Des Masques sous les Masques

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Du haut des sommets de Larialle, Cyrille, apeurée, passa un chiffon sur la sueur qui coulé de son front. Peio avait passé la matinée à se moquer d’elle. La vendeuse avait proposé ces objets à nombreux de ses anciens clients, mais celui-ci n'avait pas cesser de répéter qu’il n’était pas assez riche et connaisseur pour de tels objets. La lourde chaleur lui donnait des nausées, à moins que ce soit toujours cette impression d’être suivi, ou celle de s’être fait berner. Ils s’assirent le long de la côte pour se reposer un peu. Elle avait pris dans un sac quelques restes de fruit et de poissons séchés qu’elle proposa à Peio. Cyrille commença maussadement une conversation :

- Je ne sais pour quelle raison vous l’avez fait, mais si vous vous êtes servis de moi pour rejoindre la capitale, je préférais que vous me le disiez plutôt que me faire courir des risques pour rien.

Peio la regarda, étonné :

- Non, je ne vois pas de quoi vous parlez. Je suis un historien de pair. Je veux juste que ces objets aient les propriétaires qu’il mérite.

- Mais ma liste diminue, dit-elle, exaspérée. Ce sont des nobles, certes peu renommé, mais ils ont de l’argent. Vous ne leur aviez même pas laissé le temps de toucher les objets. Ce n’est pas ce qui était prévu.

Peio se gratta sa barbe brune et bouclée qui continuait à prendre du terrain. D’un air réflexif, il continua :

- Je voudrais qu’il soit plus considéré comme des objets à conserver plutôt que de vulgaires reliques rangées dans un coin oublié de leur maison. Nous ne pouvons pas monter de gamme ?

- Les nobles les plus riches ont du pouvoir et beaucoup d’entourages. Je ne suis pas très bien vu par ici, lui rappela la jeune femme.

- Oui, mais justement. Nos objets ont marqué l’Histoire et les Hommes de pouvoir. Ce sont ce genre de client qui achèteront le plus cher.

Cyrille hocha difficilement la tête. Si elle avait été sûre de la valeur de ses objets, la vendeuse aurait peut-être franchi le seuil des plus grandes villas de Larialle avec confiance. Mais, désormais, elle avait perdu un peu de foi en l’historien. De plus, son regard s’était laissé porter sur les nouvelles du jour et le visage de son ancienne capitaine au côté d'accusation a propos de l’hystérique l’avait laissée un peu inquiète. Cyrille aurait transporté ce mal jusqu’à la capitale ?

À l’époque de la crise, elle avait déjà quitté Larialle et n’avait pas subi beaucoup de dommage de cette force sombre. Elle n’avait d’ailleurs pas beaucoup regardé les nouvelles à ce propos. Une lettre venant d’un vieil oncle lui avait seulement indiqué que le mari d’une de ses cousines avait été atteint. Il était placé à l’époque à la banque et aurait soudainement volé des pièces d'or en pleine nuit pour achetait tout ce qui lui passait sous la main. Dans ses souvenirs, il était bon employé, mais le tribunal avait jugé de sa culpabilité et, comme un bon nombre de noble et bourgeois sous les charmes, on l’avait condamné à l’exil dans les forêts. Malheureusement pour lui, elle n’avait pas eu le temps de le récupérer là où on l’avait déposé car la faune locale n’avait rien laisser de lui. Les journalistes avaient été écartés de ce drame, car les nombreux exilés de la haute société étaient pratiquement tous morts, certains avaient été capturés par des pirates et d’autres avaient réussi à garder contact avec des associés de la capitale qui les utilisait comme pied à terre pour la contrebande.

Même si Cyrille était naïve et désespérée, elle n’était pas née de la dernière pluie. Elle savait que si l’hystérique était dans son navire, Peio était de ceux qui avaient été maudits. Ses réactions étaient de plus en plus étranges et elle avait été une parfaite mule pour lui permettre de rejoindre Larialle. Depuis, elle cherchait méthodiquement un moyen de le jeter d’une falaise, mais cela n’était pas simple. Il marchait le plus souvent loin du vide et était plus imposant qu’elle. La vendeuse n’aurait aucune chance s’il venait à comprendre. Elle remerciait les années de renfermement sur elle qui lui permettait de feindre sa peur.

Dès qu’ils eurent fini leur repas, Cyrille s’adressa d’un ton platonique :

- Nous allons continuer vers l’arche du Prince. Nous avons quelques marches à monter avant d’atteindre nos prochains clients.

Elle réfléchit un instant en regardant sa liste, puis reprit :

- Je me permet de passer à mes contacts les plus délicats, mais aussi les plus aisés. Je suis épuisée et je voudrais retourner au navire.

Peio lui sourit chaleureusement et la remercia d’un geste de la tête. Cyrille se mit débout en se pinçant les lèvres. Les nobles chez qui ils se dirigeaient ne faisaient pas partie de sa liste, c’était même ceux en qui elle avait le moins confiance, mais s’il y avait un endroit où elle pourrait agir, ce serait là-bas.

Ils se remirent en route, gravirent encore des escaliers et se présentèrent devant une bâtisse en suspension dans le vide. La villa appartenait à une famille caractéristique de Larialle. Les Hajouack étaient de grand investisseur du Royaume. Le père était l’un des conseillers du prince et les fils travaillaient dans les navires de pêche qui nourrissaient la capitale. Il y a quelques années de ceux-là, une partie de leur bâtisse à sombrer dans la mer. Pour ce qui était du reste, ils prirent soin de consolider la base à la roche et d’y aménager de nombreuse terrasse pour recevoir leurs amis, leur concurrent ou leur collaborateur. Cyrille frappa à la porte en attendant qu’un domestique lui ouvre. Elle fut surprise de voir que c’est l’un des fils qui apparut derrière la porte :

- Mademoiselle Cyrille Disganti, en voilà une surprise. Entrez donc !

Le jeune homme les invita joyeusement, pourtant son air se faisait sarcastique. Cyrille ne savait comment s’y prendre. Celui-ci reprit :

- Vous semblez toujours aussi heureuse de vivre. Vous retournez à la capitale ?

La vendeuse hocha silencieusement la tête. L’intérieur de la bâtisse était joyeusement décoré de châle de toutes les couleurs à l’image des maisons traditionnelles des nobles de Larialle. Ils atteignirent le troisième étage de la villa en quelques minutes. Avant de rentrer sur l’une des terrasses, le fils Hajouack s’exclama :

- Mon père vous attendait. Nous avons eu des messages de nombreux de vos anciens clients se plaignant de votre historien. Vous devez être désespéré pour venir nous voir si vite.

Désespérée, Cyrille l’était, prête à vouloir jeter dans le vide Peio à tout moment. Qu’elle naïve était-elle ! Le but de l’hystérique était simple : atteindre le prince. Les Hajouack étaient des cibles parfaites et l’historien arborait un sourire débordant, ouvrant ses yeux pour retenir le moindre détail. Ils entrèrent sur la terrasse vertigineuse.

Le père sourit légérement sous sa broussailleuse barbe.

- Mademoiselle Disganti ! Que me vaut votre présence ?

Elle salua respectueusement la famille qui prenait du bon temps. Peio fit de même et déposa les objets sur la table. La vendeuse s’exprima d’un ton professionnel :

- Monsieur Hajouack, je viens vous proposer des reliques. Mon maître historien les a analysées et les a jugées d’une excellente qualité et d’une Histoire d’exception. Je vous connais, vous êtes un fervent admiratif des objets de grande valeur.

Le père prit soin de les analyser un par un. Quelques minutes de silence accompagnèrent sa réflexion. Son sourire ne le quittait pas. Cyrille observa Peio d’un coin de l’œil. Il se déplaça le long de la barrière et s’y adossa, dos au vide. La jeune femme se tint prête. Les Hajouack avaient subi la crise de plein fouet lorsque leur fille avait tenté d’utiliser des explosifs sur la chambre de commerce ce qui aurait valu de détruire le port de Larialle. Ils avaient été les plus impacté par l’hystérique. Le conseiller leva la tête en gardant son air mesquin :

- Vous dites historien, que vous vous y connaissez en objet ? Parlez-moi de vos études, de votre parcours !

Peio sourit :

- Monsieur Hajouack, j’ai effectué mon parcours d’apprentissage sur l’Histoire dans ma ville natale, à Kiiroä.

- Au monastère de Kiiroä ? demanda, surpris, le conseiller.

Cyrille ferma les yeux. Dans un premier temps, elle ne lui avait pas dit le nom de la famille et de plus, il était impossible qu’un homme comme Peio vienne du monastère. C’était une académie renommée dans tout le continent, prestigieuse et coûteuse. L’historien acquiesça.

- Comment vous êtes-vous retrouvé à travailler avec mademoiselle Cyrille ? continua le conseiller

- Un heureux hasard, fit-il en souriant.

La femme du conseiller qui prenait du bon temps en sirotant un cocktail le fixa. Un sourire traversant ses lèvres :

- Mais vous ne le reconnaissez pas, mon cher ? Il a les traits d’un Jurill. Je me trompe ?

Peio dévoila ses dents, face à la bonne humeur qui se contagiait sur la terrasse :

- Tout à fait ! Je suis Peio Jurill !

Cyrille se sentit des plus mal. Sans même avoir subi les effets de l’hystérique, son esprit s’embrouillait. Elle dévisagea son historien. La barbe et les yeux marron lui rappelèrent les Jurill. Cette grande famille était des érudits, tous convertis dans des études poussées qui les avaient menés vers de multiples découvertes. Comment un homme comme lui s’était-il retrouvé sur le navire d’Holi Hop ? Elle se retraça les évènements dans sa tête. Peio lui avait menti et mené à se ridiculiser. Néanmoins, il ne s’arrêta pas là :

- J’ai été envoyé par mon père pour mettre la main sur les contrebandiers et enchérisseurs qui se font de l’argent sur l’honnêteté des nobles. Vous serez surpris de ce que Mademoiselle Disganti commet pour se faire de l’argent ? Elle envoie des esclaves dans les profondeurs des eaux. La plupart finissent mangés par les encérodes. Elle n’a aucun cœur et mérite que le tribunal s’en occupe ! Je suis désolé de vous ramener ce genre de problème, mais je craignais que des clients moins puissants ne la laisse s’enfuir, se serait bien dommage.

Cyrille ne sentit plus ses pieds. Qu’il soit sous l’emprise de l’hystérique ou qu’il est mené un double jeu, plus rien de l’importait. Elle voulait sa mort.

- Comme son père et sa mère ! répondit Monsieur Hadjouack.

N’en pouvant plus, elle se précipita vers Peio, prêt à le faire passer par-dessus la barrière. Un choc brutal l’assomma avant qu’elle puisse agir.

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