La Fourchette

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Peio attendait au côté de son futur beau-père. Les toits de l'arche du prince tenait solidement au-dessus de sa tête. L’historien apprécia la beauté de ce lieu. Le blanc éclatant de la pierre donnait de la lumière et de l’espace alors que les couleurs pastels adoucissaient les angles rocheux. C’était une magnifique bâtisse. Depuis les heures qu’ils avaient passées auprès de nombreux conseillers, on lui avait confié que le prince voulait le voir au sujet de la cité engloutie et cela l’enchantait. Pourtant les minutes défilées lentement et il lui était impossible pour le moment d’accéder à la cellule dorée. En attendant, il arpentait les longs couloirs vides, accompagné de Monsieur Hadjouck, en regardant le port vidé de ses navires. Lorsque la nuit assombrit la cité, une servante vint à lui :

– Veuillez me suivre. Le prince souhaite vous parler.

Il acquiesça avec rigueur et traversa de pièce en pièce jusqu’à se retrouver devant les grilles dorées. Le prince sourit à sa vision et tenta de lui tendre la main. Le garde émit un grognement pour lui interdire de la prendre en retour. Peio lui envoya un regard assassin, choqué par tant de manières excessives et s’avança pour parler à Lars :

– Mon prince, vous m’avez demandé ?

– Oui, tout à fait ! J’ai un livre qui parle de la cité engloutie, celle au-delà du détroit. Mon ouvrage est vieux et incomplet. Pouvez-vous m’en parler un peu ?

– Bien sûr, mon prince, s’enchanta-t-il. Que voulez-vous savoir ?

– Autant que vous en connaissez sur le sujet !

Peio commença à mêler des savoirs qu’ils avaient recueillis dans les livres et ceux de sa vie antérieure, lui racontant les différents règnes, décrivant les deux rocs. L’un sur lequel est posé le château de l’empereur, l’autre avec les habitations et le phare. À son évocation, un pic lui transperça le cœur sans qu’il ne puisse l’expliquer. Un mouvement contradictoire se mut en lui pourtant, ne pouvant mettre de mot dessus, il le laissa de côté. Leur entrevue dura plus d’une heure avant que Lars ne sorte de son écoute passionnée :

– Comment savez-vous tout cela ? Je n’ai jamais entendu de dires aussi précis que les vôtres !

Le jeune historien retenu les mots qui voulaient sortir d’eux même. Il sentait au fond de lui que quelque chose n’allait pas. Il mâchonna un peu dans le vide tant sa mâchoire se crispait. Lars pencha la tête d’un air complice :

– Rapprochez-vous, si cela est secret !

Peio acquiesça en souriant. Le garde fit non de la tête pour montrer son désaccord. Le jeune homme reprit d’un air malicieux :

– Cela est un peu secret, je dois vous avouer, mon prin…

Le jeune homme ne put finir sa phrase. Des cris tonnèrent dans le bâtiment.

– Au feu !!!

Le garde ne bougea pourtant pas. Peio se leva, son cœur battant à tout rompre. Il sortit de la pièce et courra pour savoir d’où cela venait. Au milieu d’un couloir, un feu violent commençait à consumait les poutres de bois. Cela ne présager rien de bon… Il retourna auprès du prince et fixa le garde dans les yeux :

– Il faut sortir le prince. Un feu s’est déclaré un peu plus loin. Suspendus au-dessus du vide, nous courrons un grand danger ! Ouvrez la cellule.

- Je n’agis que sous les ordres du Conseil ! répondit le soldat calmement.

Ceux-ci ne tardèrent pas. Des membres solides du conseil ainsi que d’autres comme le père Hajouack pénétrèrent dans la pièce.

– Nous devons sortir le prince d’ici, s’exprima la femme, présidente du conseil.

– Non, s’écria une voix lointaine.

La générale Ana entra en panique dans la pièce.

Troisième Objectif : Improviser.

– C’est ce qu’elle veut ! Que le prince sorte pour qu’il agisse en son nom…

Nathanaëlle serra les dents. Rien ne se passait comme prévu. À aucun moment, elle n’avait pu agir pour piéger Peio. Chacun de ses pas avait été surveillé par des servants ou son beau-père lui-même. La vieille Najoie était toujours assise dans un coin. La démone n’avait pas cherché à se débarrasser du garde, mais avait choisi de sacrifier le palais pour le faire sortir de la cellule. La jeune femme se retrouvait ainsi démunie avec sa cible au milieu d’une foule et l’hystérique allait réussir à lier les Hajouack au prince.

– Ne vous en faites pas, générale Ana ! Il sera menotté et très bien encadré.

La générale jura intérieurement. Son regard se fixa dans ceux de Peio qui la regardait étrangement. Elle se pinça les lèvres. L’hystérique l’avait devancé et elle savait que l’historien était démasqué pour elle. Aucune explication autre n’aurait pu expliquer la présence du fils de Ghazi Jurill dans un moment pareil. Le garde tourna à contrecœur la clé et saisit Lars fortement par le bras pour l’emmener dans un endroit plus sûr. Nathanaëlle suivit de prés le prince jusqu’à sa sortie du palais.

À ce moment précis, elle s’écroula sur l’herbe grasse, fermant les yeux et sentant l’air poisseux de la nuit sur elle. Épuisée, il lui semblait qu’elle avait perdu sa partie jusqu’à ce que la voix de Peio ne vienne jouer avec son humeur :

– Je vous connais, non ?

Nathanaëlle fut amère de voir que la démone se jouait d’elle.

- Ne faites pas semblant ! marmonna-t-elle.

La générale ouvrit les yeux et vit le teint mâte de Peio, sa barbe bouclée lui recouvrant son menton. Il avait changé. En quelques mois, il n’était plus le jeune homme insouciant qui été venu toquer à sa porte, l’été dernier. Baltazar et Ezyld ne l’avait guère ménagé. Le jeune homme ne répondait pas. Il suait à grosse goutte, humidifiant sa belle chemise pastel. En le regardant de plus près, on aurait dit qu’il machait sa propre langue. Ana connaissait ce symptôme. Peio faisait de la résistance à la démone. Le temps qu’elle se lève, il était trop tard. Le jeune homme se jeta sur elle, tentant de toute ses forces de la faire sauter dans le vide. Ana se débattit, paniquée, ne pouvant accéder à sa fine lame. Elle se sentit soulevai sans qu’elle ne puisse rien faire :

– Peio… Peio… je… vous en supplie, suffoqua-t-elle. Léontine… elle est enceinte…

Il sentit une hésitation de sa part, mais rapidement, il s’avança en la portant vers le vide. À quelques mètres du bord de la falaise, Nathanaëlle chuta au sol. Elle en eut le souffle coupé. Elle vit que Peio avait changé de cible. Toujours affaibli par son genou, Cyrille se tenait droitement sans ciller face à l’historien qui la frappa au visage. À terre, elle ne put se relever tout de suite. Peio retourna avec acharnement pour s’emparer du bras de Nathanaëlle qui avait toujours le souffle coupé au sol et tenta de la soulevai en vain. Ana roula à quelques mètres du vide avant de retrouver la force de se lever et sortir sa lame de générale, la pointant vers le jeune homme. Sans même y apporter de coup, il s’effondra sur le sol. La jeune femme regarda étrangement Cyrille.

Celle-ci s’était relevée fièrement, une fourchette ensanglantée dans la main. Peio était à terre, se pliant de douleur.

– Que... Que s’est-il passé ? demanda le général Ana, abasourdi.

– J’ai enduit la fourchette de poison de guilios, répondit méthodiquement Cyrille. En voyant le feu se déclarer, j’ai pensé que l’hystérique n’était pas loin. Je n’ai pas eu tort. J’avais gardé cet objet de côté et pretestant que c’était un porte-bonheur, on me l’avait laissé pour mon procés. Je l’ai ensuite affûté et recouvert de poison que j'ai trouvé dans l'armurerie. C’est une technique que j’ai apprise de mon ancienne capitaine. Je lui ai planté la fourchette dans le molet !

– Je… efficace ! s’étonna-t-elle en voyant la blessure sur la jambe du jeune homme. Ne tardons pas avant que la démone ne nous trouve. Si nous prenons chacun un bras, nous pouvons le soulevai.

– Avant, nous devons enlever le poison de son corps !

Elle s’agenouilla et [aspira le poison de sa blessure] comme l’avait fait Peio pour elle dans la forêt. Ensuite, elles se mirent à deux pour le porter, un bras sur chaque épaule. Une petite voix vint de derrière :

– Général ! Vous m’avez menti...

La vieille Najoie se tenait bravement dans l’entrebâillement de la sortie. Ses petits yeux clairs se voilaient d’une certaine tristesse.

– Vous m’aviez promis, reprit-elle. Promis que vous sauveriez le prince de l’hystérique si j’arrivais à faire venir cet homme auprès de lui. Vous n’avez fait que m’utiliser !

– Les événements ont dégénéré, se défendit Nathanaëlle. Le palais brûle. Le prince est voué à rechuter dans les songes de l’hystérique. Nous devons fuir !

- Fuir où ? demanda la vieille Najoie. Plus aucun navire n’est amarré au port. Les nobles ont fermé leurs portes et le palais brûle. Ou comptait vous fuir ?

Nathanaëlle n’y avait pas pensé. Effectivement, il serait difficile de faire le trajet à pied jusqu’à la porte qui menait à la dimension de Peio. En voyant qu’elle restait sans voix, la vieille femme reprit :

– Il reste l’embarcation royale...

– Vous savez comment y accéder ? s’impatienta la générale.

– Oui, mais je n’ai pas les clés. C’est Lars qui peut ouvrir le port caché...

– Il doit y avoir une autre solution. Lars est entouré de dizaines de gardes, de plusieurs conseillers. À trois, nous n’arriverons à rien.

– Si vous voulez mon avis, dit-elle sombrement. Ce n’est qu’une question de temps avant que Lars ne soit plus accompagné.

Nathanaëlle sentait que la tension la faisait faiblir. Elle avait l’impression qu’une fois son pied sortit de la vase, l’autre s’y retrouvait englué. S’approcher de Lars les mettrait tous en danger. En tant que générale, elle élabora un plan rapide :

– Madame Najoie guidait nous jusqu’a la porte qui mène au navire ! Nous trouverons un coin sombre pour cacher Peio. Cyrille, tu veilleras sur lui. Je partirais avec vous, vieille femme, pour trouver Lars et sa clé.

Celle-ci fut satisfaite. Cyrille reprit d’une voix glaciale :

– Et si vous mourez ?

–Trouvez une barque, n’importe quoi ferait l’affaire et fuyez le plus loin possible !

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