Agatha

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Ozanne voyait les chaînes de montagnes s’adoucir et devenir progressivement une plaine d’herbe folle. Le temps se faisait densément pluvieux. Elle retournait chez elle. Une dimension l’a séparé de sa plaine de glace. Les chevaux gardaient la tête droite malgré les gouttes qui les harcelaient. De ce temps, Sig serait restée à l’abri dans une grotte. Elle avait un peu réfléchi depuis qu’elle était attachée à la monture. Hermine avait préservé la dimension de Peio de sa malédiction, pourtant les animaux de celle des océans se faisaient coriaces et agressifs comme dans le Dédale. Comment cette dimension avait été aussi bien préserver des démons ? Est-ce les Hommes qui les avaient banni ? Tant de questions la taraudaient, mais ceux-ci se dissipèrent en voyant deux formes encapuchonnées et leurs chevaux. En quelques minutes, le groupe s’en approcha. Le capitaine descendit de sa monture et salua chaleureusement le premier, un homme aux joues bouffies, recouvert d’une barbe blanche et noir rase et d’yeux émeraude.

- Maître Liosan Ferl, je vous ai rapporté Ozanne pour la transaction, commença le capitaine. Nathanaëlle s’est vu gérer une crise dans sa dimension, mais aux dernières nouvelles, elle avait un plan pour mettre la main sur Peio.

- Parfait ! s’exclama l’homme d’affaires. Ce n’est qu’une question de temps avant que toute cette folie ne prenne fin. Apportez-là nous !

Les hommes la firent descendre et rejoignirent les deux formes trempées. Ils attendirent de partir avant que la seconde ombre ne dégage sa capuche. Son regard brut de pierre, son visage pâle et ses fines lèvres mauves lui donnèrent nausée. Pourtant, la colère fut plus forte. Prise au piège, Ozanne sortit la rage qu’elle avait entretenue pour Baltazar :

- Vous ! Vous nous jetez au milieu des eaux profondes et nous abandonnez sur un archipel de pirate, sans nouvelle, sans même nous avoir demandé notre avis. Je sais que vous vous êtes reveillés dans cette dimension, d’une cruche cassée sur le sol, que la démone du coin vous a poursuivi, mettant à feu et à sang la capitale. Vous nous avez donné une chance de survivre pour mieux nous enterrer après avoir vécu pires que la désolation des plaines. Vous me dégoûtez de ce que vous êtes : un lâche, un faible, sans courage…

- Je pense que nous en avons eu assez, le coupa Liosan, arborant un large sourire face à l’énervement d’Ozanne.

Baltazar resta neutre, sans émotion. En un instant, le monde pluvieux se blanchit intensément. Le froid la paralysa. La neige et le ciel lui semblèrent douloureux par sa luminosité. Malgré que la téléportation se soit faite violemment, Ozanne savait qu’elle était revenue chez elle. Ses poumons se remplirent d’un air frais, celui de sa liberté. Pourtant ses mains se faisaient toujours lier. Liosan s’avança vers les chevaux et retira des sacs des manteaux de fourrure à peu près secs. Il aida Ozanne à s’en vêtir en défaisant une partie de ses liens. La jeune femme tenta de réagir rapidement, mais avant qu’elle ne puisse frapper l’homme d’affaires, celui-ci la gifla violemment. À terre, il resserra ses liens en vérifiant qu’il lui était impossible de l’enlever. Il s’en alla vers leur monture et frappa dessus pour qu’elles s’enfuient. Sonnée, Ozanne refusa que Baltazar ne l’aide à se relever. Elle s’adressa directement à Liosan :

- Vos chevaux vont mourir si vous les laissez ici !

- Ce n’est pas mon souci, Mademoiselle Ozanne. Nous sommes bientôt à notre point de rendez-vous.

Baltazar la força à avancer ce qui valut de la part d’Ozanne de nouvelles menaces :

- Huit mois avant vous me forçaient à avancer pour me sauver la vie et maintenant vous le faites pour me livrer ! Vous retournez votre veste dès la première offre. Vous me dégoûtez !

Baltazar se tut. Face à son mutisme, la jeune femme continua de l'insulter pendant un quart d’heure de plus jusqu’à ce que Liosan ne l’interrompt une seconde fois.

- Regardez ! Les ruines de la Kiolasse, enfin ce qu’il en reste…

L’aventurière écarquilla les yeux face aux souvenirs qui lui frappèrent sa mémoire. En contrebas, les Ruines de la Kiolasse, enfin ce qui l’en restait, se recouvrait de branche et de feuille. Ozanne en eut froid dans le dos en voyant les flocons de neige se jetaient sur ce qui restait de mur : un unique pan qui avait vécu tant d’année et le malheur de la dernière excursion de la jeune femme, l'explosion qui avait balayé ce lieu. Pourtant, cela avait aussi été la genèse d’Agatha, une démone totalement excentrique qui voulait des graines pour augmenter son pouvoir. La pilleuse de ruine se sentit vide, comme-ci après tout ce qu’elle avait vécu, la fin ne prévoyait que de remplir son pacte avec la démone. Liosan la força à descendre pour rejoindre le vieux maître Onur, toujours recroquevillé autour de sa canne. Celui-ci la salua d’un sourire malveillant :

- Ma chère associée, je vous attendais. Notre Reine veut vous voir. Il semblerait qu’elle attende toujours de vos nouvelles.

Ozanne gardait une colère froide pour son ancien soigneur. Ses yeux brillaient de haine. On la fit attendre devant un mur de tiges entrelacées qui se desserrèrent pour la laisser entrer dans un cocon de branchage. À l’intérieur, elle croisa de nombreux apprentis des plaines gelées, vêtus de leur cape émeraude et de leurs airs supérieurs. Ozanne jeta des regards inquiets aux feuilles qui bougeaient discrètement. Maître Onur la devança et entra devant elle dans l’ancien jardin de la villa. La jeune femme fut rassurée de revoir le ciel clair au-dessus d’elle. Moins lorsque ses yeux virent un trône de racine mâte à la place de l’ancienne rotombe et assise dessus une femme d’une maigreur extrême avec des yeux à l’iris bleu éclatant. Liosan la fit s’agenouiller. Elle ne se débattit pas et posa le genou au sol. Discrètement, elle regarda partout autour d’elle. Toute l’installation végétale venait d’un unique endroit : les graines de pruniers. Non loin, elle repéra des Hommes portant l’insigne de la milice extérieur. Edgar, son frère, ne devait pas être loin. Le vieil herboriste prit parole :

- Ma reine, vous nous avez demandé Ozanne. Maître Liosan vous la rapporte. Vous pouvez vous adresser à elle !

Ozanne regarda l’homme d’affaires qui afficha un léger rictus. Baltazar avait disparu. Il se doutait qu’il ne voulait pas se trouver face à la démone. Celle-ci la fixa de son regard primitif.

- Approchez, jeune fille !

L’aventurière jeta un coup d’œil discret vers Onur qui l’invita à se relever. Ozanne s’avança d’un pas assuré, mais tout son esprit voulait d’elle qu’elle s’enfuit. Ses mains liées et la vingtaine de gardes qui l’épiaient l’empêchaient de faire quoi que ce soit. Elle s’arrêta à quelques pas du trône sans comprendre ce qu’elle attendait d’elle. Agatha commença :

- Que pouvez-vous me dire sur cet arbre ?

***

La question d’Alida faisait sens. Le prunier des Horla fleurissait de couleurs blanches et roses alors que l’hiver était bien entamé. Pour la première fois qu’il était rentré, Aloïs s’était recueilli auprès de lui, observant sans comprendre ce phénomène étrange. La mère Horla répondit à cette question :

- C’est un vieil arbre, antique même. Il n’en existe que quelques-uns dans le monde. Ce prunier est assez anodin. Ses productions sont abondantes, malgré le fait que les Horla l’est toujours vu. Je ne pourrais vous dire, il y a combien de siècles, il a été planté… Pourtant c’est la première fois qu’il fleurit si tôt. Même dans sa folie, mon fils sait que c’est assez anormal.

Léontine cueillit une fleur. Ce n’était pas la raison de sa venue dans les environs. Elle voulait savoir où était son père. Elle balaya le jardin des Horla, déçue.

***

Ozanne se tourna soucieuse vers Liosan qui restait ferme et attentif. Avait-il une solution de repli ? Elle se retourna vers Agatha :

- Je ne sais pas, ma Reine. J’ai trouvé les graines par hasard.

- Par hasard ? s’énerva soudainement la démone.

- Oui, j’ai creusé la terre et trouvé les graines. Je ne sais rien d’autre !

- La vie n’est faite d’aucun hasard. Vous avez été au bon endroit et au bon moment, hurla-t-elle. Vous savez !

- Non, fit Ozanne en fermant les yeux de crainte.

Une voix douce résonna dans sa tête.

- Il n’est pas bon de mentir, jeune fille !

Ozanne sentit son cœur se serrer. Hermine…

- Vous avez sacrifié beaucoup pour peu de conséquences, ria l’entité. Mais vous pouvez encore faire quelques choses pour moi…

- Vous connaissez la vérité ! hurla Agatha.

La démone se leva en fureur et s’approcha d’elle à toute vitesse. Elle s’abaissa à son niveau et lui prit le visage dans ses doigts squelettiques et sales, approchant ses lèvres jusqu’à ses oreilles.

- Vous savez ce qui me chagrine ?

- Dites-moi, s’exprima Ozanne comme pour parler aux deux démones.

- C’est que j’ai planté cette graine. Il y a très longtemps de cela, j’ai ouvert la terre de mes doigts et ai glissé ces touts petits morceaux de rien du tout pour qu’il fleurisse. Et vous me le rapporter après des années de reclusion comme si vous ne saviez rien…

- Je t’ai attiré vers les graines Ozanne. J’y ai envoyé le Hui ici, souffla Hermine. Agatha a raison, je n’ai rien laissé au hasard. Mais ce n’était pas dans le but de les lui donner. Je les voulais pour moi seul. J’ai échoué. Pourtant tu peux encore rattraper nos erreurs. Edgar possède de droit la lame des sacrifices. Je suis impuissante, mais par quelques ruses, tu peux t’en saisir et transpercer le prunier… Ainsi, tu pourras me libérer et cette fois, je n’échouerais pas !

Ozanne suffoquait à cause de sa peur. Jamais, elle n’avait fait face à un démon de cette importance, contraint de l’affaiblir pour en libérer une autre.

- Je… je voudrais… m’entretenir avec Lio… san, peina à dire Ozanne. Je… vous donnerai une réponse après.

Agatha détacha ses mains et acquiesça en la fixant de ses puits de ciel qui remplaçait sa pupille.

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