L'intrus
Au beau milieu de la nuit, Liosan et Baltazar gravaient une petite colline. Celle-ci se faisait escarpée. Ils ne pouvaient amener les chevaux avec eux. Le démon était épuisé. Les jours de voyages sur le dos de la vieille jument lui avaient donné des douleurs au dos et l’idée de procéder à l’ouverture d’une porte vers la dimension des cendres l’effrayait déjà. L’endroit était infâme. Il y régnait des odeurs de cendres, de chairs brûlées et de maladie. De ce que lui avait dit les villageois, la capitale se trouvait protéger des vents ardents, mais les cendres se glissait dans n’importe quelles maisons et même les remparts ne pouvaient protéger les habitants des pluies acides.
Liosan arborait fièrement son costume blanc immaculé et sa veste noire sur son épaule. Un sourire d’excitation parcourait son visage de part et d’autre. Sa barbe poivre et sel se faisait boucler et soignée alors que ses cheveux étaient soigneusement plaqués sur sa tête par du baume. Ses yeux verts se posèrent le démon et une expression de dégoût couvrit son regard.
- Nous y sommes presque ?
- Oui, répondit froidement Baltazar. Au sommet de la colline.
- J’espère qu’il n’y a pas d’entourloupe, menaça l’homme d’affaire.
Baltazar, essoufflé, fit non de la tête. Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent sur une plaine cernée d’arbres fruitiers. Liosan vérifia la carte que lui avait brièvement dessinée Baltazar.
- Nous y sommes ! Ne tardons pas. Je ne voudrais pas trop m’absenter pendant le deuil de Peio. Je dois le réenterrer au plus vite possible !
Baltazar ferma les yeux et fit appel à son instinct primaire. Celui qui le permettait de trouver les dimensions. Pourtant le démon sentait qu’elle ne voulait pas de lui. À l’image des autres mondes, celui-là le rejeter ou peut-être que c’était lui qui ne voulait pas y aller. D’une voix rauque et éreintée, il informa Liosan :
- Cela va prendre un peu de temps…
Il entendit le banquier soufflait d’impatience. Baltazar s’assit à même le sol, sentant les herbes folles contre ses mollets à nu. Sa mémoire lui faisait défaut. Il se rappelait des noms, quelques histoires, mais plus du commencement. Il y quelques année, son sceau avait été déscélé et Baltazar avait repris vie. Avant, ce n’était qu’un trou noir. Pourtant, certaines sensations familières ne le quittaient jamais et lui permettaient d’ouvrir de nouveaux univers. Étrangement, celle-ci n’était pas apparue comme les autres. Baltazar ne dormait jamais. Il n’en trouvait pas la nécessité. Néanmoins voyager de dimension en dimension pouvait s’avérer dangereux et suite à une mauvaise chute, il s’était assoupi. Sans qu’il ne puisse se souvenir, un rêve brumeux avait empeigné son coma et lorsqu’il s’était réveillé, les paysages n’étaient plus que cendre.
Jamais une dimension ne s’était offerte à lui de cette manière. En temps normal, c’était de vieux objets, des reliques centenaires qui débloqué en lui une fraction de souvenir. Jamais cela n’était venu de lui-même. Il craignait que sa malédiction ne devienne incontrôlable. Même si les besoins des humains ne l’atteignaient pas, errer dans ces paysages dévastés pendant une semaine l’avait fragilisé. Il ne s’était jamais senti aussi faible.
Baltazar se concentra sur lui-même, essayant de faire face au rêve qui l’avait emporté. Il ne se souvenait de rien, que d’un épais et sombre brouillard qui l’entourait. Le démon essaya d’oublier le froid, l’herbe et le vent pour se noyer dans la chaleur du volcan. Le voyage lui bloqua l’estomac, lui faisant ressentir des frissons au creux du ventre. Il finit par ouvrir les yeux.
Ses mollets effleuraient les cendres brûlantes. Aucun arbre ne se voyait à l’horizon. Des épais nuages gris recouvraient le ciel étoilé. La dimension des cendres s’était ouverte à lui. Liosan observait avec intérêt les environs. D’une voix emplie d’entrain, il s’adressa au démon :
- Ce n’est pas trop tôt ! Nous y voilà… Je vois les remparts au loin. Mettons-nous en route.
Baltazar se sentit profondément vide. Il se leva et commença à descendre la colline dans l’autre sens. Les remparts se présentaient comme infranchissables. Un immense mur de pierre et de métal brûlé. Autour, rien ne subsistait. Pas un arbre, pas un arbuste, pas une maison, ni un voyageur de passage. Rien ni personne. Un univers stérile se présentait à eux. Sans rencontrer d’obstacle, ils atteignirent les remparts en une petite heure.
- Je dois admettre que je suis tout de même surpris, s’étonna Liosan. Quand vous me parliez de cité et remparts, je m’imaginais un simple bourg. Cette ville dépasse l’entendement. Elle est plus grande que Biloaï et l’architecture de celle-ci me ferait dire qu’elle est aussi vieille que notre capitale. Pourtant, elle n’existe dans aucune autre dimension…
Le démon acquiesça silencieusement. L’homme d’affaires avait raison. Il n’y avait pas tout de suite fait attention, mais si une ville de cette taille apparaissait sur les cartes des diffèrentes dimensions, il en aurait été au courant. Liosan avait tenté d’y comprendre la temporalité de celles-ci. Peio l’avait d’ailleurs aiguillé sans y faire attention. Le banquier l’avait orienté à se consacrer à l’étude de l’époque de la division qu’il avait datait à 800 ans auparavant. Baltazar n’y connaissait pas grand-chose, mais l’architecture des remparts devaient datait d’il y a 1000 ans de ça.
- Je dois admettre que je suis quand
même assez perplexe, reprit le banquier. La capitale est placée au carrefour du commerce. Biloaï prend refuge dans les faibles montagnes pour les cultures et les mines. Celle-ci ne porte aucun intérêt. Ni en commerce, ni à défendre. Et ces remparts ? Les habitants de cette dimension on dut se retrancher dans ce dernier bastion face à des ennemies trop puissant.
Ils avancèrent avec méfiance jusqu’à une grille fermée. Le fer semblait rongé au point que des plaques d’acier avaient été nécessaires pour la consolider. Un soldat portant une armure usée se présenta à eux. Il fronça des sourcils à la vision de ces nouveaux arrivants.
- Déclinez votre identité, noble !
Son accent se faisait dur et sa voix rauque à cause des cendres. Pour ne pas paraître trop étranger à ce monde, Liosan força sur son ton, comme-ci les cendres avaient enroué sa gorge :
- Je suis le duc Liosan Ferl. Moi et mon valet venons de loin. Nous avons laissé notre calèche dans un bourg pour le protéger des coulées de lave. Nous venons voir la princesse pour lui prévenir que le volcan prend de l’ampleur auprès des côtes. Les eaux montent et ma villa a été submergée. Mais je vous rassure, je ne suis pas venu sans mes biens personnels.
D’un sac à landau discrètement caché sous sa veste, Liosan sortit un lingot d’or. Le garde sourit à sa vision.
- Monseigneur est généreux ! La princesse saura vous accueillir comme il se le doit. La cour est friande de nouvelle tête et est compatissante des rescapés.
Le soldat tira d’une main ferme sur la corde et souleva la grille pesante pour laisser entrer les deux hommes. Après une série de couloirs traversant les remparts, ils se trouvèrent devant des ruelles étroites et recouvertes de cendres. Liosan sourit et chuchota aux oreilles de Baltazar :
- Je dois avouer que je trouve jouissive l’aisance qu’a l’argent pour ouvrir les portes fermées.
La cité était morne, délaissée au caprice des pluies acides. Le fer était rongé, le bois brûlé, la cendre recouvrant les pavés. Dans les avenues, des enfants balayés devant leur porte, le nez et les yeux rougis. Il n’y avait aucune personne âgée. La moyenne d’âge devait être basse à cause des maladies respiratoires. Baltazar n’aimait pas la misère et celle-ci l’horrifier. Son malaise grandissait en lui.
- De quoi vivent ces gens ? s’étonna Liosan, concentré.
La dimension n’importerait l’homme d’affaires que si de l’argent pouvait être généré. La situation précaire des habitants n’était pas souvent signe de bon commerce.
- La cour de la princesse saura me donner une réponse…
Baltazar scruta les environs. Même si les maisons et rues se ressemblaient, il parvenait à voir quelques détails. Des vendeurs de racines, d’autres d’étoffes grisâtres, une salle de spectacle à l’affiche tombant en lambeau. Cet endroit vivotait.
Au détour d’une ruelle, Baltazar et Liosan se retrouvèrent sur un carrefour où une fontaine versée de l’eau poussiéreuse. Les habitants faisaient la queux pour remplir leur seau sous les yeux d’un garde qui empêchait le désordre de s’installer. Une mauvaise impression entoura le démon : on l’observait, on le suivait. L’impression d’être intrus de ces lieux commençait à être omniprésente. Il aurait voulu retrouver les plaines vertes d’herbes folles. Mais Liosan ne freinait pas l’allure et le château de la princesse se dressait lugubrement devant eux, tel un manoir hanté.
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