saurus » vient d’une ancienne langue morte voulant dire « Lézard » et « Quianzhou » est le nom de la région où il fut découvert la première fois par les hommes du « premier âge », dit-elle sur un ton savant sans bégayer.
— J'ai hâte de poursuivre notre exploration. Qui sait quelle créature fascinante on pourra capturer ? continue-t-elle.
— Je me demandais d’où te vient cette passion pour l’étude des animaux ? Est-ce que ton père y est pour quelque chose ?
La jeune fille hoche la tête comme pour valider ses dires. Elle commence à répondre à sa question en parlant de son passé :
— La mort de ma mère entraîna la perte des titres de noblesse de la famille. Je fus un moment livré à moi-même, jusqu'à ce que mon père revienne pour m'élever. Il m'a alors transmis sa passion dévorante pour la biodiversité.
Aléanna se tourne vers lui puis demande :
— Et toi, tu es là pourquoi ?
Il cherche ses mots et balbutie une réponse mal préparée, mais sincère :
— En réalité, je n’aimais pas du tout travailler dans l’équipe de chasse. C’est mon père qui m’avait obligé à être là pour m’endurcir.
Elle lui répond d’un ton encourageant :
— Ton père a bien raison, tu manques de courage !
Ils discutent de la chasse du jour. Le jeune homme se concentre davantage sur Aléanna que sur leurs propos. Ses regards insistants échappent à l’attention de la jeune femme, dont l'esprit s'évade déjà, palpitant au diapason d'une aspiration profonde : découvrir des espèces animales inédites.
Le soleil amorce sa descente à l'horizon tandis qu'elle s'installe confortablement près du feu de camp. Son petit carnet est posé devant elle, ouvert à la page consacrée à la créature qu’ils ont capturée. Le Quianzhousaurus épuisé par ses tentatives de fuite finit par s’allonger au sol et dormir. Elle griffonne des détails sur ses caractéristiques physiques : sa taille, sa dentition, ses yeux, son plumage ou encore la forme de ses pattes. Le crépuscule enveloppe doucement la forêt, projetant des ombres dansantes sur les pages de son carnet. La chasseuse ressent une excitation palpable alors qu'elle enrichit les connaissances sur cette espèce animale.
Soudain, le chef de l’équipe s’approche d'elle.
— Aléanna, dit-il d'une voix grave qui la fait sursauter.
Elle relève la tête, un sourire accueillant éclairant son visage.
— Oui, chef ? répond-elle.
Il s'assoit à côté d'elle, le regard fixé sur les braises scintillantes du feu. Puis, d’une voix empreinte de respect, il commence à lui parler.
— Je suis impressionné par ton travail. Ton dévouement à la connaissance des créatures que nous rencontrons est rare.
Aléanna hoche la tête, reconnaissante de recevoir les compliments de son supérieur.
— Merci, chef. J'ai toujours été fascinée par ces créatures. Je veux toutes les répertorier dans ce carnet que je tiens ! Faire partie de cette équipe est une opportunité incroyable pour moi. Je devrais plutôt vous remercier de m’avoir acceptée.
La jeune femme est vraiment excitée à cette idée de grande envergure. Le chef acquiesce, un sourire léger étirant ses lèvres.
— C’est pour cette raison que je t'ai choisi dans l’équipe. Tu es une observatrice perspicace, une chasseuse talentueuse et tu as une grande vigueur. Cependant... ajoute-t-il en se touchant le menton, malgré tes talents indéniables, Aléanna, tu es également connue pour ton… Il détourne le regard un instant, cherchant ses mots, donnant l'impression de ne pas vouloir offenser la jeune femme, puis finit par sortir :
— Tempérament quelque peu chaotique.
En sortant ce dernier mot, on perçoit presque un léger soupir s'échapper de sa bouche. Aléanna le regarde en s'efforçant de comprendre ce qu'il sous-entend.
Le chef reprend son discours, la gorge légèrement irritée. Il se racle la gorge, puis continue d'une voix plus grave :
— Tu prends trop de risques... ce qui suscite l'inquiétude chez tes coéquipiers. Ton impulsivité te pousse parfois à agir sans mesurer pleinement les conséquences.
Elle lève les yeux au ciel, un sourire légèrement taquin dans son regard.
— Je dois admettre, chef, je manque parfois de prudence. Mais je promets de toujours garder la sécurité de l'équipe à l'esprit.
Comme pour jouer la provocation, elle lui coupe la parole, sur un ton condescendant :
— Cela vous convient-il, chef ?
Il sourit, comprenant parfaitement cette facette de sa personnalité. Il commence à marcher en direction des autres membres de l’équipe tout en lui parlant de dos.
— Très bien, Aléanna. C'est précisément cette audace qui fait de toi une chercheuse efficace. Mais n'oublie pas d'écouter les conseils de tes coéquipiers et de peser les risques avant d'agir. Nous ne sommes pas des sauvages... Comme à Bellum.
Le chef d’équipe s’éloigne pour discuter avec les autres membres lorsqu’une explosion retentit au loin. Le bruit se propage à travers la forêt, faisant vibrer l’air. Un silence stupéfait s’installe parmi les chasseurs, chacun se figeant dans l’incompréhension et la surprise. Les regards se croisent, cherchant des réponses dans les yeux des autres. Qu’est-ce que cette explosion ? Qu’est-ce qui a pu causer un tel bruit ?
Aléanna sent son cœur s’emballer dans sa poitrine, l’adrénaline pulsant dans ses veines. Son esprit passe en alerte, évaluant les différentes possibilités qui pourraient expliquer cet événement. À côté d’elle, Loan, semble tout aussi troublé. Son regard fixe révèle son inquiétude.
Les pensées se bousculent dans la tête de la jeune femme. Elle sait qu’ils doivent rester prudents et se préparer à toute éventualité. L’explosion est un rappel brutal de la nature imprévisible et dangereuse de cet environnement. Elle regarde autour d’elle, cherchant des indices, des mouvements suspects dans les environs. Les arbres paraissent se taire, comme si même la nature retenait son souffle devant ce mystère inattendu. La tension est palpable dans l’air, chaque membre de l’équipe prêt à agir à la moindre alerte.
Le chef revient précipitamment vers eux, son visage arborant une expression grave.
— Qu’est-ce qui se passe ? Quel était ce bruit étrange ? demande Aléanna d’une voix empreinte d’inquiétude.
Le chef secoue la tête, signe qu’il n’a pas plus d’informations qu’eux.
— Nous devons nous rendre sur le lieu pour établir un rapport à la hiérarchie.
Sans perdre un instant, l'équipe se met en mouvement, s'orientant vers la source originelle du bruit. La jeune femme est habituée aux défis et aux dangers de leur mission, mais cette situation est différente. Cette fois, l’inconnu ne peut pas être un Dinosaure.
En chemin, elle se demande ce qui les attend. Serait-il possible que cela soit une attaque d’une nation ennemie ? L’équipe, encore sous le choc retentissant, se dirige rapidement vers le lieu supposé de l’incident. Arrivant sur place, ils sont confrontés à une scène troublante. Devant eux s’étend un vaste étendu d’eau, une rivière paisible autrefois, mais désormais figée dans une étrange immobilité. Le reflet de la lueur crépusculaire se brise sur sa surface gelée, ajoutant une atmosphère sinistre à l’environnement déjà dévasté.
Les arbres bordant la rive présentent des signes de destruction, certains carbonisés jusqu’au cœur, tandis que d'autres semblent avoir été violemment arrachés de leurs racines. Les membres de l'équipe échangent des regards perplexes, incapables de comprendre ce qui a pu causer une telle dévastation. Mais ce qui attire immédiatement leur attention, c'est la présence d'un énorme Carnotaurus carbonisé, gisant à quelques mètres du bord de la rivière. Le prédateur préhistorique, jadis imposant et redoutable, est désormais réduit à un cadavre noirci par la chaleur. Son corps figé dans une pose menaçante, les restes de ses écailles carbonisées témoignent de la violence de l'explosion.
Aléanna, les yeux écarquillés devant cette vision cauchemardesque, sent un frisson lui parcourir l’échine. Elle tente de rationaliser la situation, mais la perplexité est omniprésente. Comment un tel phénomène peut-il se produire ? Que s'est-il passé ici ? Les questions tourbillonnent dans son esprit, cherchant des réponses qui semblent hors de portée.
Son ami d’enfance, s’approche d'elle, l'expression gravée d'inquiétude mêlée de fascination. Il lui murmure d'une voix tremblante :
— Je n'ai jamais rien vu de tel... Comment deux contraires, la glace et le feu, peuvent se retrouver au même endroit ?
Comment ça la glace et le feu ensemble ? pense-t-elle. Regardant le fleuve à proximité, c'est avec effroi qu'elle constate qu'il s'est gelé.
— Que s'est-il passé ici ? rétorque le chef.
Aléanna, encore sous le choc de la découverte, répond d'une voix à peine audible :
— Je ne sais pas, mais nous devons enquêter. Il doit y avoir une explication logique à tout cela.
Le reste de l’équipe se presse autour du Carnotaurus carbonisé, leurs voix étouffées par un murmure d’hypothèses et de spéculations. Les minutes s'étirent dans un silence tendu, chacun scrutant attentivement chaque détail de la scène. Les indices se font rares, mais une détermination silencieuse anime leurs regards : ils veulent résoudre ce mystère.
Les pas lourds des allosaures écrasent les fougères gelées, émettant un craquement. L'équipe stoppe net ses déplacements et devant elle se trouve le fleuve Olaus qui serpente comme une lame d’argent… figée.
— Nous ne pouvons pas rester indéfiniment ici, déclare le chef en retenant les rênes de son allosaure. Il faut mener une enquête approfondie et obtenir des réponses. Aléanna, prends des mesures de la température. C’est très étrange… avec la chaleur qu’il fait, il ne devrait pas y avoir de glace…
La chasseuse saute à terre, ses bottes en cuir claquant dans le vent, et ouvre son coffret d’instruments. Elle sort un thermomètre artisanal : une tige de cuivre creuse, scellée à une ampoule de verre soufflé contenant un liquide teinté. Agenouillée, elle plante l’embout dans une fissure de la glace, notant sur un carnet les graduations approximatives. Elle remplit aussi un flacon d’argile avec un éclat de glace, enveloppé de toile pour éviter qu’il fonde.
Le chef répartit les tâches en désignant du doigt.
— Loan, inspecte les lieux carbonisés. Cherche des signes d’explosion ou de brûlure d’huile noire. Les jumeaux, inspectez les traces au sol. Voir si nous avons affaire à l’attaque d’une autre citadelle.
Loan s’exécute. Son regard vif balaye les troncs noircis, passant d’un arbre à l’autre avec une rapidité méthodique. Il n’y trouve rien de tangible : aucun résidu, ni métal, aucune trace de dispositif ou d'équipement d'origine humaine. Les marques semblent gravées dans la matière même, comme si le bois avait pris feu de l’intérieur, sans jamais connaître la flamme… Cette absence même de preuve, paradoxalement, rend l’ensemble encore plus troublant.
— Ce n’est pas naturel… murmure-t-il, le front plissé. On dirait que la chaleur a surgi de nulle part...
Pendant ce temps, les jumeaux, qui inspectent les traces au sol, reviennent avec un air perplexe.
— Les empreintes sont trop nettes, dit l’un.
— Elles étaient récentes… comme si elles venaient d’apparaître à l’instant, ajoute l’autre.
—Et elles ne correspondent à aucune monture que nous connaissons parmi les autres nations.
Le borgne, qui n’a pas eu besoin d’ordre pour savoir ce qu’il doit faire, part longer la rive glacée. Il confirme que la zone gelée s’étend sur une distance précise, presque géométrique : un quart de lieu, pas un pas de plus. Au-delà, le fleuve reprend son cours normal.
La nuit s'étend doucement sur la région, voilant le paysage. Et dans la lumière vacillante des torches, les découvertes – ou plutôt leur absence – revêtent un aspect dérangeant. Aucun outil n’a été trouvé, aucune trace de passage humain ne se manifeste. Rien n’explique ni la brûlure des végétaux environnants, ni celle du Carnotaurus, et encore moins le lien étrange entre ce phénomène et la portion de fleuve gelée. Il n’en reste qu’un fait précis, localisé… et pour eux, totalement incompréhensible.
Le chef fronce les sourcils en écoutant les rapports.
— S’il n’y a ni outil ni artifice, alors nous avons affaire à quelque chose qui nous échappe totalement.
Aléanna, accroupie près de la glace, sent encore un froid intense s’échapper de ses échantillons, qui dépasse de loin l’hiver le plus rude. Malgré les précautions prises pour se protéger les mains, ses doigts sont déjà engourdis. Elle échange un regard avec Loan. Aucun des deux n’ose formuler à voix haute la conclusion glaçante qui leur vient.
— Nous rentrons, ordonne le chef. Ce phénomène dépasse nos compétences. Je dois en informer immédiatement ma hiérarchie.
La chasseuse se redresse, ses doigts crispés sur le flacon de glace comme pour s’en servir de point d’appui.
— On ne peut pas abandonner maintenant !
Elle serre les poings.
— Nous avons déjà des indices, il suffit de pousser un peu plus…
Le chef maintient son regard. Ses yeux, froids comme l'acier, se posent sur elle.
— Aléanna, la sécurité de nos compagnons prime. La nuit ici est comme une bête tapie dans l'ombre, et ses griffes sont acérées. Tu te souviens peut-être de tes propres paroles, prononcées il y a peu : « Je promets de toujours garder la sécurité de l'équipe à l'esprit.». Si le danger persiste, nous reculerons. Le devoir nous appelle, mais la vie est plus précieuse.
Elle ouvre la bouche pour répliquer, mais son regard glisse vers le cadavre encore fumant du Carnotaurus au sol. Sa gorge se serre. Le chef a raison : l’orgueil peut tuer plus vite que n’importe quel prédateur dans cette forêt.
Après un long silence, elle range son équipement, les gestes raides. Chacun de ses mouvements est une concession.
— Très bien… mais à la première occasion, je reviendrai ici.
Un mince sourire se dessine sur les lèvres du chef.
— Et je serai à tes côtés.
Les montures s’ébranlent, emportant avec eux leur cargaison d’échantillons et de questions sans réponse, tandis que la rivière gelée disparaît dans la nuit comme un secret jalousement gardé. Ainsi, l'équipe se met en marche à dos d’allosaure en traînant la carcasse brûlée du Carnotaurus jusqu’à la Citadelle d’Arianna.

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