La femme fardée

de Image de profil de Darius de saint-GermainDarius de saint-Germain

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La ville de saint-just en chaussée est traversée par une artère principale qui la coupe en deux du nord au sud. C'est la rue de Paris. Elle commence au carrefour principale et descend vers le bas de la ville en direction de Clermont. Elle prend la suite de la rue Talbouis qui s'achève au carrefour. Dans l'autre sens cette rue mène au rond-point, lieu de rassemblement des gilets jaunes.
Il y a vingt ans, la ville avait son charme et son centre ville même si c'en était pas un au sens classique, c'est a dire avec une place, une église, des cafés et des banques tout autour.
Comme dans beaucoup de petites villes de province la désertification frappe de son évidence. Seules les banques perdurent encore dans la résistance au déclin. Comme la nature, les affaires ont horreur du vide, au fil des années sont venus les coiffeurs autoproclamés à 10 euros la coupe, les pizzaiolos et les kebbabistes investis dont la mission est de remplir les urgences de naufragés cardiaques gavés de cholestérol des années durant.
A la mairie, un cahier de doléances a été mis à la disposition des habitants. Je serais curieux de lire les désidératas couchés comme autant de messages envoyés à la mer.
Le supermarché Leclerc est en contre bas du rond-point. Mon gilet jaune sur le dos en guise de solidarité, je passe en klaxonnant du mieux que je peux, leur faisant comprendre que je suis avec eux, faisant un maximum de bruit, comme pour réveiller une conscience endormie devant l'injustice qui frappe les hommes. Les gilets jaunes me le rendent bien en faisant des signes de probation. Ils me remercient. Je suis des leurs.
Je me suis garé sur le parking. Les cris joyeux et les klaxons des voitures me parviennent atténués.

En fait, la seule pensée qui m'obsédait était de revoir cette femme fardée de l'acte V.

Les revendications criées et hurlées des gilets jaunes passaient au second plan de ma stratégie. Pour autant, j'avais décidé malgré tout de remonter la pente jusqu'au rond-point à pied pour assister physiquement, réellement à une manifestation de gilets jaunes, comme s'il s'agissait d'un phénomène extraordinaire. Mais sans conviction.

C'était l'heure du déjeuner; des gilets jaunes, ça et là, descendaient au Mac-do jouxtant le supermarché pour manger un morceau, le temps d'un répit. D'autres remontaient prêts à reprendre les armes de leur présence, l'estomac calé.
Un couple descendait lentement, sans doute pour se restaurer.
Au fur et à mesure, je reconnus la femme au maquillage avec son gilet jaune qui s'avançait accompagnée d'un type qui ne pouvait être que son mari. Quand elle fut à ma hauteur, jela fixais comme pour m'appesantir sur ce visage fardée de douceur qui n'avait pas changé depuis la dernière fois de l'acte V. Je voulais me l'approprier comme on achète un tableau rare aux enchères. Elle me reconnut par un sourire. C'était le même visage que celui des femmes pieuses que l'on voit sur les tableaux des musées. Sensuellement pieuses. Je cherchai vainement une contenance devant cette rencontre inattendue qui venait démentir froidement la conviction que j'avais nourrie jusque là que toutes les femmes désirées était forcément célibataires et libres de toute hypothèque amoureuse.

C'était une belle femme. Il est des jours comme ça où vous marchez dans la rue par un beau matin d'hiver, sous un beau ciel bleu, et soudain par le grand des hasards, vous avez le cœur qui chavire. Votre journée est compromise. Parfois, c'est toute la semaine qui passe sans que l'image de cette femme se détache de votre pensée. Alors on se dit à soi-même : Dois-je remercier le ciel ou le haïr à jamais ? Ce ciel si beau, si bleu, si pur qui m'a donné à voir. Voir et souffrir d'avoir vu.

C'était le samedi matin pendant l'acte V des "gilets jaunes". Elle montait en direction du rond-point vêtue de son gilet jaune. Moi je descendais vers le parking lorsque nos regards se sont croisés.
Un chapeau bob de pluie couvrait ses cheveux. Elle était d'une douceur infinie. Une douceur qui se lisait sur son visage maquillé. Une douceur que des yeux noirs cristallisaient et qui vous captivaient comme deux aimants puissants.
Elle était d'un certain âge, bien que le bleu intense de son maquillage la faisait paraître plus jeune. Elle avait ce charme indéfinissable des femmes proustiennes coquettes qui veulent encore plaire malgré le poids des ans. Elle marchait lentement.
Elle était venue avec d'autres "gilets jaunes" manifester sa colère, ou plutôt sa présence silencieuse telle une déesse romaine pour dire merde à Jupiter.
Il est des femmes que l'on voudrait serrer dans ses bras au premier abord, sans engager aucun préliminaire. C'est alors qu'un désir brutal d'aimer s'empare de tout notre être.

Une déception immense me poussa cependant à lui dire niaisement avec ce sourire affecté des hypocrites : "Bonjour, nous avons un point commun, Madame", et ce devant le regard médusé de son mari.

Pourtant, j'avais espéré l'acte VI toute la semaine suivante.



Darius de sain-germain

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Table des matières

En réponse au défi

Votre plus grande douleur amoureuse.

Lancé par M- T.

Bonjour chers écrivains et écrivaines,

Je vous propose le défi suivant: écrire et réussir à poser des mots sur votre plus grande douleur amoureuse. La tâche est dure, car il faut déjà parvenir à poser des mots sur cette notion relative qu'est l'amour. Mettez y tout votre coeur, mais aussi votre douleur. Ce défi pourrait vous être libérateur.

À vos plumes,

M- T.

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