Corvée

3 minutes de lecture

Un chapitre / Une musique

Carpenter Brut - Escape from Midwich Valley

https://www.youtube.com/watch?v=ZhhQrFfzFM4

*

Vendredi 31 juillet 1981.

Je me réveille avec la poitrine serrée. J’ai très mal dormi. J’ai fait des cauchemars dans lesquels Gaspard et ma mère aidaient le frère Colombani à se cacher au fond du parc tandis que nous étions, avec Lucas à les espionner. Je réalise ce matin, alors qu’il fait jour, que mon imagination et mon appréhension suite à la visite des gendarmes ont eu raison de moi. Gaspard est descendu de sa chambre, uniquement pour boire un verre parce qu’il avait soif, rien de plus.

Sur le balcon, je constate que les nuages sont encore plus bas qu’hier. Le soleil derrière eux. Le temps est définitivement à l’orage. C’est avec un mal de tête que je descends prendre le petit-déjeuner. Mon père est déjà parti travailler, Gaspard est à sa place, en train d’éplucher le journal, ma mère à ses côtés, à tartiner une biscotte, l’air absente.

— Bonjour mon chéri, bien dormi ?

— Non, pas trop. Et vous ?

Gaspard baisse son journal. Lui aussi a les yeux tirés. On dirait mon père le premier matin où nous sommes arrivés.

— Aussi bien que toi, je présume, dit-il.

Je ne me suis pas regardé dans une glace, mais au moins, j’ai ma réponse.

— T’as prévu quoi aujourd’hui ? dis-je.

— J’ai envie d’aller faire un tour dans le coin.

Je peux me tromper, mais au ton de sa voix, je sais que ce n’est même pas la peine de lui demander de l’accompagner.

— Et toi, maman ?

— Je ne sais pas encore. Sinon, commission de la part de ton père. Il voudrait que tu passes la tondeuse dans l’allée devant la maison, ainsique que dans le terrain après la terrasse. Ne me regarde pas comme ça ! Il vaut mieux le faire avant qu’il ne pleuve, sinon, ça sera encore plus difficile après.

Je la regarde, fulminant.

— Allez Alex, ça va pas te tuer ! C’est pas comme si tu avais quelque chose à faire aujourd’hui.

— Tu te prends pour mon père ou quoi ? je dégaine.

— Alexandre, enfin ! dit ma mère.

— Laisse, Françoise. Je crois que nous sommes tous un peu tendus à cause du temps orageux.

— Excuse-moi, Gaspard.

— Excuses acceptées, dit-il en me souriant avant de reprendre son journal.

Je ne m’attarde pas à table et file dans ma chambre.

*

Je viens d’honorer ma corvée. L’eau de la douche glisse sur moi et détend mes muscles. Malgré la lourdeur de l’air, je sors de cette douche revigorée. Je retrouve le plaisir de m’allonger sur mon lit, à regarder le plafond et à ne rien faire. Besoin de faire le point dans mon esprit. Trois semaines que nous sommes arrivés, déjà ! Mes parents me mentent. Mon cousin n’est plus ce qu’il était. Il va falloir que je fasse avec. Mais ce n’est pas pour autant que je vais continuer à rester l’adolescent sage et bien élevé qu’ils ont connu. Je n’en peux vraiment plus. Surtout, après ce qui s’est passé avec Juliette. J’espère qu’elle ne viendra plus m’importuner. Et puis, ce qui compte vraiment pour moi, c’est Lucas. Je suis tombé amoureux. À l’évocation de son prénom, je souris. Il serait temps de passer aux choses sérieuses avec lui. Agir, vraiment.

Je sors discrètement de ma chambre, descends dans le salon, heureusement vide. Je compose le numéro de téléphone de Lucas. Lorsque je raccroche, je suis aux anges. Ça va être génial. Je remonte l’escalier direction ma chambre. Est-ce ma mère que j'entends sangloter dans sa chambre ? Je m’approche à pas de loup. La porte est fermée. J’y colle mon oreille. Aucun doute, c’est bien elle. Mais j’entends une autre voix. Gaspard ! Je le croyais parti pour la journée ? Je m’accroupis, regarde par le trou de la serrure. Heureusement, pas de clef à l’intérieur. J’avais oublié que mon père n’avait pas réussi à la retrouver. Il me faut trouver une position suffisamment stable, pour espérer voir quelque chose. Le tout sans faire de bruit sur le parquet. Mon œil s’habitue à la pièce. Je vois ma mère allongée sur le lit, Gaspard assis à ses côtés, en train de lui caresser les cheveux. Je déglutis. Mais que fait-il ? Ma mère se rassoit. Gaspard lui essuie les larmes avec son mouchoir. Son geste est doux. Beaucoup trop affectueux pour… Soudain, je fais grincer le parquet. Vite, je disparais dans ma chambre. J’entends frapper à ma porte.

— Alexandre, c’est toi ?

Je ne réponds surtout pas et vais sur le balcon en faisant semblant de contempler le jardin. La porte de ma chambre s’ouvre en grand.

— Alex, ça fait longtemps que tu es ici ? Tu as déjà fini de passer la tondeuse ?

— Hein, quoi ? Tu me parlais, Gaspard ? dis-je en me retournant vers lui.

J’espère avoir été convaincant.

— Non rien, laisse tomber …dit-il avant de refermer la porte.

Ouf, je l’ai échappé belle !

Annotations

Vous aimez lire Tom Ripley ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0