Le Banquier
Léontine venait de passer de la déception à la crainte. Son père n’avait donné aucune trace de sa présence. C’était pourtant bien ce qu’elle avait entendu derrière la porte, assise dans les escaliers. La mère d’Aloïs Horla n’avait aucun rendez-vous d’enregistrer par ses servants et la nuit s’annonçait brutale, enrageait d’une pluie frappant le sol. La veuve posa une main prévenante sur son ventre. Elle sentait les coups de pieds de son enfant et son dos la faisait souffrir.
Après avoir observé un moment le prunier en fleur, ils étaient rentrés dans la villa à cause de la pluie. Alida était partie observer les chevaux. Rapidement, ses cris avait alerté les habitants. Leur cheval de trait avait brisé le râtelier et s’était jeté de la faible falaise s’écrasant dans les contrebas. Toujours attaché, la jument d’Aslan frappait sauvagement le sol. Son propriétaire avait essayé de la calmer, mais cela s’était avéré impossible. En jetant des regards au loin, la sœur d’Aloïs avait repéré une meute de loups. Jamais il ne s’était approché si près. Désormais, ils hurlaient sur les faibles montagnes menaçant la jument d’Aslan démunie face aux prédateurs. La mère Horla s’approcha de Léontine d’un air circonspect :
- Vous venez chez moi. Mon arbre fleurit. Des loups s’attaquent aux chevaux. Vous savez vous attirer des ennuis, Mademoiselle Ferl.
Léontine avait peur. Ses deux mains se liaient sur son nombril d’un geste de protection. Elle voulait rentrer chez elle, dans le manoir, auprès de son père. La femme se radoucit légèrement :
- Vous me disiez que votre père devez venir par ici ?
- Oui, répondit d’une petite voix la jeune femme.
- Au moins, vous ne semblez pas vouloir m’écarter de mes doutes contre lui, rigola-t-elle.
Léontine n’était pas d’humeur joueuse, pourtant une question la taraudait.
- Je…, hésita-t-elle. Il y a quelque mois, j’ai entendu mon père parler de démon. Aloïs les as également évoqués dans ses folies. Savez-vous ce qu’il en ait ?
La mère Horla prit un air embarrassé.
- Hum… je ne sais pas bien ce que c’est. Nous connaissons bien évidemment les légendes sur les vils esprits qui habitaient nos terres, il y a bien longtemps. En fait, j’ai commencé à me méfier de votre père, le jour où il m’a regardé droit dans les yeux en me disant qu’il m’écraserait et qu’il ferait appel au démon, s’il n’y arrivait pas seul.
- Cela me semble n’être que des menaces à mes oreilles, s’attarda Léontine.
- Sans vous évoquer toutes les théories qui ont mené mes affaires à la baisse quelques années après, si vous voyez des menaces dans ce qu’il m’a dit, vous comprendrez qu’il n’est pas innocent face à la torture de mon fils.
La veuve baissa les yeux, confuse. Ces faits semblaient dédaignables. Parler de vieilles histoires sur des êtres perfides ne pouvait venir que de lui ou de...
- Et cette invisible ?
La femme afficha une moue, épuisée.
- Oui, il y a cette femme aussi. Je ne sais que vous dire. J’étais là lors des festivités. Je n’ai rien vu. Seul votre mari tomber dans les pommes, une expression de terreur parcourant son visage. On aurait dit qu’il avait vu la mort devant lui. J’ai même cru qu’il l’était. La peur s’est emparée des convives. J’ai pensé à un coup de théâtre de la famille Jurill. Ça n’aurait pas été la première fois…
Léontine acquiesça et jeta un regard inquiet à travers la fenêtre. Les loups s’aventuraient de plus en plus près. La mère d’Aloïs s’exclama :
- Et bien, que les démons nous sauvent ! À moins que l’invisible ne choisisse de nous venir en aide...
***
Ozanne aurait voulu être véritablement invisible. Agatha venait de perdre de son pouvoir d’attaque alors qu’inversement le prédateur continuer à balayer le jardin, prenant avec lui apprentis, mercenaire, murs et branches. Sur l’unique morceau de toit restant, deux pattes prirent appui dessus et Hermine apparut, son pelage recouvert de boue et de poussière, un corps famélique et une mâchoire puissante entrouverte. La lanterne sur le haut de son front s’était éteinte sous l’épuisement de la démone. Ozanne la regarda d’en bas. Elle eut une certaine pitié en la voyant. Ses yeux creux cherchaient les environs avec intérêt. Ils s’arrêtèrent à un endroit particulier, là où Liosan se trouvait toujours attaché, recroquevillé et impuissant. Baltazar ne tarda pas à arriver à ses côtés.
À ce moment précis, la mâchoire massive du prédateur se trouva devant le démon et son maître. De la bave et du sang coulaient de celle-ci. Baltazar se précipita pour protéger Liosan Ferl et changer de dimension. Le banquier releva la tête pour observer les alentours...
Les crocs du puissant prédateur le saisirent, enfonçant ses dents pointues dans son torse, le soulevant et l’envoyant à plusieurs mètres d’altitude. La jeune femme n’en revenait pas. Son regard se reporta vers Hermine qui afficha une mine satisfaite. Baltazar s’était arrêté net, s’écroulant sur la neige, les genoux sur le sol. Comment un homme d’affaires tel que Liosan avait-il pu se faire piéger aussi facilement ?
Son corps inanimé atterrit sur le sol, désarticulé, son épais manteau déchiré. En jouant avec le feu, Liosan avait fini par se brûler...
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