J'écrirai pour toi 

19 minutes de lecture

Ce texte est en cours d’écriture. Je ne cherche pas à ce qu’il soit parfait, mais j’avais besoin de le poser entièrement ici.
J’aimerais avoir quelques retours constructifs si possible — tant que c’est fait avec respect.
Merci à celles et ceux qui prendront le temps de lire.

“J’écrirai pour toi.”

Introduction

Je ne suis pas une grande lectrice, ni même une écrivaine. Je n’écris pas pour faire joli, ni pour plaire. J’écris pour toucher, pour m’aider et peut-être, aider les autres. Dans le sens le plus brut, vulnérable et authentique possible. C’est une promesse. 

Ce n’est pas une promesse facile.
C’est une promesse silencieuse, jamais dite à voix haute, peut-être juste un engagement que je me suis fait à moi-même.

Pourtant, je sais que je dois la tenir.
Peut-être pour apaiser la douleur que ta mort a laissée derrière elle, la confusion, le vide, les trous de mémoire, les doutes sur ce que tu voulais vraiment dire.

Tu voulais écrire un livre, partager tes expériences, ta vision de la vie — mais aussi de la mort.
Tu voulais aider, transmettre.
Aujourd’hui, c’est moi qui tiens la plume, et je ne sais pas vraiment où elle va me mener.
Je ne suis pas toi, je ne suis pas dans tes pensées, je n’ai pas vécu ta vie.
Mais tu m’en as raconté des fragments, à plusieurs reprises, et elle a été bien remplie.
Alors ce livre sera un mélange : des éclats de ta vie, de tes expériences, de mes interprétations — toi, avec tes ombres et tes lumières.
Moi, avec mes douleurs, mes silences, ce que tu m’as laissé — parfois clair, parfois flou.

Je n’écris pas pour guérir, ni pour faire ma thérapie — même si ça y contribuera, c’est certain.
J’écris pour honorer.
Pour que, quelque part, tu continues d’exister.
Et pour que toutes les personnes disparues continuent d’exister.

“Avant le premier dernier jour”

-

Pour mettre dans le contexte, j’avais une vie plutôt banale, même si j’ai toujours été quelqu’un de très sensible, parfois trop, ce qui me compliquait un peu la vie.

J’ai connu des hauts et des bas, des moments de joie, mais aussi des instants plus difficiles. C’est au lycée, à la suite d’une relation particulièrement douloureuse, que j’ai commencé à perdre pied. Cette épreuve a ouvert la porte à un mal-être profond dont je ne voyais pas encore la sortie. En parallèle, mon père traversait lui aussi ses combats, avec un séjour en hôpital psychiatrique, ce qui a laissé des choses en suspens. 

Malgré tout, j’ai petit à petit trouvé la force de remonter la pente. C’est avec espoir et détermination que j’ai entamé mes études de psychologie, un rêve que je portais en moi depuis longtemps.

Le début d’une nouvelle vie : mon premier appartement, la liberté, la découverte, la connaissance, les rencontres. Une manière pour moi de trouver enfin ma place, de tenir bon.

J’essayais de faire comme si tout allait bien, comme si y’avait pas de fissure. J’étais heureuse, j’avais confiance en moi, j’avançais. J’adorais apprendre la psycho, j’adorais cette version de moi qui bossait, qui osait malgré une anxiété sociale que la relation avait faite naître et malgré la rupture qui m’avait laissée en miettes et que l’épreuve de mon père ne m’avait pas tant affectée que ça. 

Mais derrière, ce qui restait en suspens s’amplifiait. Je me suis repliée sur moi, enfermée dans mes études. Je vivais la vie étudiante qu’à moitié mais ça m’allait. Je voulais construire un truc solide. J’ai refait ma L1 pour vraiment comprendre, et j’ai fini par passer avec mention. Puis la L2, puis la L3… Mais le covid est arrivé, comme une claque, ça avait ses avantages évidemment, mais pas suffisamment. 

Tout a commencé à s’effondrer. Rupture, burn out, pression, échec… J’ai sombré doucement dans la dépression. J’ai arrêté mes études, difficilement, mais c’était nécessaire.

Je suis retournée chez mes parents, pleine de culpabilité. J’ai commencé une énième thérapie. Puis, c’est sorti, j’avais enfin posé véritablement les mots sur l’agression que j’avais subis dans cette fameuse relation, j’avais enfin compris pourquoi ça m’avait autant brisée et pourquoi il y avait quelque chose qui me freinait autant. Ma mère le sentait, toi tu as été bouleversé, mais tu m’as dit que c’était un cadeau empoisonné, une force.

Mais avant ça, peu de temps avant mon déménagement, tu avais fait un infarctus qui n’a pas été diagnostiqué à temps “C’est juste un nerf bloqué”. J’emménage, l’été se passe, je vous annonce l’agression, c’est le début d’un long cheminement et d’une perte progressive de moi-même, mais comme toujours, on essaye de rester solide. Et puis le lendemain de Noël, ma mère t’emmène d’urgence à l’hôpital, tu es pris d’urgence, tu avais fait un infarctus, qui a failli être fatal, que personne n’attendait. C’était un miracle que tu sois encore là. On te rend visite, tu gardes le sourire, tu passes le nouvel an seul mais tu es sauvé, et on te retrouve bientôt. Mais je ne pensais pas que ce serait si dur, j’étais si reconnaissante et heureuse qu’on t’ait sauvé la vie mais en même temps, je réalisais que ça avait presque été la fin. 

Pendant que tu luttais, moi je sombrais. Peur de te perdre, nuits de larmes, solitude. Toi, tu changeais, tu t’isolais, tu devenais dur parfois. Mais tu étais toujours mon père, fort malgré tout.

Moi, je faisais semblant, j’essayais de t’accompagner pour remonter la pente aussi tout en cherchant ma place dans un monde qui me faisait peur. Et puis tu étais là aussi avec ton optimisme, tu étais mon phare. Je voulais aussi remonter pour toi, alors que j’étais véritablement en train de toucher le fond. Alors une fois que les choses commençaient à aller mieux, à se tasser, que les bonnes nouvelles tombaient, que ton cœur était en train de se rétablir, que c’était un véritable miracle mais que ça irait, ça m’a redonné un élan.

J’ai trouvé du travail le 22 janvier, j’allais reprendre les projets que j’avais initialement, retrouver mon indépendance et construire ma vie devant toi. Tu allais enfin t’épanouir dans tout ce que tu avais bâti jusqu’à maintenant, tu venais de signer un contrat important, l’achèvement de tout ce que t’as toujours voulu faire. Mais tu n’y croyais qu’a moitié, moi j’étais persuadée que tout allait reprendre de plus belle, que la vie retrouverait ses couleurs. Mais finalement. 

“Le premier dernier jour”

-

Un mercredi 31 janvier, 1er jour off de ma première semaine de travail, vers 13h, je décide de faire un peu de rangement. Je me souviens d’une photo. En triant des affaires, je tombe sur une photo de toi. Une image figée, un souvenir capturé, et j’ai cette impression terrible que tu es déjà parti. J’essaye de chasser cette sensation aussi vite, de ranger la photo et de continuer ce que je faisais. 

Dix minutes plus tard, je t’entends monter les escaliers, te plaignant d’une douleur, hurler à ma mère d’appeler les secours. On t’allonge sur le lit, et moi, je ne comprends pas. J’ai peur, mais je garde une distance étrange, comme si je ne voulais pas vraiment voir. Je me dis que tu en rajoutes, que c’est un petit malaise. Je demande plusieurs fois : « Qu’est-ce qu’il fait ? »

Je m’éloigne cinq minutes pour pleurer, parce que je comprends sans comprendre.

Les secours arrivent. Tu reprends des forces, tu ris presque, tu fais toujours tes blagues, pour te rassurer, pour nous rassurer, je ne sais pas. Mais ils t’emmènent quand même à l’hôpital. Tu avais déjà fait un infarctus un an plus tôt, et là, tu en refais un. Tu montes dans le camion, je ris nerveusement quand ma mère demande si on peut au moins monter te dire aurevoir, je te fais un bisou sur le front, et je te dis “ça va aller”, mais tu ne réponds pas, tu me regardes et les pompiers nous disent de partir.

On attend. Trois heures interminables dans le camion, devant chez nous, sans pouvoir te voir, sans savoir ce qu’il se passe. Ils font des aller-retours en nous disant que “tout va bien, il a refait un tout petit infarctus mais ça va, il nous raconte des blagues.” 

La peur s’installe doucement.

La première fois, je ne suis pas inquiète. Je sais que ça ira. Mais ce jour-là, je m’effondre toute l’après-midi. J’essaie de rationnaliser, de croire les secours, mais au fond de moi, je sais.

Ma mère appelle une première fois dans l’après-midi : on nous dit que tu te fais opérer mais que ça devrait bien se passer. Je pleure, je m’affole, j’ai une pulsion de filer à l’hôpital, mais ma mère me calme : je ne pourrais pas te voir.

Un deuxième appel en début de soirée : tu es dans le coma, tu tiens à peine grâce à une machine. Le médecin nous dit : « Vous pourrez venir demain, il sera peut-être encore en vie. »

Cette phrase restera dans ma mémoire, elle voulait tout dire sans le dire, ou je ne voulais pas encore le comprendre totalement. Je l’ai ressenti comme un espoir fragile et une annonce voilée. La dissonance entre ce que le médecin et les pompiers avaient dit quelques heures plus tôt ne coïncidaient pas, comment tu pouvais revenir sain et sauf et “peut-être être encore en vie demain pour te voir” quelques heures après ?

Un frisson glacial me traverse tout le corps, alors que je suis allongée dans le salon, avec ma mère, à essayer de dormir tout en attendant un appel, tout en sachant que s'il y avait un appel, ce ne serait pas pour de bonnes nouvelles. J’y ai mis toute mon énergie, toute ma force pour y croire, pour envoyer toutes les meilleures ondes possibles que je pouvais avoir, mais j’ai surtout eu la sensation que j’ai pu me reconnecter à toi, pour la dernière fois. 

Cinq minutes plus tard, le troisième appel arriva : c’est terminé.

Je reste bloquée, fais les cents pas en répétant : « Ce n’est pas possible, ils se sont trompés. » Je refusais catégoriquement d’y croire, ça me paraissait tellement irréel, et en même temps, j’ai senti mon monde s’écrouler.

Je suis sortie, comme poussée par un besoin irrépressible de m’éloigner. L’air frais m’a frappée en pleine figure, mais je ne ressentais rien, ou plutôt un vide immense.

J’ai marché sans but précis, le téléphone à la main, appelant une amie. Je lui ai simplement dit : « C’est fini. »

Les mots étaient plats, presque détachés, sans vraiment d’émotion. Moi-même, je ne comprenais pas totalement ce qui venait de se passer, ni ce que ça signifiait vraiment.

C’était comme si mon esprit refusait de s’approprier cette vérité, cette nouvelle réalité. Je flottais entre le choc et l’incrédulité, incapable de pleurer ou de crier.

Puis je suis rentrée, et j’ai fini par réaliser. Je me suis effondrée, sans pouvoir retenir mes larmes. Une douleur sourde et infinie m’a submergée, comme si tout ce que je connaissais venait de disparaître en un instant.

Le silence qui a suivi était assourdissant. Autour de moi, les voix, les gestes, tout semblait à la fois flou et irréel. J’étais là, prisonnière de ce moment, incapable d’avancer ni de reculer. Le pire réveil de ma vie, le temps que le cerveau réalise de nouveau que tu n’allais pas rentrer, qu’il n’y aurait plus de coup de fil, ni d’espoir. Et j’y ai cru pendant plusieurs semaines, que tu allais rentrer, que tu étais partit te ressourcer, mais cette réalité-là, est très dur à accepter, d’autant plus que tout devait bien se dérouler. Je t’ai entendu rentrer pourtant, la deuxième nuit, je t’ai entendu ouvrir la porte et marcher vers moi, j’ai vu ton ombre, mais ce n’était qu’une ombre, et je me suis réveillée d’un coup sec. 

“L’amour, le chaos et les signes invisibles”

-

J’ai continué à travailler. Travailler pour ne pas penser, pour détourner mon esprit. Et puis, deux semaines plus tard, un nouvel employé arrive. Il est six heures du matin, il est assis dans le noir. Je rentre, et soudain, il se lève, me donne son prénom — le même que celui de mon père. Juste son prénom, sans un mot de plus. Ce petit signe, cette coïncidence pleine de sens, je sais que ce n’était pas un hasard.

Quelques semaines après, un client âgé s’adresse à moi, me regarde droit dans les yeux, et murmure : « Moi, je termine ma vie, vous, vous la commencez. » J’avais cette étrange sensation que ces mots venaient de lui, comme un dernier message, comme un dernier petit clin d’œil. Ce sont ces moments de flottements, ces détails qu’il faut souligner, c’est une sensation, un ressenti, vous le savez profondément. 

Paradoxalement, c’est dans cette année chaotique que je me suis sentie plus vivante que jamais, brisée mais vivante.

 Comme si le temps avait suspendu son cours. Quelques jours après l’incinération, alors que je pleurais toutes les larmes de mon corps, une vague d’amour et de bonheur comme je n’avais jamais ressentie auparavant m’envahis. Un amour pur, inconditionnel, démesuré, presque violent dans sa force. J’ai su, au plus profond de moi, que c’était mon père.

Comme si, tout d’un coup, j’étais portée par une force invisible, qui me tenait debout. Comme si je quittais un monde terne pour entrer dans une réalité plus claire, plus vibrante. Le monde autour de moi s’est transformé : les couleurs étaient plus vives, la lumière plus dense, plus réelle, et pourtant tout semblait fragile, prêt à s’effondrer à tout moment.

La douleur n’avait pas disparue, elle l’emplissait, elle s’était transformée en quelque chose de plus profond. C’était une danse, parfois vertigineuse, parfois sublime. Comme si tout d’un coup, j’avais pris conscience de la préciosité et de la fragilité de la vie de manière la plus vraie possible, frappé en plein fouet.

Ce moment m’a fait comprendre, brutalement, que la vie est un équilibre fragile, un tango entre la beauté et la souffrance.

Il faut apprendre à poser les pas avec soin, à s’abandonner aux mouvements sans se perdre. 

Et au cœur de tout ça, l’amour reste cette lumière qui ne faiblit jamais, même dans l’obscurité la plus totale.

“Le chaos intérieur et la solitude” 

-

Je savais que cette explosion d’amour et cette vision n’allait pas durer, que c’était peut-être le début d’une route pleine de doute, de solitude ou je devrais affronter la vérité de la mort mais aussi de la renaissance qui l’accompagne. Je savais presque, que j’allais toucher les deux extrémités. 

S’en ai suivi une rupture, aussi minime soit-elle mais qui m’a quand même touchée, j’ai fini par quitter mon travail car je ne m’y épanouissais pas du tout, en plus de différent avec un client, je n’arrivais plus à prendre sur moi. 

Je me suis détachée de moi-même, observant l’hypocrisie ambiante. Je n’avais plus envie d’y participer. Après cela, j’avais une lucidité si crue sur le monde que retrouver la joie ou simplement faire semblant devenait impossible.

Mais la solitude, celle que j’avais choisie au départ, s’est peu à peu muée en une folie douce, une errance sans fin. Au milieu de ce chaos intérieur, je voyais le monde tourner sans moi, indifférent, avec ses habitants plus attachés à eux-mêmes qu’à autre chose.

Je ne me retrouvais plus dans ce miroir brisé. Je ne savais plus qui j’étais vraiment. Qui j’étais devenue, une fille pleine de vie à une femme qui n’arrive plus à vivre. 

Et pourtant, au creux de ce gouffre, une toute petite flamme résistait encore, fragile mais tenace.

Il n’y avait personne pour sécher mes larmes, hormis ma mère, seulement moi — et moi-même — tentant désespérément d’échapper à une réalité trop lourde en fuyant le monde plutôt qu’en l’affrontant. Les montagnes russes, la confusion entre les émotions et pensées contradictoires, ces moments de profond désespoir et, de l’autre côté, une envie fébrile de retrouver la force. Une lutte silencieuse, où chaque pas semblait à la fois une victoire et une chute. Parfois, le silence pesait tellement que je croyais qu’il allait m’avaler, d’autres fois, un souffle de lumière traversait cette obscurité, rappelant que rien n’est jamais vraiment figé.

“Le deuil, l’amour et la société”

-

Malgré le fait que je le savais déjà, j’ai d’autant plus compris que la guérison ne ressemblait pas à ce qu’on nous raconte. Ce n’est pas linéaire. Ce n’est pas une ligne droite vers la lumière. C’est un chemin qui vacille, un pas après l’autre, souvent dans le noir. C’est accepter de ne pas aller bien, d’être bancale, de ne pas savoir. C’est faire la paix avec l’idée que certaines blessures ne se refermeront jamais complètement — mais qu’on peut apprendre à vivre avec, à les porter autrement. J’ai surtout compris que les autres ne pouvaient pas comprendre pleinement, ni qu’ils portaient le même amour que moi. Il n’y a pas de retour arrière possible, c’est un autre deuil, il faut apprendre à réinventer une autre version de soi, peut-être plus douce, plus vrai, pas meilleure, juste celle qui voudra bien naître. 

La mort d’un proche est un traumatisme. Et chaque traumatisme est vécu différemment. C’est l’une des premières choses qu’on apprend en psychologie. Mais ce que peu disent, c’est combien le traumatisme et la dépression changent une personne en profondeur — jusqu’à son regard sur le monde.

C’était la première fois que j’étais confrontée à la mort et à tout ce qu’elle révèle — l’absence brutale, les papiers, les démarches, les condoléances mécaniques, les regards gênés. Les formules toutes faites, les injonctions à "tenir bon", à "passer à autre chose", j’ai même eu le droit à un “Quoi de neuf sinon ?” 2jours après, comme si aimer ne laissait pas de cicatrice, comme si la perte devait rester discrète, propre, polie. Et je trouve ça inquiétant que, dans notre société, le deuil soit aussi banalisé, aussi vite mis de côté. Cette façon qu’elle a d’éteindre la douleur au lieu de l’écouter. Comme si la douleur devait s’effacer pour ne pas gêner. Comme si continuer à vivre signifiait oublier. Comme si pleurer trop longtemps devenait indécent. Il paraît même qu’au-delà d’un certain temps, le deuil devient “pathologique”. C’est l’une des choses les plus absurdes que j’aie lues. Après un an, la vie est censée reprendre son cours normal. Comme si tout allait bien.

Trois jours.
C’est ce qu’on nous accorde pour « faire notre deuil ». Trois jours pour encaisser l’inacceptable, pour organiser la crémation, pour regarder un corps aimé partir en fumée et revenir dans une urne. Trois jours pour effleurer l’irréparable, pour pleurer en silence… puis retourner au travail comme si de rien n’était.

Et ensuite ?
Plus rien. Le monde continue de tourner. Les gens passent à autre chose. Personne ne demande vraiment comment tu tiens, ou alors juste pour la forme.

Mais le deuil, ce n’est pas trois jours. Ce n’est pas une date sur un calendrier.
C’est une présence fantôme qui te suit, jour après jour, nuit après nuit. C’est ton corps qui garde tout, même quand ta bouche ne dit plus rien.
C’est une reconstruction lente, invisible, souvent incomprise.

Nous ne sommes pas faits pour vivre ces choses seuls.
Et pourtant, tout nous y pousse.

Je crois que c’est ce que j’ai découvert malgré moi : une vérité que je ne voulais pas voir si tôt, sur le monde et sur les autres.

Le deuil révèle l’indifférence des gens.
Il y a ceux que ça touche vraiment. Ceux qui font semblant. Ceux qui oublient vite. Et ceux pour qui l’empathie est une langue étrangère.
Le deuil est une épreuve profondément solitaire.

Et j’ai compris une chose dure : les gens ne sont pas capables d’aimer si toi, tu n’es pas capable d’en donner.
Tout est toujours le reflet narcissique d’eux-mêmes.
Comment je t’aime si tu ne m’aimes pas ?

Je ne sais pas comment j’ai pu à un moment être naïve et penser que tout le monde portait le même amour en eux. 

Plus jeune, j’avais compris que donner était important, mais je ne savais pas que fermer mon cœur, ma capacité à donner, finirait par me couper aussi de la capacité à recevoir.

L’amour, c’est un fleuve qui coule à double sens. 

Quand tu tends la main pour donner, tu ouvres aussi la voie pour recevoir. Mais quand tu es épuisé, c’est comme si tes doigts se refermaient, serrant un trésor invisible qui, paradoxalement, t’empêche d’accueillir ce que la vie veut t’offrir.

“Ce que tu m’as laissés, ta vie, toi”

Seulement cette sensibilité, je ne la tiens pas de nulle part. On nous répétait souvent : « Tel père, telle fille. » et ça me paraissait plutôt juste. 

Cette capacité à ressentir fort, à aimer sans demi-mesure, à se faire mal parfois avec nos propres pensées. Ce regard un peu décalé sur le monde, cette tendance à vouloir tout comprendre, tout réparer, à chercher un sens même là où il n’y en a pas. C’était toi. Et c’est devenu moi.

Tu m’as laissée avec un cœur trop plein, une mémoire en puzzle, et cette étrange impression que ta vie continue de vibrer en moi. Tu ne m’as pas légué un patrimoine, pas une fortune mais tu m’as laissé la chose la plus riche : ta manière d’aimer, ta façon d’écouter, ton sens de la justice, ta lumière dans les yeux quand tu parlais de tes projets. Et je le répète tu n’étais pas parfait, mais c’est ce que tu répétais sans arrêt aussi “Personne n’est parfait, on a tous nos défauts et nos qualités, c’est normal, nous sommes juste humains”

Il y a cette chose étrange que tu m’avais transmis : Ta foi en l’humain, malgré tout, que t’auras gardé jusqu’au bout, toute ta vie, à vouloir aider les autres. Je n’ai pas cette force, parce que j’ai compris que tout le monde ne pouvait pas être sauver, que j’allais m’épuiser dans cette tâche. 

Au-delà de ça, tu étais un sacré personnage, je me demandais parfois ou tu allais puiser toute cette imagination pour débiter autant de conneries. T’en a fait rire une paire, aux larmes, sûrement quelque chose qui marque le plus les gens. Trop plein d’énergie, trop plein d’idées, trop plein de mots. Et moi, dans tout ce vacarme, j’essayais de comprendre, d’attraper au vol ce que tu cherchais à transmettre. Enfaite, je crois que tu étais un mélange de clown, de philosophe, de rêveur, de très sensible. Tu pouvais passer de réflexions profondes à des conneries monumentales en quelques secondes et c’est ce qui faisait toute la richesse, tu ne te prenais pas au sérieux parce que tu avais compris que ça ne servait à rien. Mais dans ton agitation, il y avait toujours un message caché, une vérité planquée derrière une vanne, une envie de faire passer quelque chose. J’ai passé une partie de ma vie à essayer de déchiffrer ce que tu ne disais pas vraiment. Je me demandais parfois si tu avais conscience de la marque que tu pouvais laisser aux gens, tu disais parfois que tu dérangeais, parce que oui, au fond, tu souffrais d’une profonde injustice, mais je pense que les gens ne savaient juste parfois pas comment faire avec ton excentricité, parce que rares sont les personnes comme toi, les gens souvent endormis, il ne faut pas trop les secouer. Tu sentais parfois ce décalage, tu savais qu’on ne te comprenait pas toujours.
Mais je peux te le dire : tu donnais envie de rire plus fort, de voir plus loin, de penser plus librement.

Tu as redonné un souffle à la vie de certaines personnes, un élan.
Et je reste convaincue que c’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire aux autres, quand c’est possible.

Ça marchait parce que c’était vrai. Parce que tu avais réellement cette envie d’élever les autres, de leur apprendre, de les aider. Tu ne jouais pas.
Alors oui, je sais qu’il y avait une petite part d’égocentrisme là-dedans, une envie d’exister, de briller un peu aussi. Mais au fond, tu voulais avant tout que les autres brillent.
Que chacun réalise qu’il avait quelque chose à l’intérieur de lui.
Surtout ceux qui l’avaient oublié.

Tu n’as pas changé le monde.
Mais tu as changé des vies.

Et finalement, c’était ça, le vrai travail de ta vie.

Parce que tu répétais sans cesse “c’est le travail de toute une vie, d’apprendre à se connaître, de s’accepter, d’être aligner, de savoir qui on est” mais peut-être qu’en fait, tu avais fini par l’achever, ce travail, non pas en te cherchant encore et encore,
mais en aidant les autres à se trouver un peu.

En éclairant des morceaux d’eux-mêmes qu’ils n’osaient pas regarder.

Si je devais compter ta vie, je ne saurais pas par où commencer. Tu as un eu un parcours assez riche, mais peut-être faudrait-il commencer par le début. Tu as vu le jour, 15 jours après la mort de ton père, tu étais le dernier des six enfants que ta mère a dû élever seule. Ta mère qui a également connu un parcours assez compliqué, elle a perdu un enfant peu de temps avant ta naissance, mais avant tout cela, elle a été adoptée, tu n’as jamais connu tes grands parents. Tu as donc évolué dans un environnement ou tu as très tôt été confronté à la perte, et tu as dû apprendre à te débrouiller tout seul. Malgré ça, tu admirais profondément ta mère, qui était une femme aimante, courageuse, bourrée de talent, qui avait un attrait pour la peinture, la couture...Une femme pleine d’humour, que tu devais puiser de là. C’est comme ça que tu me la décrivais. A travers toi, j’apprenais un peu à la connaître et à l’admirer à mon tour, je te posais souvent des questions sur elle d’ailleurs, déjà parce que je savais que ça te faisait du bien d’en parler, et parce que tu avais une façon de décrire les gens qui était toujours touchante, juste et plein de tendresse.

Tu as donc fait un parcours classique, un CAP, l’armée, et très tôt tu te rends compte que tu as des dons, que tu arrives à lire les autres en un regard. Ta sœur t’achète un oracle, par pur hasard, puis tu ressens que quelque chose va arriver à ta maman, 1an plus tard, elle décède d’un cancer du sein, un jour avant ton anniversaire. Tu avais 28ans. J’avais enfui cette information, mais elle vient faire un drôle d’écho à la photo et au ressentis que j’ai eu le matin de ton départ.

Evidemment, ce ne sont pas les seuls ressentis que j’ai eu depuis le début de ma petite vie, mais ce n’est pas sur ça que j’aurais envie d’épiloguer, bien que, dans le parcours de mon père, ça une place centrale et fondamentale.

Annotations

Vous aimez lire Soula ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0