Le Quatrième Amendement
Elle s’élança dans l’arène vers le tracho qui de suite se mit sur ses gardes. L’animal, vif malgré son lourd poids sauta vers la jeune femme. Ozanne esquiva ses griffes de justesse se retrouvant dans le dos du prédateur. Cette technique marchait sur les hommes, comme sur les animaux. L’arrière était bien plus vulnérable. Sans réfléchir aux conséquences, elle s’élança sur le dos de l’animal et s’y accrocha dessus de toutes ses forces. Le tracho feula brutalement, essayant de se rouler pour écraser son assaillante. De son côté, Ozanne roula au sol, esquivant une nouvelle fois un coup hasardeux de l’animal. L'aventurière jura à voix haute. Son souffle se faisait ténu et ses cotes endolories lui brûlaient. Une douleur battait brutalement dans sa tête. Elle tenta de reprendre son souffle. Le prédateur restait méfiant. Chaque coup avait été de l'ordre de la défense. Les juges l’avaient d’ailleurs compris et s’agitait, inquiet dans son dos.
- Faites rentrer le tracho ! s’écria l’un d’eux.
- Non !
Ozanne se jeta une nouvelle fois sur le prédateur. Elle ne voulait pas finir tuée par les mains des Hommes. La mâchoire d’un animal était bien plus noble à ses yeux. Quelques instants plus tard, elle se retrouva sur le sol. Son sang serpenta sur la pierre. Un violent coup de patte l’avait pris de court, portant atteinte aux nombreuses fractures qui avaient été mal soignées. Après tout ce qu’elle avait vécu, elle faiblissait. La voix d’un juge répéta l’ordre :
- Faites rentrer le tracho !
Le prédateur grognait de colère. Des gardes tentèrent de calmer l’animal, mais celui-ci sautait, esquivant les cordes et les lances pointaient vers lui. Ozanne entendait des bourdonnements dans ses oreilles, pourtant elle jura que les juges s’échangeaient des mots, inquiets. Un événement vint briser leurs conversation. Un garde qui s’apprêtait à récupérer les restes d’Ozanne fut projeté de l’autre côté de la caverne. Le tracho incontrôlable prit refuge auprès d’elle, protégeant soudainement la jeune femme.
- Que se passe-t-il ? fit un garde énervé.
Dans le désordre, une voix rieuse ramena le calme :
- Il semblerait que le sujet numéro 308 rentre dans la quatrième catégorie de prisonniers.
L’un des juges s’énerva.
- Mon prince, nous ne vous faisons pas confiance. L’animal était méfiant avant que les gardes ne l’arrêtent. L’hystérique est de retour. Elle a pu s’accaparer de l’esprit de l’animal et du vôtre. Vous n’avez aucun droit dans ce tribunal.
Le prince Lars assis à l’écart secoua ses mèches blondes et bouclées. Il tapota d’un sourire sur un immense livre.
- Ce n’est pas moi qui vous l’ordonne. C’est écrit noir sur blanc dans le manuel et vous le savez bien. Si l’animal protège le prisonnier c’est que son cœur est pur et qu’il est jugé apte à liberté. Ce manuel a été écrit il y a quatre cents ans et reprend point par point la méthode du tribunal.
- Nous pouvons faire une dérogation, intervint la juge qui avait amené Ozanne jusqu’ici.
Un homme âgé se gratta sa barbe en cachant son désappointement.
- Plus nous poserons de moratoires, plus ce tribunal sera biaisé et nous le savons tous. Nous sommes tous conscients du problème. Je vous invite à voter. Qui pense que le tracho ne protège pas le sujet numéro 308 ?
Malgré que le dangereux prédateur se fût allongé auprès d'Ozanne et grognait sur les gardes qui tentaient de s’approchait, une partie des juges levèrent la main. L’homme reprit :
- Et qui pense qu’il la protège et qu’elle mérite la liberté ?
La majorité l’emporta. Le prince suivit la cadence, ce qui valut des indignations dans le tribunal. Le vieux juge finit :
- Prince Lars, vous n’êtes pas en droit de voter dans le tribunal, ni dans aucune autre situation par ailleurs. Je déclare, par le quatrième amendement de la Justice, cette femme libre ! Croisons les doigts pour qu’elle ne soit pas maudite… Et enfermez-moi ce tracho, nom d’un guilio !
***
Pendant ce temps, Liosan s’était vêtu de son épais manteau de cuir. Sa main caressait sans peur le museau fin et recouvert d’écaille de l’immense animal. Le dévoreur de Démon ouvrit les yeux soudainement.
- Duc Liosan, cela n’a pas été simple, mais le jugement a prôné pour la liberté d’Ozanne. Sans l’aide du prince, le tribunal se serait passé de cette vieille loi. Je n’ai pas senti les malédictions d’Ezyld sur elle.
L’homme d’affaires garda une expression neutre. Il détacha ses mains du museau de l’animal et la questionna :
- Vous souvenez-vous comment les lois du tribunal avait été instaurée ?
- Non, répondit-elle d’une faible voix.
Il acquiesça d’un air méprisant. Aussi impressionnante qu'était Hermine, elle se faisait incroyablement maigre. Son corps écaillé était barbouillé de boue et de poussière. Dés qu’elle eu fini sa mission, ses liens faits de racine se resserrèrent puissamment autour d’elle.
- Vous ne tiendrez pas votre promesse, se douta-t-elle.
Liosan s’éloigna de la grotte. À l’extérieur, la ville détruite de Biloaï s’étendait devant ses yeux.
- Non, affirma-t-il.
- Sachez, duc, que lorsque je me libérerais, j’insufflerais la haine dans les animaux des dimensions qui m’était inconnue. La vôtre y comprise !
Le banquier sourit d’un dégoût prononcé :
- Je ne tiens paroles qu'a ceux qui la tienne en retour. Ozanne a gaspillé sa vie pour que vous sauviez les Hommes, mais vous êtes comme les autres. Vous nous préférez morts. Je vous aimais davantage lorsque vous étiez sous la glace.
- Croyez-le ou non ! J’ai essayé de faire le bien, mais les Hommes sont des êtres vils, indignes de nous.
L’homme d’affaires sourit et se dépêcha de retourner dans sa dimension, delaissant Hermine à ses liens. Baltazar ayant disparu, il n’avait pas la moindre envie de s’y retrouver enfermé…
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