L'Arbalète
Sans plus attendre, ils prirent les premiers escaliers peinant à soulever Peio qui était tombé inconscient et qui pesait douloureusement sur leurs épaules. Elles se résolurent à le traîner malgré les centaines de marches qui permettaient l’accès au port. Najoie prit le devant et s’épuisa rapidement à cause de son âge avancé. Une fois qu’ils se trouvèrent sur les pontons de bois, elle les guida jusqu’à la porte cachée. Des épaisses fougères dissumulaient une porte solide et résolument fermée à clé. Ils posèrent Peio dans la dense végétation et comme prévu Cyrille attendit à ses côtés. Voyant qu’il n’allait plus leur poser de problème, la vendeuse sortit l’antipoison qu’elle avait trouvé dans l’armurerie et lui fit glisser entre ses fines lèvres.
Nathanëlle et la vieille Najoie se dirigèrent vers les autres prisons de la royauté, située non loin du tribunal. La jeune femme scruta le palais en se mordant les lèvres. Malgré la forte humidité, le feu qui se propageait dans l'arche du prince ne diminuait pas. Ezyld n’avait plus aucun cœur, plus aucun obstacle, aucun symbole ne comptait pour elle. Dans son jeu, il n’y avait plus de règle. La jeune femme pria en se disant à voix basse :
« Quatrième objectif : Récupérer la clé de Lars ».
Cela lui paraissait impossible. Elle chercha sur le port une embarcation, mais la vieille Najoie avait raison. Il ne restait pas même une barque trouée. L’Enel avait fait fuir les commerçants. Il n’y avait d’ailleurs plus aucune trace de lui. Cela ne présageait encore une fois, rien de bon. La vieille femme avait également vu clair pour l’escorte de Lars. Des cris, des bruits de combat à l’épée et à l’arbalète résonnèrent contre les impressionnantes falaises. Nathanaëlle sortit son arme en se faisant discrète. Elle observa les alentours et fut impressionnée en voyant des soldats s’entretuer violemment. Le sang empourprait l’eau et la pierre. Des hommes gisaient sans avoir pu sortir l’arme de leur fourreau, surpris par la trahison de leurs confrères. Le garde de Lars, puissant soldat de Laraille, défendait un prince qui ne voulait pas qu’on le défende. Toujours attaché, on l’avait jeté contre la pierre. Sa tête saignait et il regardait la scène, complètement interloqué. Nathanaëlle sentit son cœur lui déchirait la poitrine. La générale n’avait pas souvent échangé le fer avec d’autres adversaires. En mer, elle donnait les ordres et aidait à garder le cap. À ce moment précis, elle n’avait que le choix de se jeter dans la bataille. Pourtant tout son corps semblait impuissant, incapable de s’affranchir de sa peur. Elle vit devant ses yeux, la présidente du conseil se faire décapiter. Livide, elle entendit Najoie murmurer :
- Mademoiselle Nathanaëlle, je vais faire distraction pendant que vous irez récupérer la clé auprès de Lars…
- Non la coupa la générale. Vous avez des petits-enfants. Je ne les laisserais pas sans leur grand-mère. Je vais me faufiler et profiter de la cohue.
Elle prit son souffle et sortit de là où elle était cachée. Comme un guillio, elle serpenta le long de la roches essayant de toutes ses forces de se camoufler. Elle pensa d’ailleurs que le reptil aurait davantage pris la couleur pourpre du sang que grise de la pierre. Nathanaëlle en avait la nausée. Elle sursauta, main sur son pommeau quand un homme se cogna brutalement sur la pierre, à quelques mètres. Il lui était impossible de savoir s’il s’agissait d’un allié ou d’un ennemi. Heureusement pour elle, malheureusement pour lui, il ne se releva pas. Elle continua sa progression, fixant Lars dans ce désordre sanglant.
Soudainement, une main la prit par le col, la soulevant sauvagement et la fit atterrir brutalement sur le sol. Malgré le puissant choc, elle saisit son épée et se protégea de justesse d’un coup violent qu’on lui assena. Elle se releva et comprit, de suite, qu’elle était au centre des combats. Elle lutta de toutes ses forces face aux dizaines de coup d’épée. L’une lui entailla fortement le bras. Une autre lui érafla la jambe, la faisant s’écrouler au sol. Un pied lui écrasa la main. Sa vision se brouilla. Elle se mit à ramper à travers les échanges violents, fermant quasiment les yeux. Son cœur peinait à redistribuer le sang à cause de l’hémorragie. Les chocs d’épée se turent progressivement. Nathanaëlle ne savait pas si c’était son esprit qui commençait à s’éclipser. Elle tenta de garder ses yeux ouverts et vit tomber à quelques mètres d’elle le garde de Lars. Un carreau avait transpercé son casque usé par les projectiles. Ana dégobilla sur le sol. On la tira et une lame vint se poser sur sa gorge. Sa vision était floue, mais elle comprit que le combat avait pris fin. Des larmes coulèrent sur ses joues. Il avait perdu face à l’hystérique. Les guerriers enlevèrent leurs casques. Ils s’agissaient de nombreux nobles de Larialle. Ceux-ci se mirent à parler à tour de rôle en complétant la phrase de l’autre :
- Nathanaëlle.
- Je me doutais que tu viendrais mettre ton nez dans mes affaires.
- Mais seul, tu n’arrives à rien !
- Où est Maître Liosan quand tu as besoin de lui ?
- Nulle part.
- Ou partout !
- Cessez…bredouilla-t-elle.
Monsieur Hajouack arriva portant à bout de bras la vieille Najoie qu’il fit rouler sur le sol. Nathanaëlle écarquilla les yeux en voyant son regard vide, son expression figée et le liquide poisseux et rouge qui coulait de sa poitrine. La démone l’avait tué. Comment des Hommes pouvaient lutter contre des entités telles qu’elle ? Les nobles enfermés chez eux se souviendront d’avoir été lâches, d’avoir abandonné le conseil et le tribunal. Ezyld reprit :
- J’ai de l’intérêt à vous garder, Mademoiselle !
- Il ne me manque plus qu’une chose :
- La position des portails.
Nathanaëlle se pinça les lèvres. L’hystérique voulait sortir de sa dimension. Régnait partout comme l’aurais fait n’importe quel démon, s’étendre comme un gaz et mettre les mondes en feu. Nathanaëlle cracha le sang qui lui envahissait la bouche et répliqua :
- Vous n’aurez rien !
Un silence glaciale parcourut le groupe de soldat. Hajouack le rompit :
- Elle n’est qu’un pantin. L’intrus et son maître reviendront. Tuez-là, mon prince.
Sans avoir remarqué, c’était Lars qui la tenait fermement. Sa lame sous sa gorge tremblait. Nathanaëlle ne pouvait voir son expression, mais vu l’état de sa main, il devait être terrorisé. Instinctivement, Ana posa ses doigts sur les cotes de son prince sentant le trousseau de clés sous sa chemise trop large. Elle se pinça les lèvres en se disant qu’elle était à peu de chose de sauver Peio. Soudainement, elle se dit que cette mission n’avait pu grand-intérêt. La générale regarda le palais flambé, le port vide, les côtes fantomatiques. Sa lutte était vaine. Ce n’est pas un historien qui lui sauverait sa capitale. Face à l’impuissance de Lars, l’un des nobles s’approcha d’elle :
- Mon prince, elle est déjà à moitié morte. Elle ne survivra pas à ses blessures.
L’homme passa son épée sur la blessure qui lui entaillait le bras, la faisait hurler de douleur. Lars restait incapable de bouger. Nathanaëlle reprit ses esprits et répondit brutalement :
- Pourquoi vous ne le soumettez pas à vos charmes ! Tuez-moi !
À ses mots, Lars lui glissa discrètement une arbalète chargée entre ses doigts.
Nathanaëlle avait appris deux choses de son oncle. C'était un homme malhonnête, tombé depuis petit dans la piraterie, as de l’arbalète, pilleurs des fond marin et capitaine du nom d’Holi-Hop. Deux leçons : chaque opportunité est bonne à prendre et qu’il fallait réfléchir une fois que le carreau avait atteint sa cible. Monsieur Hajouack tomba à terre, le projectile ayant traversé son torse. Lars la souleva sans difficulté et profita de la stupeur de la démone pour courir le plus vite possible. Les soldats les poursuivirent, mais ils croisèrent, à temps, des gardes qui arpentaient le port. Ils prirent part au combat défendant leur prince en priant qu’il ne soit pas soumis à l’hystérique.
- Le port caché, souffla Nathanaëlle.
- Je sais ! Je l’ai compris lorsque vous avez posé la main sur les clés. Vous voulez l’embarcation royale.
Elle hocha la tête en commençant à perdre ses esprits.
« Cinquième Objectif : Survivre »
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