L'intrus (Part. 2)
Ozanne ouvrit les yeux. Elle sentait que son corps souffrait des multiples contusions que lui avait ouvertes le tracho. Ses pupilles prirent un peu de temps à s’habituer à la lumière qui traversait les fins rideaux. En scrutant la salle recouverte de tapisserie aux multiples motifs géométriques, elle s’aperçut qu’elle n’était pas seule. Dans le coin de la pièce, un homme se tenait assis, absorbé dans son livre. La jeune femme l’observa avec attention. Il était grand et ses cheveux blond et bouclé formés des tresses le long de ses joues. Au bout de celles-ci, des petites cloches s’y trouvaient accrochées. Ozanne jugea qu’il était jeune pourtant l’inquiétude lui plissait le front en quelques rides discrètes. L’aventurière tenta de se redresser. Sans y faire attention, elle se cogna la tête sur des clochettes accrochées au-dessus de son lit qui fit sortir l’homme de sa lecture. Ses yeux vert clair se posèrent sur elle et un sourire fin apparut sur son visage :
- Je vous conseille de ne pas trop bouger ! Vous êtes blessée et nombreuse de vos plaies et vos fractures semblent ne jamais avoir été soignées correctement. C’est un miracle que vous puissiez encore vous relever.
Ozanne tenta de poser la main sur le carillon qui s’agitait au-dessus de sa tête, mais c’était ceux accrochés au mèches de l’homme qui tintait désormais. La jeune femme ne comprenait pas ou elle se trouvait. Elle jeta un coup d’œil par la fenêtre à coté de son lit et vit dans le contrebas un port comprenant de nombreux navires.
- Où suis-je ? Qui êtes-vous ? demanda-t-elle sur ses gardes.
- Vous êtes dans l’arche de Larialle et je suis le prince Lars, s’exclama-t-il, chaleureusement.
- Que s’est-il passé durant le procès ?
Le sourire de Lars s’accentua :
- Les juges ont invoqué le quatrième amendement. Après vous avoir mis dans un état critique, le tracho s’est posé auprès de vous pour vous protéger, preuve de votre bonté. Le tribunal vous a mis en liberté, mais je crains que ce ne soit qu’une illusion. Je vous garde dans mon palais en attendant le retour du général Ana.
Ozanne jura. Elle ne souhaitait pas se retrouver entre ses mains. La survivante tenta de se lever, mais ses articulations la clouèrent au lit et une forte nausée l’affaiblit de suite. Lars eut un peu de pitié pour elle.
- Vous êtes en trop mauvais état pour pouvoir vous enfuir. J’aimerais vous aider, mais je suis aussi captif que vous… enfin d’une autre manière, on m’a privé de mes libertés.
- Sortez-moi de là ! lui ordonna Ozanne.
Le prince prit une mine compatissante en secouant ses grelots d’un air navré. La jeune femme était épuisée. Sa tête lui tournait. Elle regarda par la fenêtre, mais il lui était impossible de sauter sans se fracasser la nuque sur les navires ou l’eau. Ozanne aurait préféré mourir sous les griffes du prédateur que sous les mains du général. Quoiqu’il aurait été plus simple de la laisser mourir sur les pierres du tribunal. On voulait la faire parler. Il en était hors de question. Elle tenta de garder son calme et de toucher la poignée de la fenetre. La voix de Lars résonna dans son dos :
- J’ai déjà essayé de me pendre à cette fenêtre. Je dois avouer que je me suis vite resonné. Le vide me retourne les tripes.
Ozanne fut surprise. Malgré le fait que le prince soit incapable de l’aider, elle le trouvait tout à fait étrange. Elle se tourna vers celui-ci qui avait gardé un air désolé. Il continua :
- Je n’essaye pas de vous raisonner. Je vous ai récupéré. J’ai accompli ma mission. Vous êtes libre de sauter. Enfin, j’aimerais vous parler un peu, si cela ne vous dérange pas.
L’aventurière acquiesça, presque curieuse de ce que le prince avait à dire.
- Cela vous est déjà arrivé d’apprivoiser des animaux ?
La jeune femme resta méfiante. La réponse était simple, mais l’explication devait prendre un moment de réflexion. Hermine aurait changé l’instinct du tracho pour invoquer le quatrième amendement de la justice ? Il n’y avait pas d’autre solution. Pourtant, elle se garda de répondre à la question de Lars. Celui-ci fit la discussion pour deux :
- J’ai l’impression que vous êtes comme moi, expliqua-t-il. Mes conseillers n’aiment pas le surnaturel. Ils ont essayé de toute leur force de le bannir de ma famille lorsque celle-ci nous a commandé des mesures, certes drastiques, mais raisonné. Enfin, elle a toujours guidé la famille royale vers le bon chemin. Pourquoi aurait-elle changé de camp ? Voyez-vous, personne ne l’apprécie, mais je ne l’entends plus. Elle me manque et personne ne veut le comprendre.
- De quoi parlez-vous ? l’arrêta Ozanne.
- D’Ezyld ! Enfin, tout le monde la nomme l’hystérique, mais je me tus à leur faire comprendre que ce n’est pas son nom.
La jeune femme comprenait un peu plus l’histoire de l’hystérique et du tribunal. Ezyld était une démone et les animaux étaient la meilleure solution pour faire disparaître les porteurs de malédictions.
- Que fait Ezyld ?
- Elle parle, fit Lars. Elle parle dans la tête. Elle conseille. Elle indique ce qu’il faut faire. La famille royale est guidée par sa voix depuis de multiples générations. J’ai appris à parler grâce à elle et à régner. Ezyld m’a bercé et rassuré de ses grelots. Quand les conseillers s’en sont aperçus, ils m’ont soigné sans comprendre que je n’étais pas malade. Maintenant, je suis seul à la défendre, mais je n’ai plus de pouvoir politique pour agir. Je ne suis d’ailleurs plus en capacité de prendre des décisions puisque c’est Ezyld qui veillait sur le royaume !
Ozanne comprenait les centaines de clochettes qui décoraient la pièce. Pourtant, elle ne voyait pas où il voulait en venir.
- Vous dites que nous nous ressemblons, lui rappela-t-elle.
- Oui ! Jamais un animal n’a protégé un quelconque Homme. Vous attirez le surnaturel et l’une de mes conseillères veut vous soigner. Elle vous croit folle ! N’est-ce pas ?
- Ce n’est pas vraiment ça, réfléchit Ozanne. J’ai créé un pacte avec une démone… comme votre Ezyld, je suppose. Le général Ana veut sûrement plus m’enterrer que me soigner.
L’aventurière ne savait pas s’il était bon de parler de cela avec lui, mais la relation qu’il entretenait avec cette démone l’intéressée. Elle avoua qu’il y avait quelques ressemblances dans leur chemin. Ils avaient entretenu un lien avec une démone qui ne soit pas de l’ordre de l’autodestruction. Pour autant, la méfiance des Hommes les avait poussés à détruire. Le lien qu’il avait entretenu avec la voix d’Ezyld ressemblait à celui qu’elle avait eu avec Sig ou encore Baltazar, même si sa volonté se faisait floue. Lars secoua ses clochettes d’un air satisfait :
- Vous êtes la seule à me comprendre. Avant, il y avait mon cousin, mais celui-ci a été exclu. Vous l’avez croisé, paraît-il ! Il s’agit du duc Méristone de Larialle. Malheureusement, son procès est aujourd’hui. Il a tenté d’assassiner la fille d’un grand homme d’affaires. Le tribunal ne sera pas clément. Mais il mourra pour la voix d’Ezyld ! Je suis fière de lui. J’aimerais en faire autant.
Ozanne se souvenait. Elle avait poignardé le duc de sa dent d’encérodes. Elle comprit doucement l’étendue et la discrétion des malédictions de l’hystérique. La jeune femme creusa un peu plus le sujet qui commençait à énormément l’attirer :
- Pourquoi Ezyld est-elle devenue étrange ?
Lars se désenchanta un peu. Il ne semblait pas aimer la question, pourtant il prit soin d’y répondre :
- Je… je n’aime pas le mot étrange… Mais, elle nous a chuchotait qu’il y avait un intrus dangereux et qu’il fallait qu’il disparaisse à tout prix.
- Un intrus ? demanda-t-elle.
- Tout à fait ! Mes cousins, les enels de la forêt et moi-même l’avons traquée. Ezyld l’a insultée de tous les noms et a connecté tout le royaume. Elle a soudainement étendu sa voix chez les nobles, le poursuivant jour après jour. Il serait sorti d’une jarre perdue au milieu des océans. Un groupe de pilleurs l’aurait fait remonter des eaux et l’aurait vendu à la capitale. Peut-être des centaines d’années plus tard, la jarre s’est fracassée sur le sol…
- Et l’intrus en est sorti, supposa Ozanne.
- Tout à fait ! lui indiqua soucieux Lars. Il a tenté de s’enfuir de la capitale, y ait revenue, à passer des mois à fuir Ezyld, mais impossible de mettre la main dessus. Un jour, il s’est envolé…
Une porte s’ouvrit brusquement le coupant dans sa discussion. Une jeune femme rousse apparut derrière la porte. Elle salua chaleureusement Ozanne et invita le prince à la suivre. La jeune femme prit soin de fermer la porte derrière elle.
L’aventurière fulmina. L’histoire de Lars était passionnante. La jarre fracassée sur le sol était le réveil d’un démon, l’ouverture d’un sceau. Dans son monde de glace, elle avait entendu ce genre de drame. Le réveil d’un démon est mauvais et de manière générale, la rencontre entre deux est souvent dévastatrice. Le combat d’Hermine et de Gadratique était un bon exemple. Les derniers mots de Lars l’indiquaient qu’elle démon avait revu le soleil : « Un jour, il s’est envolé… ». Elle ne connaissait pas l’étendue des pouvoirs de tous les démons, mais s’il y en avait bien un qui disparaissait d’une simplicité, c’était Baltazar. Aussi faible fût-il, il était insaisissable.
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