Un coin à l'ombre
de
Gris

Une créature très commune a élu domicile dans un angle de ma cellule : une grosse araignée noire, immonde et immobile, dans sa retraite obscure. Elle a soigneusement tissé sa toile, un piège aussi minutieux que fatal pour les proies volantes qui viendraient s'y prendre. Accoutumée à ce type d'environnement sombre et humide, l’araignée n'est pas recluse comme je le suis dans mes cinq mètres carrés, encombrés d'un lit d'appoint, de toilettes et d'un lavabo. Son monde est délimité par les extrémités de la toile qu'elle a tissée. Lorsqu’un minuscule moucheron s’aventure dans ce périmètre mortel, cimetière suspendu de nombreuses autres proies momifiées, l'araignée a déployé ses huit longues pattes et a commencé à progresser avec agilité sur son terrain de chasse, m'inspirant dégoût et effroi.
En touchant cette surface de soie, le malheureux futur condamné aura beau s'agiter en tous sens, il n'échappera pas à la redoutable tisseuse. En l'enveloppant de fils de soie, elle me rappelle la manière dont ils m'ont capturée, me ligotant pour m'enfermer dans cette cellule depuis une durée que je ne parviens plus à déterminer. J'ai d'ailleurs très rapidement perdu la notion du temps, privée de tout appareil pour le mesurer, il m'est même impossible de distinguer le jour de la nuit.
N'ayant aucune autre occupation, je me suis doucement approchée du secteur de l'araignée, mais étant légèrement arachnophobe, l'abord de la toile a été délicat et anxiogène. J'avais la peur irrationnelle qu'elle me saute au visage. L'étape de la momification achevée, la chasseuse semble injecter ce que j'imagine être du venin dans le corps de sa proie. Le spectacle s'arrête là ; l'araignée laisse le venin agir et retourne dans sa retraite, à l'affût de la moindre vibration sur la toile.
Cette observation régulière me lassa assez rapidement. L’araignée, quant à elle, se régalait probablement : les moucherons qui volaient en zigzag autour des toilettes sales dont un nombre conséquent d’entre eux au vol erratique allaient se perdre tout droit sur la toile et subir exactement le même sort que leur congénères. Il y a bien longtemps que je ne suis plus une proie, je suis une captive, un jouet humain quotidiennement maltraité. J’envie ces moucherons momifiés et achevés par le venin inoculé par l’araignée, eux au moins ne meurent qu’une seule fois.
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Un coin à l'ombre | Chapitre | 9 messages | 1 an |
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