Guérir la Folie par la Folie
Baltazar se protégeait des bourrasques gelées du Dédale. Depuis qu’il avait quitté Biloaï, leurs voyages n’avaient pas été de tous repos. Liosan voulait se déplacer de dimension en dimension pour superviser ses affaires et celui-ci voyager avec une panoplie d’habillement pour s’adapter à tout climat. En attendant, le démon aurait volontié échanger sa veste contre un manteau de fourrure. Les montagnes de l’univers de glace étaient hostiles et l’altitude amenait un froid mordant. Ses doigts nus ne pouvaient plus se fermer. Ses dents claquées instinctivement sous l’air glacial. Baltazar avait même pensé partir de la dimension durant quelques minutes, mais l’homme d’affaires avait été clair : une trahison de son côté et les démons seraient au courant de son pouvoir. Cette situation ne le mettait guère à l’aise, mais en avait-il connu d’autres plus confortables ? Sa mémoire faisant défaut, il ne pouvait y apporter des réponses.
En voyant, Liosan marchait dans la neige, en se protégeant des fortes bourrasques grâce à son épais cabas, l’entitée en fut rassurée. Il aurait pu finir congelé et enseveli sur place s’il avait tardé quelques heures de plus. Le sourire du banquier affichait de bons augures.
- Ne tardons pas plus ! s’écria-t-il pour se faire entendre.
D’un mouvement de pensée instinctive, le monde bascula et le ciel se colora de gris. Quelques gouttes tombèrent de celui-ci. Sur les mains du démon, la pluie semblaient brûlante.
Liosan se dévêtit de ses épais habits et l’attachèrent sur l’arrière-train de son étalon. Baltazar resta muet en contemplant sa monture. L’homme d’affaires avait eu pitié de lui et lui avait confié une vieille jument qui peinait à tenir le pas du pur-sang de Liosan. En dehors de cet animal, Baltazar ne possédait rien à lui, même pas ses propres malédictions.
- Je dois avouer que je ne m’attendais pas à faire des affaires dans un monde aussi primitif que le Dédale, reprit Liosan, fière de lui.
Le démon se tut et monta sur sa jument. L’homme d’affaires continua son monologue d’un ton mesquin.
- J’ai une idée pour ramener Ozanne dans sa dimensio en toute sécurité, lui précisa Liosan d’un air réprobateur.
Baltazar ne fit guère attention et commença à prendre de l’avance. La pluie commença à empreignait ses nobles habits.
- Elle m’a échappé une fois, certes ! Mais elle connaissait les lieux comme sa poche. Ce n’est qu’une question de temps avant que je ne mette à terme à vos vils complots. N’oubliez pas que si vous ne m’étiez pas aussi important, je vous aurais déjà enfermé derrière un sceau.
D’un petit trot, l’homme d’affaires dépassa le démon. Un sourire irradiait le visage de Liosan Ferl. Baltazar fulmina silencieusement. Des menaces identiques à celle du banquier se fracassaient dans son crâne. S’il n’avait pas été aussi naïf, il aurait pu se délivrer des mains de son bourreau.
***
À Biloaï, l’air du soir avait apporté une brume fraîche. Alida se laissait guider dans les rues de sa ville natale. Elle devait prévenir au plus vite Léontine des dernières nouvelles. Sur la place, le manoir décoré de carrelage flamboyant semblait décalé par rapport à l'hiver morne qui avait attrapé son pays, il y a quelques mois.
La jeune femme longea les murs silencieusement. Elle ne voulait pas se faire voir des espions de Liosan Ferl. Bien qu’elle ne soit pas sûre qu’ils existent, elle avait senti le regard persan de l’homme d’affaires lors de l’enterrement de son frère. Son cœur criait vengeance. Six mois à remplir son être d’espoir de revoir Peio, fou ou non, tout cela pour que les soldats de l’Empire ne l’amènent à se jeter d’une falaise. Les hommes qui l’avaient tué étaient sous les ordres de son lâche de père, désormais conseiller en défense intérieur. Tout cette histoire la dégoûtait.
Discrètement, elle se glissa sur le côté de la bâtisse et enleva ses chaussures pour monter jusqu’à la fenêtre de la chambre de Léontine. Avec habilité, elle se hissa jusqu’au troisième étage et tapota sur la fenêtre où une faible lueur traversait les rideaux. Au bout de quelques secondes, des mains éloignèrent les étoffes et laissèrent dévoiler le visage fin de Léontine. Ses yeux émeraude étaient rouges et son ventre s’arrondissait à vue d’œil. La future mère ouvrit la fenêtre et s’exprima d’une petite voix :
- Rentre vite ! Ne reste pas sous ce froid !
Alida rentra dans la chambre et fut rassurée d’être enfin protégée du froid. Sans plus attendre, elle prit Léontine dans ses bras pour la réconforter. Ses lèvres se posèrent sur le front brûlant de son amie. Elle avait du mal à tenir le choc, même pour une femme aussi forte qu’elle. Alida s’éloigna et la fit s’asseoir sur le lit. Elles ne s’étaient pas revues depuis l’enterrement.
- Comment te sens-tu ? demande Alida.
- Si vide, souffla tristement Léontine.
- Saches que nous sommes-là pour toi. Tu peux compter sur ma mère, Aslan et moi-même. Tu n’es pas seul.
Léontine acquiesça d’un air distant.
- Pourquoi n’es-tu pas rentrée par la porte de devant ? s’étonna-t-elle.
- Je préfère éviter de croiser Liosan. Malgré que nos espoirs de retrouver Peio se soient taris, je reste méfiante…
- Je ne comprends pas ! la coupa-t-elle. Mon père a toujours été généreux. Il payait les études de Peio, était attentif à ses sujets de recherches. Je ne comprends pas pourquoi tu veux le mettre en tort. La paranoïa de Peio a déjà causé trop de malheur.
Léontine posa ses mains sur son ventre. Alida ne silla pas. Elle maintint sa main fermement accrochée à celle de sa belle-sœur.
- Justement… Léontine, je ne pense pas que la nouvelle te redonnera le moral, mais je voulais te prévenir. Aslan m’a fait parvenir une lettre. Il rentre à Biloaï, mais pas seul. Aloïs Horla l’a accompagnée… enfin ce qu’il reste de lui.
Léontine se leva brusquement. À la simple évocation du vigneron, sa colère avait fait fuir ses pensées moroses.
- Je ne veux plus entendre parler de lui ! C’est de sa faute si Peio est devenu fou, de sa faute si mon futur mari à comploter pour assassiner le conseil, de sa faute s’il est mort, de sa faute si je suis seul !
Des larmes fondirent sur ses joues. Alida se leva et la reprit dans ses bras. Elle chuchota doucement à son oreille :
- Léontine, tu n’es pas seul. Je serais toujours là pour toi, pour vous…
Elle porta ses mains sur son ventre :
- C’est tout de même mon neveu ou ma nièce qui grandit sous ce nombril.
Léontine sourit à travers le rideau de sanglots. Alida posa sa voix et continua doucement :
- Je veux simplement comprendre… Je vais aller à la rencontre d’Aloïs, demain. Aslan m’a dit qu’il avait perdu la tête. Ce qu’il a fait a Peio, il l’a payé ! Repose-toi et envoie l’un de tes serviteurs au Théâtre pour me dire ta réponse.
Les deux amies se regardèrent un instant, tous deux face au trou béant qu’avait laissé Peio dans leurs cœurs. Léontine reprit d’une voix éraillée :
- J’irais avec toi.
Alida hocha la tête avec respect.
- Je ne devrais pas tarder. Je dois partir travailler pour la représentation de ce soir, précisa Alida en faisant un clin d’œil. Repose-toi. Restons fortes !
La sœur de Peio déposa un baiser sur la joue de Léontine et repartit par la fenêtre ouverte. Léontine s’allongea sur son lit, emplie d’une nouvelle mission qui s’annonçait des plus difficiles : décrypter la folie d’un homme pour comprendre celle d’un autre.
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