Matériaux Brutes
- Vous avez été au bon endroit et au bon moment. Néanmoins, chacun de vos pas n’ont toujours été qu’échec.
Les mots résonnaient dans sa tête, répétant en boucle les deux mêmes phrases, les confondant, les chuchotant ou les criant et se mêlant dans des dizaines de voix déshumanisée. Une noirceur l’enveloppait de part et d’autre et une odeur minérale faisait frémir ses narines. D’un seul coup, les paroles se perdirent en échos et un silence de mort régna. Ses pas frappaient sur le sol de pierre. Il sentait sa main fermement accrochée à une pioche. Il frappa contre un rocher sans pour autant parvenir à voir les alentours. Ses yeux épuisés n’avaient plus vocation à voir, ses oreilles sourdes à entendre. Tous ses sens restaient azimutés pour que seul le coup de la pioche sur la pierre soit maître de ce qui se passait dans les profondeurs de la terre. Pourtant le sol grondait, son monde s’exprimait faisait frémir la pierre, laissant divaguer des brèches quelques effluves de souffre mortelle, et la chaleur… suffocante, étouffante. Dans la mine, il n’y avait plus des hommes, mais des ombres fondues dans l’Ombre, fondant l’acier, fondant l’air empestant de leur outil.
Ce jour-là, une lumière traversa l’Ombre. Une étincelle aurait pu suffire. Les bêtes des profondeurs craignaient le feu et savaient travailler dans l’obscurité. Cela aurait pu être un étranger des grottes voulant retrouver le soleil. Une étincelle suffit pour que l’air s’enflamme. Le silence se remplaça par un tonnerre brutal, réveillant le monstre assoupi. Des explosions avaient secoué les murs de pierre, dévoilant davantage le souffre mortelle, laissant la chaleur du feu enflammait les installations, faisant fondre l’acier, fendant les ombres parmi l’Ombre qui n’était plus.
- Je n’étais ni au bon endroit ni au bon moment. J’étais là où j’avais toujours été. Je n’ai fait que rester dans l’Ombre.
Sa voix résonna sous la voûte de pierre. Il voulait comprendre, mettre un mot sur sa douleur. Il s’accrocha de toutes ses forces à ce qui l’entourait, mais le monde s’y dérober. Le mineur cria de toute ses forces :
- Mon pas son échec, car j’ai quitté mon Ombre !
Le rêve brutal se dissipa et Baltazar ouvrit les yeux. Son cœur battait à tout rompre. Ses narines étaient emplies de poussière et une pellicule de cendre le recouvrait. Non loin de lui, un chariot s’était arrêté. Un vieil homme descendit et se dirigea vers lui d’un sourire jovial :
- Vous allez bien, mon garçon ? demanda-t-il.
Baltazar acquiesça de suite. À la différence des autres dimensions, le démon n’était pas mal vu. Son teint blafard et ses yeux rouges étaient communs à cause des maladies et même son sang noir n’inquiétait personne lorsqu’il se trouvait sur le sol de cendre grise. Le vieil homme l’aida à se relever et lui proposa de monter dans son chariot. Étant à bout de force, il se laissa guider et poser sur la charrette au milieu d’une ribambelle d’enfants. L’entité se hissa pour pouvoir parler à son sauveur et à sa femme qui tenait les rênes d’un vieux cheval :
- Où allez-vous ? dit-il d’une voix rauque.
- Vers la capitale, répondit la vieille femme, épuisée. Notre village a été saccagé par des bandits. Nous avons récupéré le plus d’enfants possible et avons pu nous enfuir avec la carriole.
- Les villages des environs ont été écrasés à cause des chutes de pierre et les pluies acides ont brûlé nos récoltes, commenta l’homme qui l’avait aidé. La situation n’a jamais été aussi critique. Vous n’êtes pas le seul à fuir et à cauchemarder de l’Ombre.
Baltazar se sentit pris de court. Son cauchemar lui était brumeux pourtant ce mot lui fouetta l’esprit. Il sentait son cœur lourd et la nausée lui montait. Depuis qu’il s’était écarté de Liosan, il errait. L’homme d’affaires le détestait, mais l’aidait énormément. Sans lui, sa vie n’était qu’un brouillon de souvenir brutal, sans sens et il lui devenait difficile d’utiliser ses malédictions, comme si la folie des démons le rattrapé. Le banquier savait s’y prendre. Il lui donnait des objectifs bien précis, lui confiait parfois de vieux objets qui débloquaient des portes dans sa mémoire et qui lui permettaient de retrouver de l’instinct.
- Qu’est-ce que l’Ombre ?
Le vieil homme le regarda soucieux.
- Vous perdez la mémoire, jeune homme. Ce n’est pas bon…
Chaque fois qu’il divaguait, Baltazar se retrouvait au milieu des cendres. Tout son être l’attiré ici, pourtant une fois dans la dimension, il sentait qu’il faiblissait et ses crises de folie reprenait :
- C’est ça, reprit son sauveur en pointant le ciel sombre. Le volcan se nomme l’Ombre. Il porte d’ailleurs bien son nom, puisqu’il répond son ombre partout de ses nuages de soufre. Même le sol en est couvert de ses cendres.
Le démon ferma les yeux. S’accrochant de toutes ses forces à son rêve qui s’en aller. Une seule chose revenait dans sa mémoire, comme un avertissement qu’on lui répéter : Pas de lumière dans l’Ombre. Sans pour autant comprendre, le démon sentit qu’il avait soulevé son passé. La pioche, l’odeur de soufre : il était là lors de l’éruption du volcan. C’était lui et ses collaborateurs qui avaient ouvert des brèches et laissaient circuler le dangereux gaz inflammable. Pourquoi ? Était-ce pour cela que la princesse Ofelia disait de lui qu’il était un mauvais homme ? Des centaines de questions fourmillaient dans sa tête. Ne voulant pas succomber de nouveau dans la folie, Baltazar se résolut à retourner vers Liosan lorsqu’il irait mieux. Le démon était aussi dépendant à cet homme que le banquier l’était de lui et de ses portails. Tout de même, il se posa quelques instants pour réfléchir.
S’il avait été mineur et qu’il savait que la lumière pourfendrait les environs, comment celle-ci avait pu entrer dans l’Ombre ? Comment avait-il survécu à l'explosion ? S’il avait survécu au sens propre puisqu’errer pendant plus de huit cents ans ne faisait plus que de lui un fantôme. Qu’est qu’il cherchait ? Creuser le flanc d’un volcan était dangereux. Envoyer des hommes en sachant que le risque y est de taille est une mise à mort. Ses yeux sombres parcouraient le paysage stérile. Liosan lui avait parlé d’un cristal qui intéresser la noblesse de la dimension des cendres. Il tenta de poser la question à ceux qui l’avaient recueilli. Le vieil homme s’exclama :
- Un mirage. Ce qu’il cherche dans les mines n’est qu’une illusion. Un morceau de caillou qui nous sauverait des éruptions de l’Ombre. Laissez-moi rire. Je vois ces nuages sombres depuis que je suis né, de même pour mon grand-père, pour son grand-père et des générations avant. Et depuis ces mêmes générations, ils cherchent sans trouver des petits morceaux de cristal qui ne sont rien.
Baltazar nota dans sa mémoire, mais ne pouvait pas y voir plus clair. Les recherches de Liosan le mèneront peut-être à quelque chose. De son côté, le démon aurait aimé se rapprocher du volcan, mais celui-ci était inaccessible dans toutes les dimensions. Ses flancs se faisaient abrupts et même assoupis, son haleine était mortelle. Il aurait aimé en parler à d’autre démon, mais les seuls qui ne voulaient pas sa mort étaient fous. La princesse Ofelia était l'unique personne à pouvoir l’éclairer, mais Necati traînait toujours non loin de celle-ci. Comme toujours, Baltazar se retrouvait dos au mur. Épuisé, il tenta de ne pas s’assoupir dans une nouvelle crise de pensée délirante.
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