Le Tribunal

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À l’arrivée du soleil, le regard de Peio scruta la cité submarine. Larialle avait été construit au milieu de la faille, à un endroit où le détroit se faisait plus large. Au centre, des centaines de navires s’accostaient sur des pontons, à l’abri des vagues du grand océan. Quelques marchés prenaient place sur les navires et les passants se baladaient ainsi de bateau en bateau dans les premières lueurs de la matinée. Des escaliers avaient été taillés dans la pierre et permettaient de monter sur les hauteurs. Un marin lui avait expliqué que les commerçants s’abritaient dans leurs navires et que les riches habitants de la cité construisaient des villas sur les montagnes. De là-haut, la vue devait être magnifique. Les plaines étaient peut-être le seul endroit de la dimension où l’herbe était rase et les terres cultivables. Dans la jungle, les pirates et pauvres habitants chassaient et mangaient les fruit des arbres. Ici, l’alimentation semblait être plus saine, sans vers et les maladies ne tuait que peu les Hommes. La capitale était somptueusement organisée.

L’Historien repéra une impressionnante bâtisse en forme d’arche surplombant la faille et formant une sorte de pont qui reliait les deux versants du canal. La voix froide de Cyrille se fit discrète derrière lui :

- C’est le palais du Prince Lars. C’est aussi l’un des plus grands lieux de cultures du monde. Des milliers de livres y sont entassés, certains datant de plusieurs siècles.

Peio ne répondit pas. Pourtant son savoir d’historien semblait l’attirer vers ce lieu. La jeune femme ordonna à ses marins de plonger l’encre et d’accrocher le navire. La manœuvre fut compliquée, mais elle s’effectua sans encombre. Bientôt, ils posèrent pied-à-terre. Cyrille se sentait épiais. Il fallait agir rapidement, vendre les objets et récupérer l’argent pour rembourse ses dettes. Ses yeux balayèrent le port nerveusement puis fixèrent Peio qui semblait prendre du bon temps.

- Maître Peio, s’adressa-t-elle avec le ton le plus professionnel possible, nous ne devrions pas tarder. Je connais des clients, de très bons acheteurs qui pourraient nous faire un bon prix. Nous devons prendre les escaliers-est et marcher quelques minutes le long des côtes.

Celui-ci ne fut guère pressé. L’historien récupéra les objets avec précaution en faisant attention de ne pas en endommager un seul. Cyrille garda sa colère pour elle. La vendeuse venait à se demander s’il ne le faisait pas exprès à cause du fait qu’elle avait refusé ses avances. À deux, ils traversèrent les pontons de bois, gardant un œil sur chaque marin et capitaine. Cyrille avait l’impression que tout le monde l’épiait. Elle ne supportait pas ce sentiment qui la recouvrait. Elle tenta de le mettre de côté en se disant qu’elle serait bientôt riche. Ils gravirent les nombreuses marches de pierre. Le soleil se cachait derrière les nuages, pourtant l’air ambiant de faisait lourd et humide. La sueur empeigna leurs vêtements. Ils firent une pause au bout de centaine de marches gravies. Cyrille regarda l’horizon et visualisa l’un des impressionnants navires de la garde se dirigeait vers une brèche dans la roche. Il amenait les prisonniers jusqu’au tribunal.

***

Ozanne sentit la froideur des souterrains l’envelopper. Le navire s’enfonçait dans les montagnes. Autour d’elle, une grotte semblait avoir été creuser des années auparavant. De la petite fenêtre de se cellule, elle voyait la pierre lisse du boyau sombre éclairé par de faibles lueurs du soleil. Son cœur se serra. Les événements risquaient d’être funèbres. Dans la pénombre de la prison en face d’elle, un homme pleurait. Ozanne tenta de converser avec lui :

- Prisonnier, où allons-nous ?

L’homme ne sut répondre. Ses sanglots l’empêchaient de prononcer des mots compréhensibles. Une voix sombre lui répondit un peu plus loin :

- Vers la mort…

Ne pouvant le discerner, Ozanne se douta qu’il s’agissait d’un vieil homme. Elle tenta d’en savoir plus :

- C’est-à-dire ?

- Vers le tribunal, jeune fille, répondit-il dans un souffle. Mais personne n’y réchappe, si bien qu'aucun prisonnier ne sait ce qu’il s’y passe.

Ozanne sentit son cœur battre. Dans les plaines gelées, elle avait échappé à de nombreux périls dont beaucoup d’aventuriers étaient morts auparavant. Mais par ici, elle ne savait si elle pouvait en réchapper. Le navire s’arrêta et des gardes arrivèrent, détachant leurs menottes et les acheminant dans d’étroits boyaux de pierre. La jeune femme scrutait chaque détail de ce qu’il l’entourait, mais l’endroit avait été conçu pour que personne ne puisse faire marche arrière. Le temps lui parut interminable. Au bout de nombreux couloir, on la fit s’asseoir au milieu de dizaines d’autre meurtriers, des voleurs, des violeurs et toutes sortes de criminels. Certain était fou et criait, voire essayait de frapper sur les autres. Quelques-uns pleuraient face à la sentence qui ne semblait guère accueillante. Comme l’avait dit le vieil homme, personne ne revenait. Il y avait de fortes chances que ce tribunal soit sans merci. Un garde arriva et s’écria dans la foule :

- Numéro 308 !

Le cœur d’Ozanne se serra. Elle se leva sans montrer d’émotion et avança vers le garde qui s’empara brutalement des menottes pour la faire avancer rapidement. Elle s’était imaginé mourir de nombreuse façon, mais juger à mort ne faisait pas partie de celle-ci. Alors qu’elle avançait dans la grotte, elle commença à haïr Peio de l’avoir piégé. Sa haine se faisait telle que quand elle arriva devant les juges, sa colère se lisait dans son regard bleuté. Les hommes et femmes de justice s’habillaient d’une longue cape. Ils se trouvaient sur un promontoire fermé de solide grille. L’endroit était sombre, éclairé de quelques torches. Ozanne se retourna pour comprendre ce qu’il se passait. Elle reconnut parmi les juges, la femme qui l’avait envoyé ici. Celle-ci la scrutait avec intérêt sans pour autant prononcer quelque chose. Ozanne tourna autour d’elle et vit des taches de sang effacées sur la pierre. Elle serra les dents en tentant de décrocher les menottes sans succès. Une voix résonna derrière une grille de l’autre côté de la pièce :

- Nous sommes prêts !

- Ouvrez la porte, répondit l’un des juges.

Un grognement profond provint des profondeurs. Deux yeux ronds apparurent à l’autre bout de la grande pièce. Ozanne sentit son cœur battre à tout rompre. Son pelage noir brillant, sa mâchoire colossale et sa taille impressionnante ne pouvaient qu’être l’animal que transportait Holi Hop dans son navire, celui qui brisait les os et le fer. Le tribunal envoyé les condamné seul, attaché et sans arme face à un prédateur qui pouvait les tuer un coup de patte. Sans même parler de la capacité de leurs griffes à déchiqueter l’écorce des arbres ou la chair de ses adversaires. Ozanne se retourna vers les juges qui semblaient noter l’attitude de l’animal. Celui-ci avança doucement en grognant, dévoilant ses dents tranchantes.

Profitant de sa petite taille, Ozanne réussit à faire passer ses jambes dans les creux de ses bras et ainsi ses mains menottées se trouvèrent désormais à l’avant de son corps. Elle se prépara à esquiver si celui-ci venait à charger. La jeune aventurière se dit de suite que cela n’était pas plus impressionnant qu’un hui de sa dimension et que même si sa dernière rencontre avec un animal de ce type s’était fini dans une explosion terrible, elle pouvait se défendre face à ce prédateur. Voyant que son adversaire semblait méfiant, l’un des juges s’adressa à Ozanne :

- Sujet numéro 308, veuillez-vous rapprocher du tracho.

La jeune femme ne comprit pas. Il voulait qu’elle se jette sur le prédateur. Voyant qu’il n’y avait rien d’autre qui pouvait porter un tel nom dans la pièce, elle usa un peu de sa langue pour s’exprimer :

- Pourquoi me jetterais-je dans sa gueule ?

- Votre mort nous garantira que vous n’êtes pas maudites. Si l’animal se méfie, c’est que l’hystérique vous contrôle et si c’est le cas vous serez condamné à mort.

Ozanne sourit sombrement. Ce tribunal semblait bien rodé. Cette règle aurait pu être de celle de sa dimension. Mourir sous les coups du tracho, prouve qu’aucun démon n’a fait de pacte, mais l’instinct de l’animal qui le pousse à fuir, mène vers la mort du prisonnier. Il n’y avait aucun moyen de s’en sortir. Baltazar avait raison lorsqu’il lui avait annoncé que le pouvoir des démons traversait les dimensions. La peur du feu, l’agressivité face aux Hommes et la peur des démons faisaient partie de l’instinct qu’Hermine leur avait insufflé. Celle-ci n’avait pas fait de pacte avec elle, mais ce sera Agatha qui allait lui faire perdre ce duel. Quant au pacte de Baltazar, il était si faible que même Sig n’avait pu sentir sa présence en elle. Son cœur se serra. Pour ce qui était de l’hystérique, elle ne la connaissait pas, mais elle parierait fort qu’elle causait pas mal de trouble dans les environs. Ozanne se mit droite et fixa des yeux le tribunal :

- Et si je tue l’animal ?

- Vous serez jugé de dangereux pour notre société et condamner à mort.

Ozanne n’avait pas prévu de mourir devant un tribunal, mais face à un dangereux adversaire, cela lui plaisait davantage. Son côté combatif refit surface, elle s’adressa à haute voix :

- Alors, Messieurs, Mesdames, profitez bien de ce spectacle !

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