Chapitre 4.2 - Le château dans les nuages
Au même instant, dans les profondeurs de la citadelle, Aléanna sombre dans un rêve déroutant. Autour d'elle, l'espace se dilue en une blancheur infinie, sans limite ni commencement. Seul le bracelet mystérieux captive son regard, flottant devant elle et diffusant une lueur orangée pulsatile.
Intriguée par cette expérience singuilière, elle focalise son attention et murmure :
— Où suis-je ?
Sa voix résonne dans le vide immaculé qui l'enveloppe. Chaque syllabe semble se répliquer, s'égarant sans fin dans cet espace muet. Seul le silence lui répond. Elle s’approche de l’objet, les doigts tendus comme pour en saisir le mystère. Son regard glisse sur ses contours, cherchant un sens caché. Autour d’elle, l’air vibre d’une mélodie lointaine, à peine audible, mais assez présente pour faire battre son cœur plus vite. Au moment où ses doigts effleurent le bracelet, la mélodie s'évanouit, cédant la place à un message énigmatique :
— Réveille toi. Planche à pain.
Un frisson lui parcourt l’échine. Ses yeux s’ouvrent dans l’obscurité d e la pièce, ses mains agrippant les draps froissés. La phrase résonne encore dans sa tête, comme un écho lointain qui refuse de se dissiper. Autour d’elle, la chambre est silencieuse. Ces sensations... Elles étaient si réelles... Elle tend son bras droit vers son visage, les doigts tremblants effleurant le métal froid du bracelet. Ses yeux s’écarquillent en l’examinant
— Planche à pain ? Tout ça n’a aucun sens.
Ses pieds nus glissent sur le plancher froid, chaque pas traînant comme si son corps résistait encore au réveil. La lumière blafarde du matin filtre à travers les rideaux, dessinant des ombres tremblantes sur son visage pâle. Ses cheveux en désordre, tenus par un mélange de cendres et d’humidité, tombent en mèches inégales devant ses yeux. Ses vêtements froissés collent à sa peau : la terre séchée craquelle sous ses doigts quand elle effleure son pantalon.
La cuisine baigne dans une lumière dorée, réchauffée par les flammes bleutées sous la poêle. Son père de dos, porte un tablier à motifs floraux contrastant avec son immense silhouette aux épaules larges. Ses grandes mains calleuses manipulent une spatule avec dextérité.
L’odeur des œufs grésillant dans l’huile fait gargouiller l’estomac d’Aléanna. Elle s’appuie contre le cadre de la porte, les bras croisés, observant la scène avec tendresse. Quand il se retourne, son sourire creuse des rides profondes autour de ses yeux.
— Bonjour ma fille chérie. Sa voix est comme un vieux meuble, patiné par les années.
Aléanna bâille derrière sa main, les doigts encore engourdis par le sommeil.
— Salut papa, tu ne travailles pas aujourd’hui ?
Le regard de son père glisse vers la poêle, où quelque chose d’immense, doré aux contours blanchâtres, se retourne lentement sous la spatule.
— Non, aujourd’hui, c'est l’arrêt de la mine. Je pense que cela est lié aux réunions politiques du roi.
À côté du père, la jeune femme distingue une demi-coquille ivoire et granuleuse, deux fois plus volumineuse qu’un œuf d’autruche, épaisse comme de la porcelaine brute. Un marteau gît près des éclats de coquilles.
— C’est un œuf d’Aepyornis ?! Ça coûte cher !
Son père lui lance un regard malicieux, celui d’un enfant qui vient de voler un biscuit dans la jarre. — On trouve plusieurs surprises dans les mines !
Le père pose le plat sur la table, une montagne fumante de jaune doré se diffuse dans la cuisine. Ils prennent place à la table et entament leur petit-déjeuner en ensemble. Ce dernier la contemple avec affection l’appétit de sa fille.
— Alors, ma chérie, quels sont les projets pour aujourd'hui ?
Elle engloutit son omelette à vive allure, à peine le temps de mastiquer. Elle brandit un index pour réclamer un instant, incapable de formuler autre chose qu'un grommellement indistinct. La texture est onctueuse, le jaune d’un orange vif. Et le goût… une chaleur beurrée, c’est trop bon !
— Plein de pensées sont dans ma tête. Hier, une chose étrange s'est produit je vais approfondir mes connaissances pour comprendre.
Son père l'écoute attentivement, hochant la tête à mesure qu'elle décrit son expédition. Elle lui raconte avec enthousiasme la scène près de la rivière, où un Carnotaurus complètement brûlé a été trouvé. La présence d'une rivière gelée, une vision plutôt effrayante, ajoute encore plus de mystère à cette découverte.
— Mais le plus fou, c'est ce Quianzhousaurus que j'ai ramené ! Quelle montée d'adrénaline !
— Ma fille, tu es pire que ta mère !
Ses yeux se posèrent sur son poignet.
— Oh, tu t'es offert un bracelet ? Ou c’est un cadeau du petit Loan ?
Soudain, elle cligne des yeux, son regard rivé sur un point imperceptible. Son pieds, immobile il y a quelques secondes, commence à tambouriner.
— Oh... Ça ? On me l'a donné, en rentrant hier soir au QG. Mes camarades avaient préparé une soirée en mon honneur.
Son attention se tourne vers elle, et un « mmh » méditatif lui échappe, tandis qu'il pèse ses mots avec soin, évitant de la brusquer.
— Tu as un petit copain ?
Aléanna plonge sa fourchette dans l'omelette sans répondre.
— Vous vous êtes disputés toi et Loan ?
— Hein ? Pas du tout ! s'exclame-t-elle, les joues rouges.
Elle mord dans l'omelette, fuyant la conversation. Son regard se lève brièvement vers son père — une prière silencieuse : pas maintenant.
Détournant son regard pour ne pas insister, il soupire doucement.
— Tu t'es surpassé, dit-elle en reprenant une bouchée. Elle a vraiment un goût incroyable.
Son père la regarde, une ombre dans les yeux.
— Tu as mis du sel noir, de la ciboule fine, de la marjolaine, une pincée de piment doux séché et tu as fait cuire ça avec du lait battu, non ?
Son père affiche un air stupéfait.
— Comment tu sais ça ? Moi qui voulais innover.
Aléanna lève les mains devant elle.
— C’est une sensation curieuse. C'est comme si chaque saveur ouvrait un souvenir.
Ce n'était pas normal. Jamais elle n'avait détecté les saveurs avec autant de précision.
Elle se lève, repoussant sa chaise.
— C’était un coup de chance...
Mais au fond d'elle, une idée persistait. Et si ce n'était pas un hasard ?
Peu après le petit déjeuner, Aléanna se précipite vers l’extérieur. L'air frais l'enveloppe quand elle ouvre la porte. Les bruits du village résonnent au loin : des pas, des voix, le grincement des chariots. Elle inspire profondément, chassant ses pensées.
— Hé, Aléanna !
Son père encore dans le couloir de la maison :
— Si tu sors, tu peux passer à la boutique d'équipement ? J'ai besoin d'attaches neuves, de résine et d'une scie fine.
Elle soupire.
— Tu profites de ma gentillesse ?
— Évidemment. Tu es ma fille préférée.
— Je suis ta seule fille, vieux malin !
Elle croise les bras.
— Bon, d'accord. Mais en échange, tu regardes mes échantillons que j’ai posé dans ton bureau ?
— Compris, chef.
Il lève la main dans un salut militaire exagéré, presque comique dans sa raideur feinte. Elle rit, puis s'éloigne dans les ruelles lumineuse, sa silhouette se fondant peu à peu dans l'éclat doré de l'aube. Il la regarde disparaître, un sourire encore accroché aux lèvres.
Toujours au même moment, dans la salle de réunion du roi, une vingtaine de fonctionnaires se tiennent au garde-à-vous. Leurs mains levées reproduisent le même geste que le père d'Aléanna vient d'esquisser par jeu. Mais ici, pas de rire. Pas de légèreté. Seulement le poids du silence et des regards graves qui convergent vers le trône. L'un d'eux s'avance d'un pas, le front perlé de sueur malgré la fraîcheur matinale.
— Mon roi, l'heure est grave.
Il déroule un parchemin dont les bords sont encore noircis, comme s'il avait échappé de peu aux flammes.

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