Les Dés Sont Jetés
Ozanne avait pris la mer. On l’avait attaché fortement d’une corde et jeté en panique dans une petite embarcation solide. Le geste brusque des Hommes qui l’avait emmené lui avait ranimé des plaies profondes, si bien qu’ils avaient dû lui donner des plantes anesthésiantes. Cela lui avait réveillé de vieilles addictions de l’an passé. Alors qu’il prenait un peu d’avance, les bateaux du port s’étaient soudainement décrochés des pontons et s’écartaient à toute vitesse de la capitale. Dans leur barque, les cinq personnes qui l’avaient emmené, sortirent les rames et brisèrent sauvagement les vagues pour garder un bon rythme. Ozanne tentait de repérer au loin la raison de l’affolement sans pour autant y parvenir.
- Que se passe-t-il ? demanda-t-elle d’une voix épuisée.
- Cela ne nous intéresse plus, répondit le capitaine du petit bateau.
Ozanne semblait tout de même interloqué par ce qui se passait. De sombres songes et un sentiment d’inachevés l’attirait vers cette capitale. Elle aurait voulu continuer sa conversation avec le prince Lars. Tout le mystère qui planait autour de cette personne l’attirait. À vrai dire, la jeune femme avait eu l’idée la plus folle qu’elle aurait pu avoir dans sa vie. Elle ne savait plus bien s’il elle aurait le temps de le mettre en place, mais cela pourrait réduire les torts de leurs mondes. Cette pensée l’obnubiler, mais moins que celle qui avait ressurgi à son réveil.
- Vous connaissez Liosan Ferl ? supposa-t-elle.
- Tout à fait ! répondit joyeusement le capitaine en secouant sa mèche châtain-clair.
- Il faut retourner à Larialle, dit-elle soudainement.
Celui-ci rigola tout en donnant un coup de rame coordonnée avec les autres marins.
- Cela ne marche pas comme ça ! Liosan a donné un ordre, nous respectons cet ordre. Cela ne sert à rien d’en discuter…
- Et Peio ? s’attarda l’aventurière.
Peio avait peut-être voulu sa mort, mais si Ozanne se retrouvait à deux doigts de rencontrer son beau-père, elle voulait qu’il soit là. C’était le moment où jamais d’agir. De quelques coups de poignées précis, elle fit tomber les liens et s’élança au-dessus des parois de bois en atterrissant violemment dans l’eau. Après quelques mouvements de brasses efficaces, ses muscles et articulations la firent souffrir. Quelques instants plus tard, un bras puissant la ramena sur la barque. Le sourire du capitaine resta parfaitement suspendu devant elle. La jeune femme se débattit brutalement pour ne pas se laisser faire. À trois, ils la clouèrent au bois et la maîtrisèrent. Ils refirent des liens plus serrés encore qui lui brûlèrent les poignets et la bâillonnèrent avec brutalité. Le capitaine reprit fièrement :
- Nous veillerons à ce que Peio ne tarde pas trop derrière vous, Mademoiselle Ozanne. Pour le moment, vous avez des comptes à rendre à quelques-unes de vos connaissances.
Ozanne tenta de crier à travers le bâillon. Elle enragea à cette idée. L’aventurière tenta de se débattre en vain. La plante anesthésiante ne tarda pas à faire effet et elle finit par s’assoupir.
***
Peio avait trouvé refuge dans la maison suspendue des Hajouack. Des grandes terrasses, il voyait les navires quitter le port. Sans pour autant arriver à mettre un mot dessus, un fort sentiment de culpabilité l’envahissait. Pourtant, il avait réussi la mission que lui avait confiée son père. Attraper Mademoiselle Disganti n’avait pas été simple. Aller la chercher au fin fond de la jungle, la ramener jusqu’à la capitale et la prendre sur le qui-vive par l’un des conseillers, c’était montrés laborieux. Au milieu de ses pensées contraires, des bras se posèrent sur ses épaules.
- Quelle pagaille ! dit la voix claire d’une jeune femme.
Pour sa grande bravoure, la famille Hajouack avait prévu un mariage avec leur deuxième fille, Sarra. Il lui semblait que rien n’aurait pu finir aussi bien. Pourtant, voir les navires partir en panique de la cité, lui laissait un creux terrible au fond de lui, comme l’impression de n’être pas au bonne endroit.
- Heureusement que nous ne sommes pas sur le port à cette heure-ci, lui répondit-il.
Sarra acquiesça en posant un léger baiser sur sa joue et en lui chuchotant quelques mots à l’oreille. Peio sourit à en oublier sa douleur intérieure, quitta la terrasse en saisissant la main de sa future épouse et se laissa mener par Sarra.
***
Le général Ana avait aidé Cyrille à atteindre l’arche du prince. Désormais seule, elle marchait à toute vitesse dans les couloirs en priant qu’il ne soit pas trop tard. Déterminée, elle se présenta sans décélérer devant une grande porte ronde. Un garde tenta de la prévenir :
- Vous ne pouvez pas en…
Elle était entrée sans ciller. Nathanaëlle se répéta :
"Premier objectif : Isoler Lars pour le proteger de l'hystérique."
De suite, l’assemblée des conseillers rabroua la jeune fille de cette intrusion. Mais celle-ci ne souriait plus. Son sérieux se lisait dans chacun de ses traits, jusqu’à ses cheveux roux attachés en une tresse solide. Elle s’adressa haut et fort pour que chacun entende tout en gardant un œil discret sur le père Hajouack.
- Mesdames, Messieurs, j’ai au regret de vous dire que le tribunal a été attaqué par un Enel, le même qui terrorise le port et qui fait fuir les navires de commerce.
Une femme possédant un haut de forme sur ses cheveux chatain s’exprima clairement à la générale :
- Nathanaëlle Louse, nous vous remercions de cette information, mais nous sommes déjà au courant. Monsieur Hajouack a reçu des informations sur l’état de santé des juges qui est malheureusement… sévère.
Ana serra les dents. Elle aurait dû se douter que l’hystérique jouerait double jeu. Elle croisa les doigts pour que cela ne l’interpelle pas. Désormais, il fallait tourner les choses à son avantage et profitait de ce que lui avait raconté Cyrille.
- Je suis tout de même soucieuse de l’état de notre prince…
- Comme nous tous, la coupa la femme.
Celui-ci ne se souciait aucunement de ce qui se passait. Lars s’était isolé dans un fauteuil au coin de la pièce à jouer discrètement avec un grelot sans clochette. Le regard d’Ana se fixa sur lui.
- Certes, mais notre prince ne nous dit pas tout ! s’exprima Nathanaëlle d’une voix forte. Non, il nous cache beaucoup de choses. J’ai ramené Meristone suite à sa tentative de meurtre auprès de la fille de maître Liosan Ferl. L’Enel serait apparue des suites de ce procès. Mon prince, avez-vous quelque chose à dire sur ça ?
Sa voix se faisait dure et sévère. Le banquier lui avait appris la leçon la plus importante pour traiter avec les démons : être là où ils ne nous attendent pas. Blâmer Lars en priant que l’hystérique ne soit pas encore passé à l’action était le meilleur moyen de l’isoler et aussi de faire croire à la démone qu’elle faisait fausse route. Les réunions étaient programmées pour qu’il n’y ait quasiment aucun contact entre Lars et les conseillers. Si les codes avaient été appliqués avec le plus de soin possible, toutes les cartes étaient encore dans sa main. Les yeux des conseillers s’étaient fixés sur le prince, qui surprit du soudain silence, leva la tête en fronçant ses sourcils blonds.
- De ? fit-il en souriant.
- Mon prince, reprit la femme autoritaire. Le général Ana suppose que vous avez omis de nous dire des informations quant à la façon dont l’hystérique gère la mort des membres royales…
- Omis, reprit brutalement Nathanaëlle. Le prince n’a jamais caché l’idée de se détourner de l’hystérique et nous le savons tous. Faisons un vote ! Avant qu’il ne soit trop tard, mesdames, messieurs !
Des discussions parcoururent la grande table. Dans l’assemblée, beaucoup remettait en cause la légitimité du prince. Elle jouait à son avantage. Pourtant, les conseillers restaient insatisfaits que les procédures n’est pas été respectés quant à l’entrée forcée de Nathanaëlle. La femme qui dirigeait l’assemblée l’exprima pour beaucoup qui garder leurs messes basses comme jugement :
- C’est contraire au protocole ! De plus, je voudrais questionner Lars à propos de cette rumeur qui vous lancer sans réfléchir aux répercutions.
Tout se jouer maintenant, pensa Nathanaëlle. Elle avait tout donné pour piéger la démone. Si Lars trouvait les mots corrects pour répondre à la question, l’assemblée trouverait louche qu’il soit aussi lucide sans que l’hystérique ne parle à sa place. S’il restait azimuté comme il le faisait depuis le début du débat, les conseillers mécontents de sa présence trouveraient cela inaproprié qu’il ne puisse apporter plus de renseignements. De plus, Hajouack ne lui était d’aucune aide, car tout le monde savait que lui aussi été fragile au charme de la démone. "Tout se jouer, maintenant", se repeta-t-elle pour se donner du courage.
Lars resta muet, ne savant plus quoi dire, ni quoi faire. Ses sourcils et son expression étonnés semblaient montrer son dépassement face à la situation. Le silence se remplaça par des murmures assassins. Ana avait un peu de pitié pour son prince qu’elle accusait à tort. La femme reprit la parole :
- Mon prince, avez-vous quelques choses à dire par rapport au procès du duc Meristone ?
Lars se mit à bégayer :
- Cela appartient… aux secrets de la famille royale…
- Dont vous êtes désormais le seul membre, à part si vous comptez les enels qui se baladent dans la jungle et de Meristone qui terrifie Larialle, s’énerva Ana. Votons pour enfermer notre prince dans les geôles royales !
- Vous ne pouvez pas lancer de vote, s’exclama un membre du conseil.
Un autre lui coupa la parole, d’un sourire inquiet :
- Votons pour enfermer notre prince dans les geôles royales ! Qui contre ?
Une partie de l’assemblée souleva leur main dont Hajouack qui risqua de dévoiler une part de ses idées.
- Qui pour ? s’exclama-t-il.
La majorité leva la main, satisfaite.
- Nous traversons une crise, reprit-il. Le prince Lars sera enfermé jusqu’à nouvel ordre.
Ana avait gagné son premier tour. Elle pria pour qu’elle réussisse, car la suite de son plan s’annonçait être bien plus compliquée.
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