Le Chien de Garde

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En effet, la bâtisse s’élevait maladroitement au-dessus des maisons. Des parties semblaient écroulées, mais des artisans travaillaient à les reconstruire. Des drapeaux brûlés se secouaient au gré des vents. L’effigie de l’empire trônant fièrement dessus : une couronne au joyau brillant, avec au centre une fiole de liquide sombre.

- Symbole de richesse, symbole d’intelligence, chuchota Liosan on le dessinant sur son carnet.

Baltazar se sentait épiait. Il ne cessait de se retourner pour observer les habitants curieux de voir des nobles se promenaient dans les rues. Mais aucun ne lui indiquait un comportement anormal. Liosan reprit à voix haute :

- Rentrons !

De même que pour la porte des remparts, le banquier se présenta comme duc et offrit généreusement quelques pièces d'or à ceux qui lui barraient le chemin. Liosan ne perdait pas de son sourire. Ils avancèrent dans la cour lugubre et rentrèrent dans le château.

Malgré le fait que l’odeur de la cendre ne disparaissait pas, la décoration se faisait agréable. De vieilles armoiries étaient accrochées dans le hall d’entrée et quelques tableaux anciens représentaient des plaines verdoyantes. Liosan s’exprima sur ce fait :

- Ils ont du mal à se faire au changement de météo. Ce lieu est un trésor de souvenirs et d’Histoire. Dommage que mon beau-fils soit mort.

Baltazar parcourait des yeux nerveusement le hall sombre. Cet endroit était malsain. Il y régnait une ambiance lugubre et l’inconfort de démon ne se dissipait pas. Les tableaux ne lui inspiraient que la crainte. Ce lieu avait été sain, il y a très longtemps.

Au bout de celui-ci se trouva une salle lumineuse. Même en pleine nuit, la cour jouissait des plus grands luxes et fêtait ensemble dans des éclats de rire. Les mets et boissons proposaient n’étaient tout de même que peu luxueux et dans le monde de Liosan, un simple bourgeois aurait pu se l’offrir.

Un serviteur se racla la gorge et fit l’annonce avec le ton énergétique qui accompagné l’argent qui l’avait soudoyé :

- Sa Majesté le duc de Liosan Ferl, investisseurs près des côtes vient s’adresser à la princesse suite à un malheureux événement. Sa villa a été ravagée par les terribles vagues provoquées par notre volcan capricieux. Il restera quelques temps dans la cour de notre princesse.

Comme un accord rodé, les nobles comprirent que Liosan avait de l’argent et l’accueillir avec un sourire appuyé. Un homme vint de suite à sa rencontre :

- Liosan Ferl ? Je n’avais jamais entendu parler de vous. Soyez le bienvenu dans notre humble château. Profiter des mets d’exception.

Le banquier s’empressa de faire bonne figure et se confondit à la fête en riant et en racontant des mensonges à ces hommes et ces femmes. Baltazar s’isola dans un coin de la pièce. Il ferma les yeux en s’adossant contre le mur. Son instinct l’attirait brutalement vers d’autres dimensions, même les plus inhabitables. Une voix le fit sortir de sa méditation. Celle-ci venait d’une femme portant un voile sur sa tête :

- Valet ? Au vu de votre teint, je jurerais que vous êtes davantage un homme de main. Je me trompe ?

Baltazar observa les yeux sombres qui sortaient d’entre les tissus de la femme. Quelques rides se promenaient dans le prolongement de son regard. Le démon ne répondit pas. Liosan ne voudrait pas qu’il se mêle de ses affaires. Comme toujours, il restait sur le côté.

- Vous avez dû voir des choses affreuses à ne plus dormir. Je ne vous demande pas de parler. Mon mari et moi avons besoin de quelqu’un comme vous…

- Je ne travaille que pour le duc, s’exprima le démon d’une voix rocailleuse.

- Ce n’est trois fois rien, s’empressa de reprendre la noble. Vous rirez même de ce que je vais vous demander. Il y a chien dans ce château.

- Un chien ?

- Oui, le chien de la princesse. Noir comme le jais. Necati n’est guère clément. Il se balade dans les couloirs du château et grogne sur les premières venues. Le meilleur chien de garde que Sa Majesté pourrait avoir…

- Ou voulait vous en venir ? s’impatienta Baltazar.

- Vous voulez parler à la princesse. Mais celle-ci ne sort pas sans Necati. Malheureusment, celui-ci a… disparu. Si vous voulez que votre maître soit accepté par la cour, il faut que vous retrouviez ce chien.

Baltazar fut étonné de cette mission.

- Parlez-en au duc, reprit le démon.

- Ne vous en faites pas ! Mon mari lui en a informé, mais il n’a pas semblé intéressé par nos dires. Il nous a conseillé de vous referez à son valet et vous semblez avoir… l’esprit que nous cherchons pour accomplir notre demande. Voir la princesse à la cour nous permettra de conclure aussi quelques affaires !

Le démon resta sur ses gardes. Effectivement, Liosan n’avait que faire de rencontrer la princesse folle et de chercher son chien. Seul le commerce l’intéressait. Il croisa le regard du banquier qui lui fit un signe de la tête pour qu’il s’en aille.

- Où se trouve le chien ? maugréa-t-il.

- Il a disparu depuis deux semaines ! Enfin, puisque la princesse n’est pas sortie de ses appartements, nous nous doutons fortement que Necati est parti en vadrouille comme à son habitude. Mais une absence aussi longue est inquiétante. Je vous conseille de poser des questions aux domestiques et de vous rendre jusqu’à la princesse pour demander de ses nouvelles. Sans lui, c’est comme-ci elle n’était plus elle… La princesse est d’un naturel discret et distant. Bon courage !

Elle retourna aux festivités. Baltazar frotta son menton glabre et franchi l’une des portes. Les couloirs se ressemblaient tous. Les vieilles draperies poussiéreuses changeaient parfois de couleur permettant au démon de s’orienter dans les sombres labyrinthes. Lorsqu’il rencontrait un serviteur, il se pressait de leur demander s’il avait vu le chien, mais aucun d’eux ne semblait l’avoir aperçu depuis des jours. En parcourant le château, Baltazar sentit que quelque chose d’anormal s’y passer. Premièrement, à cause de cette sensation que le couvrait sans cesse et qui lui donner envie de fuir. Deuxièmement par la frayeur des servants qui chaque fois qu’il arrivait à l’autre bout du couloir sursauter de craintes. Rapidement, la terreur disparaissait des regards, mais les personnes qui vivaient ici ne semblaient guère plus rassurées que lui. Après plusieurs allers-retours, il se résolut à rencontrer la princesse.

Baltazar la craignait. La folie n’était pas bon signe. Le démon avait la forte impression qu’il fonçait dans un piège et qui plus est lui était destiné. Suivant les dires des serviteurs, il se trouva devant une vieille porte décorée de fleurs d’or. Ses doigts parcoururent la surface lisse de celle-ci avant de frapper dessus. Après quelques minutes, une voix ensommeillée lui parvint discrètement de derrière la porte :

- Oui ?

Avec les festivités du rez-de-chaussée, Baltazar avait oublié qu’il se trouvait au beau milieu de la nuit.

- C’est au sujet de votre chien, lui informa le démon de façon méthodique.

- Vous l’avez retrouvé ? prononça doucement la princesse.

- Non, mais je le cherche activement. Je suis le valet du duc Liosan Ferl, récemment entré dans votre cour.

- Liosan Ferl ? Ce nom ne me dit rien… Et le vôtre ? questionna-t-elle.

- Je ne suis pas sûre que cela vous serve… je me nomme Baltazar.

Un silence plomba l’atmosphère. Le démon avait intentionnellement donné son nom. Le rêve, la pression de vouloir sortir de la dimension, ce lieu faisait partie de lui. Entre craintes et curiosités, Baltazar posa la même question en retour :

- Et vous ?

Le temps lui parut long. Aucune réponse ne parvint de la princesse. Baltazar hésita à partir ou continuer la discussion. La douce voix reprit en un chuchotement à peine audible :

- Je suis la princesse Ofelia de l’empire Libério.

- Mademoiselle Ofelia, je suis à la recherche de votre chien, Necati, reprit Baltazar. Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

- Necati ? Je… je ne l’ai pas vu depuis des semaines.

- Savez-vous où je pourrais le trouver ?

- Non…, hésita Ofelia. Monsieur Baltazar, votre voix m’est familière. Je ne laisse personne entrer dans mes appartements, mais… je tourne la clé, je la laisse sur la porte, vous la fermez derrière vous et vous me retrouverez dans mon jardin.

Baltazar se sentit en danger. Les seules personnes qui avaient reconnu son nom n’étaient que des démons et pour la plupart, il n’avait même pas cherché à connaître sa malédiction. Leur unique but avait été de le massacrer. Seul Hermine connaissait son pouvoir. Il ne se souvenait plus pourquoi, ce qui l’inquiétait davantage. La clé tourna et des pas précipités s’éloignèrent de la porte. Baltazar se rappela : il était faible, mais impossible à attraper. Il entra dans les appartements, ferma la porte et se mit en quête du jardin dans l’obscurité la plus totale.

Après avoir rencontré plusieurs meubles, il aperçut une fenêtre ouverte au bout d’une chambre. Un instant après, l’air suffocant et les odeurs de cendres empreignèrent ses narines. Au milieu d’un patio recouvert de poussières volcaniques, une femme de moyenne taille l’attendait. Ses yeux marron le fixaient étrangement. Son teint se faisait pâle. Ses cheveux chatain clair et lisse entouraient son visage. Ofelia lui était familière.

- Je jurais vous avoir déjà rencontré, répéta-t-elle. Mais je suis incapable de vous dire où…

Ses grands yeux l’observaient attentivement. Baltazar ne sut répondre de suite. Il garda un silence mystérieux. Il restait toujours sur ses gardes.

- Je… je perds la mémoire, avoua-t-elle, timidement. Mais certains souvenirs me reviennent soudainement. Vous… vous savez peut-être. Je cherche mon jardin.

- Votre jardin ? s’étonna le démon.

- Oui, il était quelque part par ici, mais impossible d’y retourner.

Baltazar observa les alentours sans pour autant y voir une quelconques fleur ou arbre.

- Les cendres du volcan l’ont sûrement recouvert…

- Tout le monde me le répète. Mais… je jure, qu’a une époque lointaine, j’ouvrais une porte et je retrouvais mon jardin.

- À une époque lointaine ? demanda Baltazar, étonné. Vous me paraissez jeune.

- Je… je voulais dire avant que je ne perde la mémoire…, se désola-t-elle. J’ai pensé que comme je me souviens de vous, vous pourriez me parler de l’avant.

- De l’avant ? continua à questionner Baltazar.

- De… Vous me prenez pour une folle, comme tout le monde dans ce château.

Baltazar fut surpris. La discussion qu’il avait avec cette femme était la plus intéressante qu’il avait eue depuis qu’il s’était réveillé.

- Je ne vous prends pas pour une folle, dit-il calmement. Qui avait-il avant ?

- Des fleurs, des arbres comme sur les tableaux des couloirs…Puis-je vous poser une question qui me taraude ?

- Allez-y, s'attarda Baltazar.

- Préferez-vous feindre qu'on vous a menti ou briser le miroir pour y voir...

Elle s’arrêta nettement. Son regard se flouta un instant. La terreur traversa son yeux clairs.

- Y voir ? demanda le démon

Elle reprit, prise de bégaiement :

- Je… je me souviens un peu de vous… Je me rappelle… Vous n’êtes pas un homme… bon. Ne… Necati !

Baltazar sentit un danger oppressant. En se retournant, il vit dans la sombre chambre, deux yeux brillants de rage. Des poils fins et noir de jais apparurent à la torche. Baltazar était l’intrus. Et Necati, le chien de garde de la princesse. Il devait sortir de cette dimension au plus vite.

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