Jour 3 - Vers les H.L.M
Bon, voilà que commençait le troisième jour et Gilles et moi on était toujours au point mort, et attention, je ne parle pas de Popotte. Excusez-moi du terme, d'ailleurs excuse-moi aussi Popotte. Lorsque le jour a transperçé les murs de notre abri de fortune, Gilles était déjà réveillé et m'attendait, assis dos contre le mur, un air mystérieux sur sa petite tête de piaf.
- " Tu sais, Héris, j'ai longtemps réfléchi cette nuit... "
Houla, houla, le réveil s'annonçait brusque. Gilles ? Réfléchir toute la nuit ? Qu'allait-il m'annonçer ensuite, qu'il s'était casé avec une hirondelle ? Non, non, une nouvelle bouleversante à la fois ou j'allais faire un arrêt cardiaque. Toujours avec cet air de devin possédé, il a continué :
- "... et je crois que je sais ce qu'il faut faire, tu sais, par rapport à notre situation. "
Et ben dis donc, c'était la matinée des rouge-gorges révolutionnaires. Non seulement Gilles avait réfléchi toute la nuit, mais si en plus il avait eu une idée, alors là c'était vraiment n'importe quoi. Faudrait voir à pas trop bouleverser les choses, histoire que les rouges-gorges ne se retrouvent pas non plus avec des cervelles de moineaux ! Toujours est-il que son idée, quelle qu'elle soit, je voulais la connaître et tout de suite. Avec un baîllement à me décrocher la mâchoire, je lui ai demandé :
- " Et alors, qu'est-ce qu'il faut faire ? S'asseoir sur des graines et attendre qu'elles parviennent jusqu'à ton bec ?
- Eh, oh, pas besoin d'être aggressif parce que tu t'es mal réveillé ! En même temps, c'est vrai que dormir avec des épines dans le dos, ça doit pas être pratique surtout si tu as besoin de te tourner, parce que c'est vrai qu'on en parle pas assez mais les hérissons...
- Gilles !
- ... sont des animaux nocturnes, non ? Qui plus outre, pour se rouler en boule, ça doit...
- Gilles ! "Qui plus outre", ça veut rien dire !
- Eh, oh, Héris ! Essaie pas de changer de sujet, hein ! Tu veux pas connaître ma formidable idée ? "
Ben, finalement, peut-être qu'il avait vraiment une cervelle de moineau. Qui sait ?
- " Bon, écoute attentivement : Tu connaîs Pop-corn, le voisin d'au-dessus ? Et ben figure-toi que y'a pas longtemps, il s'est fait voler toute sa réserve de glands pour la saison blanche. Tu imagines un peu ? Le désastre, quoi. Enfin bref, il a commencé à déprimer et à traîner dans les bas-quartiers, où vivent les rongeurs et les nuisibles. Il s'est perdu, et là, devine sur qui il est tombé ?
- Ben, je sais pas moi, Tondeuse ?
- Héris, Tondeuse n'existe pas...
- Pardon ? Répète pour voir ! Tu oses dire que... Oh, Gilles, retire ce que tu viens de dire ou tu goûteras à mes épines ! Gilles !
- Pop-corn n'a pas vu Tondeuse ce jour-là ! C'est clair ? Mais il a vu mieux !
- Quoi ? Mieux que Tondeuse ?
- Il a croisé le plus gros blaireau qu'il avait jamais vu. "
Un blaireau. Gilles m'avait mis l'eau à la gueule tout ce temps pour un gros rongeur puant. Et aggresif, il paraît ! Enfin, de toute manière, il ne nous restait pas d'autre solution.
- " Un blaireau ? Et après ?
- C'est pas un blaireau , c'est le plus gros blaireau. C'est son nom de code !
- Quoi ? Lui ? L'oracle ?
- Oui... Le plus gros blaireau... Il nous dira quel est notre avenir, notre destin ! Héris, nous sommes faits pour accomplir de grandes choses ! Regarde un peu nos corps d'athlètes ! "
J'avais une vue plongeante sur son quadruple menton, toujours aussi gras et toujours aussi rouge que... et ben... euh... qu'un poisson rouge. Je me suis retenu de rire et je l'ai laissé continuer :
- " Une fois arrivés chez lui, on aura qu'à lui donner notre offrande et on saura ce qu'on veut savoir. Alors, partant ?
- Une offrande ? Quelle genre d'offrande ?
- Mais j'en sais rien ! On verra là-bas. Allez, viens, froussard, dit-il en partant.
- Pourquoi ? Pourquoi, dieu des hérissons, pourquoi me coller un crétin de volatile comme meilleur ami ? Comme seul ami ? Mais qu'ai-je fait de mal ?
Et nous sommes partis ainsi, sans vivres, sans guide, sans rien. Enfin, c'est ce qu'on croyait puisque très vite, après avoir dépassé le premier chêne, une première rencontre a eu lieu :
- " Alors les lourdeaux, on se balade hors de son territoire ? "
Un écureuil très fin et élancé, tout d'orange velu, était en train de courir le long du chêne sous lequel nous étions. Pop-corn venait vers nous et, arrivé à notre hauteur, il nous a dévisagés :
- " Vous allez où comme ça ? On passe pas sans payer le péage ! Vous voyez pas que cet arbre m'appartient ? "
En effet, il l'avait marqué, son arbre. Berk, répugnant. Et puis depuis quand il suffisait de se soulager pour gagner sa vie ? Une idée m'a soudain traversé l'esprit, que je me suis empressé d'oublier. Non, non et non, c'était trop sale. Et quel déshonneur ! Il fallait continuer notre route, et je ne voulais pas aggresser poil de carotte. Non pas qu'il me faisait peur, mais son ami le plus gros blaireau, si ! Alors on est rentrés dans son jeu, et croyez-moi, on aurait jamais dû !
- " Bon, Pop-corn, c'est quoi ce péage ?
- Hi hi hi, vous avez le choix ! Si vous avez, trois noisettes bien mûres ! "
Tandis que j'étais en train de réfléchir sur la taxe, Gilles salivait tout en tournant son aile sur son ventre, d'un geste circulaire qu'il connaissait bien. Rien à attendre de lui, à moi de négocier.
- " Bon, on a pas ça. Quelle est l'autre possiblité ?
- Hi hi hi, dans ce cas, ce sera un bisou ! Hi hi hi ! "
Pourquoi fallait-il que je croise toujours les animaux les plus étranges ? Popotte, tu le sais, toi ?
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