L'amour, le chaos et les signes invisibles
J’ai continué à travailler. Travailler pour ne pas penser, pour détourner mon esprit. Et puis, deux semaines plus tard, un nouvel employé arrive. Il est six heures du matin, il est assis dans le noir. Je rentre, et soudain, il se lève, me donne son prénom — le même que celui de mon père. Juste son prénom, sans un mot de plus. Ce petit signe, cette coïncidence pleine de sens, je sais que ce n’était pas un hasard.
Quelques semaines après, un client âgé s’adresse à moi, me regarde droit dans les yeux, et murmure : « Moi, je termine ma vie, vous, vous la commencez. » J’avais cette étrange sensation que ces mots venaient de lui, comme un dernier message, comme un dernier petit clin d’œil. Ce sont ces moments de flottements, ces détails qu’il faut souligner, c’est une sensation, un ressenti, vous le savez profondément.
Paradoxalement, c’est dans cette année chaotique que je me suis sentie plus vivante que jamais, brisée mais vivante.
Comme si le temps avait suspendu son cours. Quelques jours après l’incinération, alors que je pleurais toutes les larmes de mon corps, une vague d’amour et de bonheur comme je n’avais jamais ressentie auparavant m’envahis. Un amour pur, inconditionnel, démesuré, presque violent dans sa force. J’ai su, au plus profond de moi, que c’était mon père.
Comme si, tout d’un coup, j’étais portée par une force invisible, qui me tenait debout. Comme si je quittais un monde terne pour entrer dans une réalité plus claire, plus vibrante. Le monde autour de moi s’est transformé : les couleurs étaient plus vives, la lumière plus dense, plus réelle, et pourtant tout semblait fragile, prêt à s’effondrer à tout moment.
La douleur n’avait pas disparue, elle l’emplissait, elle s’était transformée en quelque chose de plus profond. C’était une danse, parfois vertigineuse, parfois sublime. Comme si tout d’un coup, j’avais pris conscience de la préciosité et de la fragilité de la vie de manière la plus vraie possible, frappé en plein fouet.
Ce moment m’a fait comprendre, brutalement, que la vie est un équilibre fragile, un tango entre la beauté et la souffrance.
Il faut apprendre à poser les pas avec soin, à s’abandonner aux mouvements sans se perdre.
Et au cœur de tout ça, l’amour reste cette lumière qui ne faiblit jamais, même dans l’obscurité la plus totale.
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