Jour 1 - Curriculum Vitae d'un hérisson
- " Bon, par où commencer... Alors. Je suis Héris, je viens d'atteindre ma onzième lune, je suis indépendant, et... Pour ce qui est de mes antécédents, j'ai fait partie de la compagnie des hérissons mignons à Central Park, avant de me faire virer à cause de, comment dire, d'une altercation avec le boss suite à une histoire qui incluait une noisette, un goëland et une poussette... Je vais pas vous la raconter, non non non... Non, ce serait trop... Vous voulez que je vous la raconte ?
- Sûrement pas. Continuez ", s'impatienta le recruteur.
Cet entretien d'embauche tournait au désastre, je le sentais et il fallait que je reprenne les choses en main grâce à mon charme hors du commun :
- " Je suis très motivé par ce job, vous ne pouvez même pas imaginer". La tension montait dans la boîte à chaussures qui nous servait de bureau d'entretien, et mon tortionnaire me regardait comme si j'étais un pigeon venu piétiner ses plates-bandes.
- " Des petits comme toi, mon gars, qui se ramènent avec un CV fait par maman à la dernière minute, j'en vois tous les jours et ça me hérisse les poils ! " C'était vrai, ses épines de vieil hérisson, émoussées et tordues pour la plupart semblaient me menacer. " Alors donne moi une seule, une seule bonne raison pour que je ne te fasse pas sortir d'ici immédiatement ! "
Ce job, il me le fallait, j'avais été refusé partout ailleurs, c'était ma dernière chance. Alors j'ai pris une grande inspiration, et j'ai lancé ma botte secrète, une phrase que j'avais travaillée longtemps :
- " Oui mais moi, je suis différent ! "
A nouveau, l'énergumène me regarda avec insistance mais cette fois-ci, son expression m'évoquait plus un castor avec une conjonctivite, oui c'est ça, exactement ça. Et surtout, surtout ne me demandez pas pourquoi ! Quand enfin il se décida à parler, j'avais déja transpiré assez pour remplir une piscine :
- " Mais... Tu es stupide ou tu le fais exprès ? "
A ce moment là, c'est moi qui l'ai regardé comme s'il était mon repas de onze heures, et je ne pus m'empêcher de lui sauter dessus à une vitesse que vous ne pouvez même pas imaginer. Oui, enfin, une vitesse de hérisson. Forcément, j'ai raté ma cible qui, au passage, s'était roulée en boule pour m'ignorer. Et paf, en plein dans le mille, je me suis mangé ses épines. C'est pratique pour soi mais tout de suite sur les autres, c'est moins drôle. C'est donc comme ça que je suis rentré chez moi, mon honneur bafoué et ma truffe percée comme un gruyère. Ca fait combien de temps que j'ai pas mangé de gruyère ? Ou de fromage d'ailleurs ? Hmmm, fromage... Euh, pardon je m'égare. Oui, donc c'est ainsi que je suis rentré chez moi et sur le chemin, ma voisine m'interpella :
- " Alors, ça essaie l'acupuncture et ça m'invite pas ? "
Sur le moment, j'avoue que je l'ai ignorée et que je n'ai pas compris ce qu'elle voulait dire et ce n'est qu'en rentrant chez moi et en me regardant devant cette flaque d'eau qui me servait de miroir que je compris. Ces saletés d'épines toujours plantées à mon museau... Mais quelle journée pourrie ! Dans la mangeoire à oiseaux dans laquelle j'avais élu domicile, quelques graines de sésame traînaient encore et c'est résigné que j'allai me servir.
- " Ahhh... Encore une dure journée, pas vrai ?
Je ne l'avais même pas entendu arriver. Relevant la tête de mon modeste repas, je reconnus Gilles, le rouge-gorge qui se prétendait mon colocataire. Mais je l'avais trouvée en premier, cette baraque ! Et en plus, quelle idée de s'appeller Gilles pour un rouge-gorge ? Il avait la tête plongée dans son repas, et sa bedaine rouge qui ne faisait qu'une avec son menton enflait encore. Gilles était gourmand, disons trop gourmand.
- "Eh, oh ! C'est mon repas, le piaf ! Et, sac à graines ! "
Apparemment passionné par ses graines, il se fichait que je l'insulte. Mais, ça me défoulait alors je continuais. Il a dû en avoir assez, parce qu'il s'est levé de toute sa taille - 12 cm - et s'est servi de son gosier gigantesque - 8 cm - pour faire vibrer ses paroles :
- " Ecoute, Héris, on est dans une mangeoire pour oiseaux et je suis un oiseau. Regarde, j'ai des ailes, un bec, des pattes. Alors, je me sers. "
- Ok, à mon tour. Tes ailes, ça fait bien longtemps que tu sais plus t'en servir, oui depuis qu'elles sont plus assez fortes pour soulever ton ventre ! Ton bec, je le vois même plus depuis qu'il passe son temps rempli de graines et tes pattes, oui tes pattes, et bah... Euh..."
Il me regardait les yeux ébahis, outré mais attendant la suite :
- " Ah ! J'ai trouvé !
- Il a trouvé ! ", s'extasia-t'il.
- " Tes pattes s' enfonçent dans le sol, croulant sous la masse que tu es si bien que ça fait longtemps que je ne les ai pas vues ! "
Il me fixa en plissant ses petits yeux jaunes, et il était devenu aussi rouge de colère que sa gorge. J'attendais avec courage sa réplique, restant solidement sur mes appuis. Enfin, il ouvrit le bec. Mais ce fut pour hurler de rire :
- " Pfffff, hahahaha, sacré Héris, non seulement t'as pas d'avenir mais en plus t'as pas d'humour ! Hahaha, toi alors ! "
Et c'est ainsi qu'il partit, me laissant seul, toujours la gueule ouverte d'étonnement. C'est plusieurs heures plus tard que je réussis à trouver le sommeil, allongé sur un tas de graines, bercé par le ciel qui peut-être sera plus clément demain. Les paroles de Gilles m'avaient frappées comme un balai d'humaine, et c'est le coeur lourd que je trouvais le sommeil, dans l'attente d'un jour prochain, meilleur si possible.
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