Flagrant délit

4 minutes de lecture

Un chapitre / Une musique

Carpenter Brut - Hang'em All

https://www.youtube.com/watch?v=JXtujxT9rzA

*

Vendredi 31 juillet 1981.

Je retraverse le parc difficilement, car je suis obligé d’éteindre régulièrement ma lampe de poche, au risque d’être plongé totalement dans le noir. J’arrive enfin devant la maison. Il va falloir que j’escalade l’abri de la cuve à fioul à présent, pour remonter dans ma chambre.
— Alors comme ça, on fait le mur ?
— Putain, Gaspard, tu m’as fais peur.
Il allume une lampe de poche et me projette la lumière au visage.
— Arrête, tu m’éblouis.
— Mais tu sens l’alcool, ma parole !
Je baisse les yeux.
— T’étais où ?
Je décide de rester muet.
— Réponds, Alex.
— Qu’est-ce-que ça peut te faire ?
— Non, mais regardez le qui répond en plus ! T’as la mémoire un peu courte, il me semble. La visite des gendarmes, t’as déjà oublié ?
— On va pas rester planté là toute la nuit ! J’ai envie de dormir.
— Tu ne manques pas de culot mon cher cousin. Je vous ai vu tous les deux, avec Lucas.
— …
— Vous avez l’air de bien vous entendre ?
— …
— Je comprends mieux pourquoi Juliette ne te fait aucun effet et qu’elle s’est rabattu sur moi !
— Tu dis n’importe quoi, Gaspard.
— Ah oui, t’es sûr ? Mais regardez-le, il rougit !
— Mais ta gueule !
— Sur un autre ton, s’il te plaît ! Tu ne voudrais pas que ton cher papa l’apprenne.
Je crie dans ma tête. Je serre les poings.
— Ni qu’il apprenne que tu consoles sa femme pendant qu’il a le dos tourné, dis-je.
Je vois aussitôt son visage se décomposer alors que je pointe ma lampe sur lui. Elle émet ses derniers rayons de lumière avant de s’éteindre complètement. J’ai malheureusement la preuve de ce que je refusais de croire jusqu’ici.
— Qu’est-ce que tu as vu ? Ce n’est pas ce que tu crois, Alex.
— Ah bon ? Et qu’est-ce-que je devrais croire ?
— Ne commence pas à jouer à ce jeu, je te préviens.
— Je ne joue à aucun jeu, moi.
— Tant mieux. Dans ces cas-là, je te propose quelque chose. Je ne dis rien pour Lucas, et tu la boucles pour ta mère.
— Qu’est-ce qui se passe avec ma mère, dis-moi la vérité, j’ai le droit de savoir quand même !
— Rien, il ne se passe absolument rien. Tout ce que je peux te dire, c’est qu’elle ne se sent pas très bien en ce moment.
— Ah oui, sans blague.
— Je suis sérieux, Alex.
Au ton de sa voix, je commence à saisir qui il est vraiment. Me serais-je complètement trompé sur lui et ma mère ?
— Maman m’a tout raconté, je suis au courant pour le cabinet de papa. Et pourquoi on est venu s’enterrer ici, dis-je.
En disant cela, peut-être qu’il va m’en apprendre davantage.
— Qu’est-ce que Françoise t’a dit exactement ?
— Qu’une de ses patientes avait accusé papa…
— Ok, n’en dis pas plus, j’ai compris.
Sa lampe de poche est toujours braquée de telle façon à ce que chacun puisse voir l’autre. Il a l’air de réfléchir.
— Il y a autre chose que je devrais savoir, Gaspard ?
— Désolé Alex, je ne peux rien te dire de plus pour le moment.
— Mais putain, dis-moi. J’en ai plus qu’assez qu’on me mente dans cette maison !
— Écoute-moi bien, Alex. Ce ne sont pas des histoires de ton âge. Crois-moi. Vis ta vie. Profite de Lucas. La vie est courte.
Je suis sidéré par ce qu’il vient de dire. Sa voix est tout à coup redevenue sincère. Il a donc compris que j’avais des sentiments pour Lucas ? Il n’a pas l’air de me le reprocher. Je devrais être soulagé, mais pourtant, j’ai aussi envie de lui hurler dessus, de lui dire qu’il n’a pas le droit de toucher à ma mère, envie de le traiter de tous les noms. Ça me soulagerait.
— Je te promets, Gaspard que je ne dirai rien à mon père.
— Merci, Alex. Pour Lucas, je serai une tombe. Promis aussi.
Et là, sans que ne m’y attende, il me prend dans ses bras, en me serrant fort. Je suis décontenancé par son geste. Mais qu'est-ce qui lui arrive ? Il se met à sangloter.
— Excuse-moi, Alex.
— Tu ne veux vraiment pas me dire ce qui se passe ?
— Non, je suis désolé. C’est pour ton bien, vraiment.
— Ok, je te crois.
— Merci, Alex. Allez, viens, on passe par la porte d’entrée. Je m’en voudrais de te regarder jouer les équilibristes et que tu te casses la gueule.
Je suis soulagé que nous ayons trouvé un terrain d’entente, même si je ne réalise pour l’instant pas du tout de ce qui vient de se passer. Tout va trop vite dans ma tête.
Nous nous faufilons dans le hall sans faire de bruit.

Je glisse sous mes draps. Quelle soirée !

Je me réveille en sursaut. Est-ce le tonnerre que je viens d’entendre ? Je suis sur le qui-vive, dans l’attente d’un autre grondement lointain. Mais rien. Je préfère m’en assurer en ouvrant les volets. Le vent continue à souffler, mais aucun signe d’orage imminent. J’ai dû rêver. Je me rendors aussitôt.

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