Un Éveil.

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 Une petite voix appelait dans le lointain ; un écho du passé frêle et doux comme un duvet de coton. « Papa ! Papa ! » disait-elle. Ces mots pesèrent sur l’esprit de l’homme dont la conscience émergea des ombres qui l’avaient emprisonné.

 Il découvrit le plafond de sa chambre, couvert de bulles voluptueuses piquetées de noirs et de verts ; des filets de soies s’étendaient sur toute sa longueur, des routes suspendues où les araignées ne cessaient d’aller et venir, et s’éternisaient en babillages inutiles. Depuis son arrivée chez Ninil Mushroom, il n’avait plus jamais entendu le silence.

 Il se redressa sur un coude, allongé sur sa couchette de vieux draps. Quand s’était-il assoupi ? Comment avait-il fait ? Lui qui n’avait plus plongé dans le monde onirique depuis des décennies. Le magasin se mit à trembler. Les murs à libérer des traînées de poussière. Les dalles blanches à chanter leur plaisir d’être ainsi massées. Il était en colère. Une colère froide et profonde contre lui-même.

 Une petite puce sautillait sur son ventre. Il pouvait l’entendre s’écrier : « Woah ! Trop fort ! Il y a tout qui fait “vroum vroum” ! » L’homme relâcha son poing, et sa colère s’estompa face à l’innocence de To. Il n’avait pas le droit de dormir, mais il avait encore moins le droit de mêler des enfants à son malheur.

 Il passa une main dans ses cheveux. Une volée de cris enfantins s’y éleva. Il venait de réveiller les bébés qui roupillaient comme des marmottes. Leurs mamans affolées s’empressèrent de venir les bordées, de les étreindre tendrement entre leurs pattes rachitiques.

 Il s’excusa poliment auprès d’elles, et se leva. Il constata que l’odeur âcre de la viande empestait le magasin. Le sang frais. La mort récente. Elles avaient chassé ? Un homme ? Un monstre ? Il n’en avait aucune idée, et il ne voulait pas le savoir.

 Il sortit de sa chambre sous les sermons des mamans qu’il ignorait. Au milieu du magasin, une table avait été posée, les rayons écartés afin de lui donner suffisamment d’espace. Un plateau garnit de croissants et de friandises à la fraise périmée depuis quelques mois était posé en son centre. Un gros donut nappé de crème comme cerise sur le gâteau.

 Il remarqua très vite l’absence des araignées. Elles se cachaient, tapis dans les recoins obscurs, pensant qu’il ne les voyait pas. Il avança de quelques pas. Qu’avaient-elles préparé ?

 Il entendit le bruissement de chaussons traînés sur le sol, et une voix accueillante toussoter derrière lui pour attirer son attention. Il se retourna. Une jeune femme malingre l’attendait, son abondante crinière couleur de jais coiffée en une longue et haute queue-de-cheval. Il croisa son regard, deux grands yeux abyssaux où s’y perdaient les ténèbres ; elle les plissa de bonheur, étira les courbes rondes de son visage et fendit ses joues d’un sourire bien trop grand.

 Elle tendit un bras vers la table, un deuxième vers lui, de son troisième lui présenta une tisane, et son quatrième tenait une théière fumante à l’odeur désagréable. Elle lissait, de ses deux derniers, les plis de son vêtement, un ensemble d’une même pièce rose et rouge avec assez de trous pour ses nombreux bras. Il se terminait en short court, révélant des cuisses trop fines et à la peau grisâtre.

 « Prenez place, cher client, siffla joyeusement Ninil entre ses crocs jaunis. Nous allons gâter ce bel homme que vous êtes ! »

 Elle plaça une main devant sa bouche afin de masquer son rire espiègle.

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