Confrontation Dimensionnelle

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Léontine avait réussi à trouver une position confortable au milieu des brins de paille de l’écurie. Alida s’acharnait à démêler les nœuds de la crinière d’un cheval qui rentrait d’entraînement. Depuis leurs excursions chez les Horla, des milliers de questions leur tournaient dans la tête, mais à part se remémorer en boucle des souvenirs troubles, elles n’arrivaient pas à avancer de leurs enquêtes. Alida répéta une énième fois la situation :

- L’invisible n’était pas sur la liste d’Aloïs, pourtant elle est allée en même temps que Peio à la villa de la Kiolasse. Et puis… il est tombé inconscient au milieu des festivités. Pourquoi y était-il allé ?

Léontine souffla d’exaspération. Elle avait cessé de se lamenter depuis qu’elle avait entendu parler de cette invitée. La jeune femme se sentait trahie par son mari et si cette femme était encore en vie, elle était prête à échanger des comptes avec elle.

- Pour voir de nouveaux visages, se rappela sombrement Léontine.

- De nouveaux visages ? s’étonna Alida. Ah oui… il avait commencé à agir bizarrement quelques mois avant, lorsqu’il avait commencé à t’esquiver sans donner d’explication. Ma mère avait même failli s’attaquer au médecin lorsque celui-ci lui avait dit qu’il avait trop bu à la soirée.

- Que pensait-elle à l’époque ? continua la veuve.

- Tu commences à bien la connaître. Qu’il avait des problèmes dans sa tête, des maux autres que la surconsommation d’alcool lors des vendanges.

- Elle n’avait pas tort.

Léontine ne voulait pas trop tomber dans les théories du complot, mais cette histoire avait trop de possibilités.

- Pourquoi est-il tombé dans les vapes ? fit Alida en arrachant une touffe de crin de l’équidé.

- Peut-être que c’était l’alcool ou l’invisible. Si elle était là, il y avait des chances qu’elle y soit pour quelques choses…

- Oui, de plus, la pauvre femme d’Aloïs m’a affirmé qu’il avait attaché la jument du Théâtre au milieu des montagnes et qu’il avait fini le chemin à pied. C’est ce qui avait dérangé Aloïs lors de leur première rencontre.

- Il ne voulait peut-être pas se faire reconnaître, supposa Léontine. Nous en avons déjà parler, mais Ghazi était soupçonné d’avoir brûlé une partie des récoltes des Horla. De plus, ce n’était pas un secret qu’il se marier avec moi, digne fille de Liosan Ferl…

Alida haussa les épaules. Leurs discussions tournaient en rond. Certains éléments se recoupaient, d’autres compromettaient leurs théories et l’invisible portait parfaitement son nom puisqu’elle ne laissait aucune trace sur son passage. Enfin presque :

- Je ne sais pas si ce sont les dires d’Aloïs qui commence à me rendre folle, commença Léontine. Mais j’ai la même impression que lui.

- Explique-moi, répondit Alida intéressée.

- Qu’elle était là sans pour autant qu’elle le soit… Je t’ai raconté l’histoire de l’île. Aslan a exprimé ses doutes sur les mystérieuses disparitions de Peio à la capitale. Et puis, il y a l’arrestation d’Aloïs. Je donnerai à parier qu’il ait dit « protège ton amie » avant d’être assommé, à l’identique de ce qu’il a dit dans ses folies : que cette invisible était en danger à cause des démons. Je n’aurais pas dû écouter mon père, mais un soir, je l’ai d'ailleurs entendu dire le mot démon.

Alida réfléchit un instant.

- Il est normal que ton père soit en conflit avec l’invisible si Peio et Aloïs tourné autour.

- Mon père parlait de démons qui lui feraient obstacle. Si les démons veulent tuer l’invisible, que mon père à la même volonté et qu'ils sont des obstacles pour lui, dans quels camps sont-ils ? Et que sont-ils ? Des légendes ? Un groupuscule, peut-être ? Cette histoire tourne en rond, je n’en peux plus !

Elles restèrent un instant dans un silence empreigné de réflexion et de cerveau en fusion. Des petits pas pressés vinrent briser leurs enquêtes. La mère de Peio entra dans les écuries et écarquilla les yeux en voyant Léontine allongée dans la paille.

- Que faites-vous là ? Il faut vous lever. Alida, aide-moi !

À contrecœur, Léontine se fit soulevai et sentit ses jambes fourmillaient au contact du sol. Sous les milliers de remarques de la comédienne, quelques-unes firent siffler ses oreilles :

- Votre père est rentré de ses affaires, s’empressa-t-elle de dire. Il vous cherche pour vous dire qu’il organise des festivités avec ses investisseurs des empires voisins. Il est venu ce matin au Théâtre pour assister aux entraînements et a été ravi des prestations des acteurs…

Léontine n’écouta que d’une oreille. Elle envoya des regards discrets de supplices à Alida qui réussit à la faire sortir du Théâtre.

- Désolée de t’avoir fait subir la tempête de remarques de ma mère, rigola Alida.

Elles se mirent à marcher dans les rues fraîches de Biloaï. Léontine se sentait épuisée.

- Mon père est revenu. Il est bien le seul à avoir le cœur à festoyer avec ses associés.

- Léontine ! Dans toutes les tragédies, l’argent mène au pouvoir. Les personnes qui seront là demain soir seront liées à l’argent de Liosan. Tu pourrais essayer de soutirer des informations, non ?

La jeune veuve sourit :

- Tu n’as pas tort ! Cela me donnera de l’intérêt à rester éveillé durant ces interminables soirées.

Elles échangèrent un regard complice.

- Tu veux que je te raccompagne chez toi ? demanda Alida avec parcimonie.

- Non merci, Alida, je suis à quelques rues du manoir.

Les deux jeunes femmes se dirent au revoir. Léontine s’enfonça dans les allées sombres. Les nuages gris commençaient à parsemer l’après-midi. Les ruelles se faisaient vides. Elle glissa entre les maisons rapidement, pressée de se reposer au chaud dans les vastes salons du manoir. À quelques pas de la petite place, un léger bruit l’interpella. Cela ressemblait à un grognement faible. Inquiétée, elle fouilla les rues sombres avant de fixer son regard sur une masse informe. Elle s’en approcha lentement et découvrit un chien noir de jais. À sa vision, celui-ci tenta de se lever et d’aboyer, mais il semblait faible et blessé. Avec lenteur, Léontine s’approcha présentant sa main en signe d’amitié. Le canidé émit des grognements rauques et puissants, mais au vu du sang collait et emmêlé dans ses poils, il se trouvait non loin de rendre l’âme. Après une hésitation, Léontine prit son courage à deux mains et posa ses doigts sur le pelage sale et poussiéreux de l’animal. Elle tenta de le calmer et de le soulevai pour le mettre sur ses deux pattes. Après quelques minutes, Léontine réussit à le poser sur ses coussinets tremblants et meurtris. Doucement, elle chuchota à son oreille :

- Je n’habite pas loin. Je vais t’amener chez moi.

En le tenant par le col, elle l’invita à le suivre. Le chien couleur jais avança doucement avec elle jusqu’au manoir. Léontine entra à l’intérieur en faisant attention à ne pas croiser ni serviteurs ni son père. Liosan craignait les animaux. Surtout ceux pouvant se montrer agressifs. Elle n’avait jamais compris comment un homme d’affaires aussi prestigieux que lui pouvait avoir peur de petite bête sans défense. Silencieusement, elle accéda à sa salle de bain et commença à le brosser et à laver ses plaies. Le contact de l’eau le réveilla un peu. Après avoir grognait quelques fois, il se calma. Il sembla s’endormir lorsque Léontine prit difficilement sa douche pour se réchauffer. En voyant le chien reprendre des forces, elle se sentit satisfaite. La veuve l’emmena dans sa chambre et la verrouilla en espérant qu’il ne fasse pas trop de bruit. Elle s’endormit, épuisée par sa journée, sur son lit.

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