Le premier dernier jour 

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 Un mercredi 31 janvier, 1er jour off de ma première semaine de travail, vers 13h, je décide de faire un peu de rangement. Je me souviens d’une photo. En triant des affaires, je tombe sur une photo de toi. Une image figée, un souvenir capturé, et j’ai cette impression terrible que tu es déjà parti. J’essaye de chasser cette sensation aussi vite, de ranger la photo et de continuer ce que je faisais. 

Dix minutes plus tard, je t’entends monter les escaliers, te plaignant d’une douleur, hurler à ma mère d’appeler les secours. On t’allonge sur le lit, et moi, je ne comprends pas. J’ai peur, mais je garde une distance étrange, comme si je ne voulais pas vraiment voir. Je me dis que tu en rajoutes, que c’est un petit malaise. Je demande plusieurs fois : « Qu’est-ce qu’il fait ? »

Je m’éloigne cinq minutes pour pleurer, parce que je comprends sans comprendre.

Les secours arrivent. Tu reprends des forces, tu ris presque, tu fais toujours tes blagues, pour te rassurer, pour nous rassurer, je ne sais pas. Mais ils t’emmènent quand même à l’hôpital. Tu avais déjà fait un infarctus un an plus tôt, et là, tu en refais un. Tu montes dans le camion, je ris nerveusement quand ma mère demande si on peut au moins monter te dire aurevoir, je te fais un bisou sur le front, et je te dis “ça va aller”, mais tu ne réponds pas, tu me regardes et les pompiers nous disent de partir.

On attend. Trois heures interminables dans le camion, devant chez nous, sans pouvoir te voir, sans savoir ce qu’il se passe. Ils font des aller-retours en nous disant que “tout va bien, il a refait un tout petit infarctus mais ça va, il nous raconte des blagues.” 

La peur s’installe doucement.

La première fois, je ne suis pas inquiète. Je sais que ça ira. Mais ce jour-là, je m’effondre toute l’après-midi. J’essaie de rationnaliser, de croire les secours, mais au fond de moi, je sais.

Ma mère appelle une première fois dans l’après-midi : on nous dit que tu te fais opérer mais que ça devrait bien se passer. Je pleure, je m’affole, j’ai une pulsion de filer à l’hôpital, mais ma mère me calme : je ne pourrais pas te voir.

Un deuxième appel en début de soirée : tu es dans le coma, tu tiens à peine grâce à une machine. Le médecin nous dit : « Vous pourrez venir demain, il sera peut-être encore en vie. »

Cette phrase restera dans ma mémoire, elle voulait tout dire sans le dire, ou je ne voulais pas encore le comprendre totalement. Je l’ai ressenti comme un espoir fragile et une annonce voilée. La dissonance entre ce que le médecin et les pompiers avaient dit quelques heures plus tôt ne coïncidaient pas, comment tu pouvais revenir sain et sauf et “peut-être être encore en vie demain pour te voir” quelques heures après ?

Un frisson glacial me traverse tout le corps, alors que je suis allongée dans le salon, avec ma mère, à essayer de dormir tout en attendant un appel, tout en sachant que s'il y avait un appel, ce ne serait pas pour de bonnes nouvelles. J’y ai mis toute mon énergie, toute ma force pour y croire, pour envoyer toutes les meilleures ondes possibles que je pouvais avoir, mais j’ai surtout eu la sensation que j’ai pu me reconnecter à toi, pour la dernière fois. 

Cinq minutes plus tard, le troisième appel arriva : c’est terminé.

Je reste bloquée, fais les cents pas en répétant : « Ce n’est pas possible, ils se sont trompés. » Je refusais catégoriquement d’y croire, ça me paraissait tellement irréel, et en même temps, j’ai senti mon monde s’écrouler.

Je suis sortie, comme poussée par un besoin irrépressible de m’éloigner. L’air frais m’a frappée en pleine figure, mais je ne ressentais rien, ou plutôt un vide immense.

J’ai marché sans but précis, le téléphone à la main, appelant une amie. Je lui ai simplement dit : « C’est fini. »

Les mots étaient plats, presque détachés, sans vraiment d’émotion. Moi-même, je ne comprenais pas totalement ce qui venait de se passer, ni ce que ça signifiait vraiment.

C’était comme si mon esprit refusait de s’approprier cette vérité, cette nouvelle réalité. Je flottais entre le choc et l’incrédulité, incapable de pleurer ou de crier.

Puis je suis rentrée, et j’ai fini par réaliser. Je me suis effondrée, sans pouvoir retenir mes larmes. Une douleur sourde et infinie m’a submergée, comme si tout ce que je connaissais venait de disparaître en un instant.

Le silence qui a suivi était assourdissant. Autour de moi, les voix, les gestes, tout semblait à la fois flou et irréel. J’étais là, prisonnière de ce moment, incapable d’avancer ni de reculer. Le pire réveil de ma vie, le temps que le cerveau réalise de nouveau que tu n’allais pas rentrer, qu’il n’y aurait plus de coup de fil, ni d’espoir. Et j’y ai cru pendant plusieurs semaines, que tu allais rentrer, que tu étais partit te ressourcer, mais cette réalité-là, est très dur à accepter, d’autant plus que tout devait bien se dérouler. Je t’ai entendu rentrer pourtant, la deuxième nuit, je t’ai entendu ouvrir la porte et marcher vers moi, j’ai vu ton ombre, mais ce n’était qu’une ombre, et je me suis réveillée d’un coup sec. 

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