Ninil chassa les ténèbres ; elle les fit disparaître aussi simplement que s’il s’était agi d’une tâche sur le carrelage de son magasin. Les araignées dévorées s’éparpillèrent un peu partout, vivantes. L’homme, quant à lui, était à genoux au milieu du parking. Il tenait Lily – inerte dans ses bras, – silencieux comme une tombe.

 La gérante s’approcha d’un pas hésitant. Elle referma sa bouche, réajusta ses vêtements, déplissa son visage, et tâcha de sourire. Elle vint s’agenouiller à ses côtés, deux mains contre son dos pour le réconforter. Lily était pâle, les yeux laiteux, les bras ballants…

 « J’ai échoué, encore, dit-il.

 — Ce n’est pas votre faute, cher client, tenta Ninil. Personne n’aurait pu le prévoir.

 — Tout est de ma faute.

 — Mais non, vous avez tout tenté. Vous êtes un bon père.

 — Je ne peux plus continuer ; il faut que je m’en aille. Maintenant. » Il déposa respectueusement le corps de Lily au sol et se leva. Puis, il se tourna vers la gérante et lui avoua : « Je vous apprécie. Vous avez su me faire rire. Vous êtes une curiosité, Ninil. Vous avez trompé mon ennui. Je ne veux pas que cela vous arrive à vous aussi. Je vais m’en aller à jamais, et vous laisser enfin en paix.

 — Qu’est-ce que vous racontez ? Vous avez une place chez nous. Vous êtes le bienvenu !

 — Adieu. »

 Il disparut en un battement de cils.

 « Que… Cher client ? Où êtes-vous ? Cher client ? » Ninil tourna sur elle-même. Comment avait-il fait ça ? Déroutée et incapable de flairer son odeur, elle sentit une angoisse lui nouer l’estomac. Il l’avait abandonnée aussi facilement ? « Impossible, s’étrangla-t-elle.

 — Je sais où il est allé, s’exclama Ka en bousculant quelques araignées encore confuses. J’y vais de ce pas ! Toi, veille sur Lily ! » Elle partit à grands bonds de puce dans les rues enténébrées.

 « Veillez sur Lily ? » s’interrogea Ninil en s’approchant du corps de l’enfant. Elle s’accroupit et tâta son pouls. Il était faible, mais bien présent. « Oh ! » s’exclama-t-elle, étonnée. Elle chargea les araignées de la portée jusqu’au magasin, et lança un regard inquiet dans la direction qu’avait prise Ka, puis s’en retourna chez elle.