Journée Troublante

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Quelque chose d'incroyable se produisit. Lylith ressentit le dragon. C'était un être pur, déchiré par son passé et par les idées qu'il avait soumises. Il était impossible pour la jeune femme d'estimer son âge. Des centaines d'années ? Voire des milliers ? Elle ne saurait dire.

Au contact des écailles noires du museau de la bête, une force envahit le corps et l'âme de Lylith. La jeune femme se sentit transpercée par un rayon de soleil, froid comme la glace et vivace comme une ombre, absorbant une énergie dont elle ignorait la source. Elle dévorait ce trait, ce fil qui unissait le dragon et sa conscience.

L'Art d'Orpheus attrapa avec avidité cette nouvelle source de pouvoir et se mêla avec elle, amplifiant sa présence dans le corps de Lylith. Cette dernière sentit sa poitrine se libérer par le poids de l'eau qui comprimait son cœur et ses poumons et prit une immense bouffée d'air. Sa vision se clarifia et elle put voir un court instant le dragon lui faire face, ses ailes immenses déployées. Il semblait encore plus imposant et majestueux ainsi. Ses yeux rouges brillèrent avant qu'il ne s'enfonçât dans les eaux profondes de la Mort.

Le mouvement d'eau provoqué par la mystérieuse créature fit tournoyer la jeune femme jusqu'à ce qui semblait être la surface. Utilisant ses pieds et ses mains, elle sortit la tête de l'eau, affaiblie.

La lumière l'aveugla un instant. Lylith toussa en inspirant bruyamment. Elle se redressa, cligna des yeux plusieurs fois, dispersant le flou autour d'elle. Des silhouettes se dessinèrent afin de se préciser en tant que visage inquiet d'Orpheus et en grosse bouille de Hector Blark. Une main rassurante saisit son épaule et la remit droite.

-Ashford, s'enquit Blark. Comment tu te sens?

La jeune femme repoussa le bras de l'ancien général sans ménagement. Elle ne voulait pas être prise pour une faible.

-Bien, merci Hector.

Et elle tenta de se lever en titubant. Blark voulut encore une fois la supporter mais la jeune femme refusa son aide. L'ancien général recula, comme blessé par ce refus. Orpheus lui jeta un regard sombre et reporta son attention sur la jeune femme.

-Est-il sauvé ? Murmura t-il en montrant le corps du Naturel.

Lylith leva la tête vers lui, les yeux tristes.

-Je n'ai pas pu aller jusqu'au bout, chuchota t'elle sur un ton las.

A cela, Orpheus ne répondit rien mais demanda:

-Que s'est-il passé ?Nous t'avons cru morte...

Hector enchaîna:

-Comment as tu pu entrer dans son esprit ? Tu es une Murmureuse et tu t'es teint les yeux ? Qu'as tu vu?

Lylith sourit doucement à cette cascade de questions et répondit calmement:

-Peut-être devrions-nous en discuter autour d'un verre ?

Orpheus la regarda d'un air amusé tandis qu'Hector fit une mine insatisfaite.

-Cependant, ajouta l'Ensorceleur, je ne sais pas si aller à l'auberge maintenant est une bonne idée.

Ses yeux scrutaient les rues d'où les villageois commençaient à sortir, voyant que les combats s'étaient terminés, et posaient des regards interrogateurs sur les étrangers.

Lylith suivit la pensée du Sorcier Noir et hocha la tête.

-Il vaut mieux partir d'ici en effet.

Elle fit un pas, puis un autre, peu rassurée. S'assurant qu'elle tenait debout, la soldate rejoignit Oclock qui les attendait sagement, piaffant d'impatience.

Surpris par cette énergie que la jeune femme venait de trouver, les deux hommes la suivirent sans dire mot. Désormais la place du marché était assaillie par les habitants qui commençaient à pousser des cris de stupeur et de frayeur en découvrant les corps des soldats Veryas. Lylith crut entendre un Garde de la ville hurler d'attraper les fugitifs mais ne prit pas le temps de clarifier ce soupçon.

Les étrangers montèrent à cheval et se détournèrent de Casteldroit. Le regard de Lylith heurta le corps du jeune Naturel, livide et rigide. La vision du jeune homme se faisant happer par le dragon et celle de la bête elle-même surgit de nouveau dans l'esprit de la brune. Elle aurait espéré que tout cela n'ait été qu'un terrible cauchemar. Mais elle se souvenait encore de la sensation de l'énergie qu'elle absorbait et du manque d'air sous ces eaux dangereuses.

Lancés au galop, les deux chevaux franchirent le pont-levis dans un bruit fracassant et passèrent les grilles menaçantes de la cité fortifiée.

Accrochée au dos du Sorcier Noir, Lylith jeta un dernier coup d'œil en arrière, entendant les cloches de la ville signalant une bataille passée. Le Naturel la hanterait encore pour un long moment, Lylith en était parfaitement consciente. Écoeurée, elle battit des paupières et se laissa porter par le cheval sous le soleil froid de midi.

*

Ils galopèrent pendant un long moment, jusqu'à ce que le soleil soit déclinant et qu'un petit village apparaissent à l'horizon. La compagnie venait d'arriver aux Mines des Montagnes Grises qu'ils allaient devoir traverser le lendemain. Lylith se souvenait de ce qu'elle avait lu dans les livres de sa bibliothèque et le village qu'elle voyait au loin correspondait grandement aux descriptions peu élogieuses qu'elles avait lues à propos des Mines. Un nuage noir plongeait constamment les toits des maisons dans l'obscurité et dans une chaleur étouffante. L'odeur que le groupe sentait était la puanteur du souffre et des égouts de la ville. Le bruit assourdissant des machines qui creusaient dans le sol sale résonnait aux oreilles de la voyageuse. Un bras du Draknard, le fleuve qui parcourait l'entièreté du pays, réfléchissait la lumière orangée du soir, transportant d'innombrables déchets. Les lanternes du village minier commençaient à s'allumer tandis que Lylith luttait à ne pas penser à un bon lit chaud, ils n'avaient pas dormi depuis deux jours et la fatigue se faisait tenace. Son regard éteint passa sur Hector aux cernes bleues au dos courbe d'Orpheus. Tous étaient exténués par les événements de ces derniers jours et souhaitaient voir la fin de ce long voyage au plus vite. Lylith s'accrocha plus fermement aux hanches du Sorcier Noir, les paupières lourdes et se laissa porter par leur monture, sombrant dans un sommeil peuplé de souvenirs.

*

-Quand lui direz vous ? Murmura une femme.

Cette dernière avait les cheveux roux et s'adressait à la mère de Lylith, une femme aux larges épaules et à la natte noire qui descendait jusqu'au bassin.

-Lorsqu'elle sera prête, répondit sur un ton aigre la deuxième. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Lylith se souvenait de cette scène. C'était un soir tard et la tempête faisait rage dehors. La rousse avait frappé à leur porte, prétendant être une voyageuse surprise par les intempéries, et leur avait quémandé un lit pour la nuit. Lylith avait alors six ans et son père était mort il y a quelques temps déjà. Bien que la fillette soit jeune, elle avait tout de suite compris que l'intruse et sa mère se connaissaient et que la dite voyageuse n'était pas là par hasard. Désobéissant à l'ordre de Miranda, sa mère, qui l'avait pressé d'aller se coucher, Ashford était restée écouter à la porte en bois du salon. Ses souvenirs restaient tout de même flous et la discussion entre les deux femmes, incomplète.

-Vous nous avez abandonné, Miranda, reprocha la femme aux cheveux de feu. Alors que nous avions besoin de vous, plus que jamais.

Lylith se souvint que sa mère avait tapé sur la table puis avait baissé la voix, se rappelant sûrement que sa fille était supposée dormir à l'étage:

-J'ai une enfant à élever, Reygara. Et vous savez tout autant que moi que Lylith est importante.

La dénommée Reygara avait poussé un reniflement peu convaincu.

-Nous cherchons cet enfant depuis des années et ne l'avons jamais trouvé. N'allez pas croire que votre précieuse progéniture soit celle qu'Ils attendent, ce ne sont que des fables, se moqua l'étrangère.

Miranda avait marqué une pose et, derrière sa porte, Lylith savait que sa mère serrait ses mâchoires.

-Nous verrons bien lors du Test, finit-elle par lâcher. Elle va avoir sept ans la semaine prochaine, vous n'avez qu'à revenir à ce moment là!

-C'est ce que nous ferons. Je ne m'en occuperai pas personnellement, Sarah le fera et vous donnera les résultats peu après. Tâchez d'agir en conséquences en fonction de ce qu'elle vous transmettra, Miranda. Vous savez que si nous trouvons l'enfant, vous devrez revenir chez vous. Nul ne peut aussi bien prétendre à cette place que vous.

Et sur ce, Lylith avait entendu la porte s'ouvrir, le vent souffler, et Reygara partir. Sa mère avait poussé un long soupir de soulagement et s'était assise sur une chaise.

*

La vision s'estompa, sans que Lylith ne comprenne son sens. Après tout, rien n'avait eu de sens ces dernières heures. Elle se sentait à bout de forces et sombrait dans un profond sommeil. Pourquoi lutter ?

Avant que la soldate ne s'endorme totalement, elle entendit le dragon rugit et vit deux yeux sanglants cligner dans les profondeurs la nuit. Ce n'était pas inquiétant, mais étonnamment rassurant. Rassurant de savoir que la bête veillait sur elle, de jour comme de nuit.

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