17 ans

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Un chapitre / Une musique

Fauré - Romance sans paroles, Op. 17, No. 3

https://www.youtube.com/watch?v=plKLrnRcVwc&list=PLIGTe-rIqEZekWLDnKBBHt-WruKmI-Z5f&index=21

*

Samedi 25 juillet 1981.

Aujourd’hui, j’ai 17 ans. J'ai envie de me sentir différent, plus adulte, plus fort. Il est à peine huit heures du matin. J'ouvre les volets. Le soleil est timide mais bien là. Une superbe journée s’annonce. La fraîcheur du jardin me saisit. Il est si calme à cette heure-ci. Je retourne au lit, après avoir cherché dans ma bibliothèque mon livre d’Arthur Rimbaud. Je tombe sur ce poème que je connais par coeur :

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.

− Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,

Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !

− On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !

L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;

Le vent chargé de bruits, − la ville n’est pas loin -,!

A des parfums de vigne et des parfums de bière…

− Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon

D’azur sombre, encadré d’une petite branche,

Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond

Avec de doux frissons, petite et toute blanche…

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser.

La sève est du champagne et vous monte à la tête…

On divague ; on se sent aux lèvres un baiser

Qui palpite là, comme une petite bête…

Le cœur fou Robinsonne à travers les romans,

− Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,

Passe une demoiselle aux petits airs charmants,

Sous l’ombre du faux-col effrayant de son père…

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,

Tout en faisant trotter ses petites bottines,

Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…

− Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’à mois d’août.

Vous êtes amoureux. − Vos sonnets La font rire.

Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.

− Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire… !

− Ce soir-là,… − vous rentrez aux cafés éclatants,

Vous demandez des bocks ou de la limonade…

− On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans

Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

Aujourd’hui, ce poème vibre en moi comme jamais. J’ai tellement attendu d’avoir l’âge du jeune poète. J’ai envie d'être moi aussi amoureux, insouciant, romantique, mélancolique. La sensation de devenir adulte avec sa nouveauté, sa promesse d’avenir. Une folle envie de jouer, de jouir de la vie, de construire un univers irréel, du point de vue de mes parents et de la plupart des adultes, mais du mien, le seul réel. Envie de dévorer cet été avec Lucas. Partager avec lui mes doutes, mes rêves, ma folie cachée. Quand je pense à mes parents, je déchante aussitôt. Tout est compliqué, voire impossible. Je ne sais plus comment me comporter avec eux, comment me soumettre à leurs principes d’éducation qui me révulsent, l’autorité de mon père qui m'insupporte, la soumission de ma mère qui m’exaspère. Et surtout leurs mensonges. Leurs non-dits.

Heureusement, dans quelques heures, mon cousin, Gaspard arrive. Je vais enfin pouvoir respirer un peu, avoir un soutien. Si je réfléchis bien, cela fait plus de six mois que je ne l’ai pas vu, depuis début janvier, lorsqu’il est venu nous souhaiter la bonne année.

Je descends pour le petit déjeuner. La table est déjà dressée, avec une panière de croissant, une carafe de jus d’orange et une théière fumante. Ma mère est obligée de soulever les talons pour venir déposer un baiser sur mon front. Elle me sourit, mais je vois qu’elle est préoccupée.

— Bon anniversaire mon grand.

— Merci maman. Où est papa ?

— Il avait quelques visites à domicile. Ensuite, il va en ville et en profitera pour aller chercher Gaspard à la gare. Le train de ton cousin arrive à 11h18.

— Il aurait pu repasser à la maison, cela m’aurait fait plaisir d’aller l'accueillir !

— Il a préféré te laisser dormir ce matin. Tu avais l’air tellement fatigué hier soir !

Je suis content de leur avoir joué la comédie après le dîner, comme ça, j’ai pu monter directement dans ma chambre.

— Vous êtes retournés à la rivière avec Lucas ?

— Oui, on s’est baignés. L’eau était bonne.

— Je veux bien te croire, en plus avec cette chaleur, ça devait être agréable.

Plus qu’agréable, si tu savais maman !

Après un petit déjeuner, nous préparons la chambre d’amis pour Gaspard. Elle se situe juste à côté de la mienne. Une fois la pièce aérée et le lit fait, je range ma chambre pour qu’elle soit parfaite elle aussi. Je décide d’aller m’allonger au pied du tilleul, pour observer depuis le sol les jeux de lumière qui font danser les feuilles. J’ai aussi apporté avec moi les poèmes de Rimbaud. Je m’enivre de ses mots, tourne les pages, sans voir l’heure passée, si bien qu’à onze heures, je me précipite dans la salle de bain pour prendre une douche. Ma mère m’a préparé mes vêtements à porter sur une chaise. Je sais comment m’habiller tout de même ! À croire qu’elle refuse que je grandisse.

Je lui propose de mettre la table pour nous quatre. Elle me demande de prendre le service que nous réservons pour les invités et les grandes occasions. Je vérifie l’emplacement de chaque assiette et ceux des couverts. Midi passe. Je jette un œil au portail. Gaspard et mon père ne devraient pas tarder à arriver. J’entends ma mère s’énerver dans la cuisine. Elle m’ordonne de venir goûter son plat, en me priant de la rassurer que celui-ci ne soit pas trop salé. Je le trouve bien équilibré, parfait. Elle n’est pas convaincue. Il nous faut attendre midi et demi pour voir arriver la voiture de mon père dans l’allée. Je m’empresse de les accueillir, mais à ma grande surprise, mon père est seul à sortir de la voiture, contrarié.

— Mais où est Gaspard ?

— Il n’était pas dans le train. J’en sais fichtrement rien ! Il aurait pu prévenir ! Je suis allé dans une cabine téléphonique pour essayer de l’avoir chez lui, mais ça n’a pas répondu. Bon anniversaire mon grand, me dit-il.

Je vois à sa tête que comme moi, il est déçu. Ma mère arrive à son tour.

— Où est Gaspard ?

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