La Poursuite
En un instant et d’une simplicité déconcertante, Balatzar se retrouva de nouveau au milieu des herbes folles de la dimension de Liosan. Il ferma les yeux rassuré, sentant le vent frais de l’hiver et l'odeur d’humidité lui collaient à la peau. Il l’avait su aux premiers instants où ses pieds avaient touché les cendres. La dimension était un puits de désespoir. Pourtant, il aurait aimé s’entretenir davantage avec la princesse Ofelia. Elle ne pouvait être qu’une démone. Neamoins, elle paraissait bien plus humaine que n’importe quelle entité qu’il avait rencontrée depuis son réveil. Il rouvrit les yeux sentant encore la sueur de la peur et des braises sur son visage.
Rapidement, il constata qu’il n’était pas seul. Dans la noirceur de la nuit, Necati n’avait pas bougé. Il grognait en bavant sur le sol, son pelage de jais recouvert de cendre. Baltazar jura. Il tenta de retourner dans la dimension des cendres pour le ramener à la princesse, mais ce fut impossible. Le chien de garde se jeta sur lui, le faisant tomber à la renverse dans le sable.
Le froid l’assaillit et le paysage végétal avait été remplacé d’une infinité de dunes. Baltazar se mit à courir pour fuir Necati qui venait de changer de dimension en même temps que lui. Le chien se mit à la courser. Le démon dérapa sur le sable, perdant une avance considérable. Necati bondit et referma sa mâchoire sur son mollet, faisant sombrer le démon, tête la première dans la neige.
Le chien ne lui laissa aucune chance de s’en sortir. Sa mâchoire fermement accrochée, le sang noir du démon coulait sur le sol blanc immaculé. Baltazar tenta de lui donner des coups de pieds, mais la douleur commençait à l’immobiliser. Le démon serra des dents. Il trouva un rocher qu’il envoya de toutes ces forces sur le canidé. Sonné, celui-ci lâcha quelques instants la jambe de sa victime, lui laissant le temps de volatiliser le décor une nouvelle fois.
La nuit chaude envahit le paysage. Le démon dégringola, surpris, d’un soudain dénivelé. Le chien fit de même, tout en essayant de rattraper sa proie. Baltazar tenta de se rattraper, mais une mine ouverte s’étendit devant ces yeux et bientôt… sous ses pieds. En une fraction de seconde, le vide devint l’océan.
Il sombra dans celui-ci voyant la surface lointaine au-dessus de sa tête. Pris de court, Necati en profita pour s’attaquer à son deuxième mollet quitte à le faire couler avec lui. Le sang envahit les alentours et de vils prédateurs dentés apparus dans les profondeurs. Baltazar tenta de toute ses forces de remonter vers la surface et anticipa un nouveau changement de dimension.
Rapidement, un bruit assaillit ses oreilles, si bien que Necati lâcha de suite la jambe de Baltazar. Ne voulant pas devenir sourd, ils retournèrent au beau milieu de la mine ouverte où des mineurs les observèrent, étonnés. À côté de lui, un projectile inconnu se planta violemment dans la roche. Quelques minutes plus tard, ils n’étaient plus là.
Le noir vint remplacer tout paysage. Une forte odeur minérale empreignit ses narines. Dans l’obscurité, il discernait les yeux ronds de colère et entendit les grognements sourds de l’animal. En un rien de temps, Baltazar se leva usant de sa jambe la moins atteinte pour se précipiter dans les boyaux des sous-sols. La fraîcheur des souterrains l’enveloppa. Il essaya de disparaître dans le labyrinthe de pierre, se cachait dans les boyaux de la terre, mais le canidé reniflé son odeur. Il l’entendait haleter dans son dos. Le cœur de Baltazar battait à tout rompre dans sa poitrine. Comme avait-il pu sortir de la dimension avec lui ? Pour le moment, voyager de dimension en dimension était dangereux en plus d’être inefficace. Au bout de quelques minutes, il trouva un vieil ascenseur, utilisé pour remonter les mineurs. Il boita jusqu’à la plaque de fer et tira sur l'une des cordes. À l’aide d’une poulie, il réussit à s'élever de quelques mètres. Le chien arriva se cognant dans les rochers et s’arrêta sous l’ascenseur surélevé. Baltazar sourit. Ce chien était peut-être coriace, mais cela restait un animal. Il se mit à grogner, bavant et tournant dans le noir. Baltazar ne prit pas plus de temps et partit vers la dimension des cendres.
Quelques instants plus tard, il se fracassa tombant au milieu de la mine sous le regards des ouvriers étonnés. L’un d’eux arriva vers lui :
- Vous allez bien mon garçon ? Vous avez dû faire une sacrée chute…
Il regarda le haut de l’ascenseur peu assuré. Baltazar souffrait énormément, mais Necati semblait avoir disparu. L’ouvrier pria qu’on le fasse remonter à la surface. Des hommes portèrent le démon. Quelques minutes plus tard, on le fit sortir des mines. L’odeur des cendres lui chatouilla les narines. Reprenant une partie de ses forces et de son esprit, il affirma qu’il pouvait marcher et qu’il allait mieux. On le laissa partir. Il se traîna dans les rues, les cheveux rempli de sable, trempé et poussiéreux, les mollets en sang. Sur le péron du chateau, il se présenta en tant que valet de Liosan Ferl, mais en vue de son allure, personne ne le laissa entrer.
Baltazar resta ainsi devant le château pendant des heures de souffrances. Au petit matin, le banquier sortit, accompagné de la femme voilée. Ils s’arrêtèrent devant lui le regardant de haut. Le démon souffrait, tentant de cacher la couleur noire de son sang. Mais cela était inutile, mêlé à la cendre, on ne pouvait voir la différence. Liosan s’adressa marquant sa voix par un dégoût profond :
- Je vous prie d’excuser mon valet. Il est écœurant de saleté.
- N’ayez crainte, mon duc, s’adressa joyeusement la femme d’affaires. Il a rencontré Necati, le chien de la princesse.
Plus faible que jamais, le visage Baltazar fut traversé d’un sourire malsain :
- Je ne suis pas sûre que la princesse ne le retrouve, un jour.
- Quoi ? s’étonna-t-elle. Je vous ai demandé de le retrouver. Pas de le tuer !
- Je ne les pas tué. Mais vous ne le reverrez pas de sitôt.
Masquée derrière le voile, la femme le regardait avec attention. Ses yeux le fusillaient de haine. Liosan reprit calmement.
- Ne vous offusquez pas, Madame Isciane. Mon valet est un incompétent, mais il retrouvera Necati et le ramènera à la princesse. Soyons-en sûres !
- Il a intérêt ! La princesse n’ose sortir de ses appartements sans son chien de garde.
La femme partit dans les avenues faisant claquer ses talons contre le sol de colère. Liosan ne lui accorda pas un regard.
- Mettons-nous en route !
Le démon peina à se lever et boitilla. Ils allèrent jusqu’à une impasse vidée d’habitants et rejoignirent les plaines vertes et hivernales de leurs dimensions. Baltazar s’écrasa au milieu des fougères. Liosan brisa le silence :
- Que vous a-t-il pris de faire disparaître le chien de la princesse ?
Le nez dans les herbes, Baltazar répondit faiblement :
- Je… le chien s’en est pris à moi.
- Bien sûr, c'est pour ça que je vous ai envoyé, s’énerva-t-il. Sinon, j’aurais réglé cette affaire moi-même. Madame Isciane m’avait informé du problème. Le chien effraye tout le monde. Il mord les serviteurs, défigure les nobles qui s’approchent trop près de la princesse. Lorsqu’il est là, la cour se fait calme. Lorsqu’il part, elle fête son absence. Mais sans la princesse les affaires sont bloquées.
Par fatigue, il se tut. Il avait vu la princesse, mais leurs échanges avaient été perturbés. Il n’y avait peu de doute quant au fait que c’était une démone. Liosan Ferl ne devait pas l’approcher. L’homme d’affaires reprit :
- Dans quelle dimension avez-vous envoyé Necati ?
Dans la confusion, Baltazar n’en avait aucune idée. Il haussa les épaules.
- Vous avez intérêt à vous souvenir et à le retrouver. De mon côté, j’ai effectué quelques recherches. Le volcan est en fusion depuis des siècles et les tableaux n’ont pas été changés sous la demande de la princesse. Je n’ai pas eu beaucoup d’information sur elle et je n’ai pas voulu exposer mon absence de connaissance sur le sujet. Les nobles investissent dans les mines. Certaines sont corrélées avec celle de cette dimension. D’autres non. J’ai d’ailleurs du mal à me rendre compte de ce qu’ils extraient. Il parle d’un cristal extrêmement rare. Il n’aurait trouvé qu’un seul morceau de cette roche en cent ans. Je crois d’ailleurs en avoir déjà entendu parler. À part cela, ils minent de la pierre, du fer, d’autres types d’acier et un peu d’or. Je vais d’investir dans ce commerce et partir à la recherche de ce cristal précieux dans les autres dimensions.
Il bailla en voyant le soleil se leva à l’horizon.
- Je rentre à Biloaï. Je compte rassembler une partie de mes investisseurs. Retrouvez le chien et revenez me voir au plus vite.
Le banquier l’abandonna sur les plaines fraîches, blessé, sale et à peine conscient.
Annotations
Versions